Jean-Pierre Maschinot : « Mon père s’est rendu compte beaucoup plus tard de la chance qu’il a eue »

Publié le 17 mai 2023 - Bruno Colombari, Pierre Cazal

Le fils d’André Maschinot, l’un des deux buteurs français de la Coupe du monde 1930 en Uruguay, a accepté de répondre à nos questions. Il évoque Lucien Laurent, Etienne Mattler, les usines Peugeot et Jean-Marc Guillou.

5 minutes de lecture

Tout a commencé par un message posté le 1er mars 2023 dans le fil de discussion de l’article consacré aux survivants du France-Brésil 1958, suite à la mort de Just Fontaine.

« Mon père André « dit Bouboule » participa à la première Coupe du monde en Uruguay, avec lui nous sommes allés assister au match à Sochaux où Just Fontaine s’est fait fracasser la jambe (fracture tibia-péroné). Nous étions en tribune d’honneur, et nous avons entendu le bruit des os brisés, j’avais 13 ans et ce souvenir m’a poursuivi longtemps. » Il est signé Jean-Pierre Maschinot.

S’en est suivi des échanges par mail et la volonté, côté Chroniques bleues, de développer ces souvenirs dans le cadre d’un entretien. Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de discuter avec le fils d’un international ayant participé à la première Coupe du monde !

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André Maschinot

Afin de bien remettre en mémoire qui était André Maschinot et pour bien situer le contexte évoqué dans l’entretien, Pierre Cazal a écrit un portrait du coéquipier d’Etienne Mattler. Avec lui, nous avons préparé les questions que nous avons soumises à Jean-Pierre Maschinot. Voici ses réponses.

Avez-vous une ou des anecdotes rapportées par votre père quand il vous a parlé de sa carrière d’international, et surtout révélé qu’il avait joué la Coupe du Monde à Montevideo. Vous a-t-il dit qu’il avait marqué deux buts aux Mexicains ? Parlé du fameux match contre l’Argentine, où il a d’ailleurs été blessé, ainsi que Lucien Laurent, par le non moins fameux Monti ? En tirait-il de la fierté, ou, au contraire, sous-estimait-il sa participation à une épreuve qui ne représentait pas grand’chose à ses yeux ?

Les principaux souvenirs que j’ai eu dans ma jeunesse proviennent de mon parrain Henri Maschinot, qui était le frère aîné de mon père. Jamais mon père ne m’a parlé de quoique se soit. Ma mère l’a quitté, j’avais à peine 6 ans, à l’époque où il entraînait Bussang. 
C’est beaucoup plus tard qu’il s’est rendu compte de la chance qu’il avait eue, surtout que de très bons joueurs n’avaient pas pu se libérer. Le meilleur souvenir c’est l’arrivée le soir à Rio de Janeiro ou le Conte Verde avait fait escale, pour un match amical contre le Brésil [1]. Le plus mauvais c’est quand on les a obligé à monter à Paris pour acheter des costumes, que heureusement Peugeot leur a remboursé !

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André Maschinot devant le gardien mexicain Oscar Bonfiglio le 13 juillet 1930. Il signera le premier doublé de l’histoire de la Coupe du monde (42e et 87e minute).
Que s’est-t-il passé à Montevidéo dans l’incident dont vous parlez avec un militaire ? En quoi cet incident lui a coûté sa place en sélection par la suite ? Savez-vous quel était le sujet de l’altercation qui a opposé votre père(ainsi que Jean Laurent) à Jacques Caudron ?

Le grief principal c’est que l’accompagnateur de l’époque, choisi par la fédération, se comportait comme le militaire qu’il était, mais Lucien Laurent n’en a pas dit plus... Le professionnalisme en fut la cause. Le fameux épisode de Caudron, je ne l’ai appris que par le rédacteur en chef des sports du journal « Le Progrès » Jacques Eloi. Il a été plutôt évasif soulignant que mon père l’avait interpellé dans les vestiaires, c’est lui qui a évoqué le mot (militaire). Ce ne fut pas seulement son seul exploit, puisque lors d’une tournée en Tunisie avec Sochaux, il s’est permis de s’asseoir sur le trône du Bey de Tunis, ça c’est Etienne Mattler qui l’a raconté très souvent !

Votre père a signé le premier doublé de l’histoire de la Coupe du monde, contre le Mexique. Et pourtant c’est Lucien Laurent qui vous a donné quelques anecdotes, en 1998. Dans quelles circonstances ?

