L’Auto, 10 février 1905 : des lignes rouges pour le rugby, blanches pour le football

Publié le 9 octobre 2019 - Bruno Colombari

Pour trois francs, les spectateurs du Parc des Princes auront droit à une rencontre de rugby et une autre de football association : un certain France-Suisse, premier match international à domicile.

3 minutes de lecture

Le tout premier Parc des Princes, celui qui accueillit aussi le premier match à domicile de la jeune équipe de France de football, n’avait évidemment rien à voir avec l’enceinte des années 30 à 60 et encore moins avec celle imaginée par Roger Taillibert, qui vient de disparaître. C’était un vélodrome qui accueille depuis peu (1903) l’arrivée du Tour de France, ainsi que des courses de moto. L’aménagement est très sommaire.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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L’article

Il est caché en page 5, section Les sports athlétiques qui sert un peu de fourre-tout. A l’époque, ce qui intéresse L’Auto (et ses lecteurs), c’est le sport automobile en priorité. La Une du numéro du 10 février 1905 parle de la course Gordon-Bennett. Le match France-Suisse est annoncé sur une colonne sans véritable titre (Football association - dimanche au Parc des Princes), mais il contient deux informations importantes. La première, c’est que le demi-centre Pierre Allemane sera présent au match, comme il l’a lui même annoncé dans une dépêche de deux mots. « Napoléon n’aurait pas trouvé mieux, quoique Napoléon n’ait jamais joué au football de sa vie », s’amuse l’auteur de l’article, un certain L.Manaud.

La deuxième, c’est qu’il y aura deux rencontres cet après-midi-là. Le France-Suisse donc, mais avant... un