Lucien et son fils habitaient à Besançon, nous nous sommes rendus chez eux, mon beau-frère et son fils. Lucien avait déjà plus de 90 ans, j’avais amené avec moi de nombreuses photos. Sans lunettes il nous a indiqué les noms des joueurs, il nous a expliqué qu’il avait tout perdu pendant la guerre, je lui en ai laissé quelques unes. Il était très remonté contre les télés françaises qui étaient venus les mains vides, alors que le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne lui avaient offert des cadeaux, par contre il avait apprécié le geste de Maxime Bossis qui lui avait offert un maillot de l’équipe de France floqué à son nom et premier buteur de la Coupe du monde !

Il existait une sorte de clan des Parisiens en 1930 (Pinel, Chantrel, Delfour, Langiller) et votre père était en concurrence pour le poste d’avant-centre avec Pinel : comment a-t-il vécu cette situation ? Quelle était l’ambiance au sein du groupe ?

Lucien ne nous en a pas parlé, je pense que lui et son frère était originaires de la région parisienne, tout s’est bien passé, il y avait très peu de rivalité du fait que les joueurs ne se rencontraient pas encore en championnat, le football n’avait pas d’audience, le journal l’Auto avait même demandé à deux joueurs de leur rapporter ce qui se passait à Montevideo [2].

Pour votre père, le football était-il un métier ? Quel était-il avant qu’il ne passe professionnel ? Qu’a-t-il fait à la fin de sa carrière de footballeur ?

Dans sa jeunesse ce fut l’usine, jusqu’à leur départ à Strasbourg où ils travaillaient chez le président. Puis en 1928, ce fut Peugeot. Il devient pro en 1931, Après la guerre il passe son diplôme d’entraîneur, Provins, Belfort, Bussang, puis l’Alsace où il rentre comme mécano dans les mines de potasse, où il entraîne Wittenheim et Ruelisheim. Il fait profiter de son diplôme quelques clubs !

J’ai moi-même travaillé chez Peugeot fin des années 1960, et j’allais souvent voir Di Lorto qui tenait un magasin à Montbéliard. j’ai assisté à un match de gala en 1958 (je crois) ou les Vieilles Gloires de Sochaux rencontraient des anciens professionnels. Tous ses coéquipiers des années 1930 étaient tous très heureux de le revoir, en particulier Roger Courtois, qui avait été le meilleur ami de mon père. Nous avons mangé au Cercle Hôtel, siège du FC Sochaux, j’avais 12 ans et finalement je ne me rendais pas bien compte de tout ça ! Mon père est décédé à la suite d’une tumeur au cerveau, mais nous avons appris un peu plus tard qu’il avait un cancer de l’intestin. Il avait perdu près de 30 kg en quelque temps. 

Savez-vous quelle est l’origine précise de la brouille avec Mattler ? Reprochait-il à votre père de ne pas s’être engagé dans la Résistance comme lui ?

Mon père était très lié avec Etienne, mais après la guerre ce dernier s’est un peu trop vanté de ses faits de résistant, mon père était très remonté ! Cette brouille avec Mattler était très connue des Belfortains qui en rajoutait quelque peu. Mon parrain n’appréciait pas trop Etienne, qui selon lui profitait un peu trop de sa notoriété.

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Jean-Pierre Maschinot (accroupi, en bas à droite) avec les cadets de l’US Delle en 1958 (photo JP Machinot)
Enfin, vous n’aviez que 16 ans à la mort de votre père : avez-vous joué au football ? Porter le nom de Maschinot dans les milieux du foot a-t-il été facile ?

Vous avez raison de dire que j’ai souffert de m’appeler Maschinot, J’avais 17 ans, je jouais en Division d’Honneur à l’US.Belfort. Un article de France Football en avril 1964 disait que j’avais de la graine d’international. Nous ne sommes pas montés en CFA cette année-là et peu à peu tout a changé, pas trop sérieux je crois. Je suis parti à l’armée à Angers, les entraîneurs Lacoste et Pasquini sont venus à la caserne me faire signer dans l’équipe militaire du 6ème Génie, je jouais avec Jean-Marc Guillou. Comme j’étais soutien de famille je suis revenu au 19ème Génie et j’ai signé au RCFC à Besançon, où j’ai joué deux saisons. La suite, c’est le mariage, les enfants, et toujours le foot : secrétaire pendant de nombreuses années, entraîneur des jeunes, membre du district du Rhône, et j’ai même été président, j’avais réussi à faire fusionner trois petites villes. Par ailleurs j’ai joué en vétérans jusqu’à l’âge de 55 ans.

[1match non officiel, gagné par le Brésil 3-2 le 1er août 1930.

[2Augustin Chantrel et Marcel Pinel

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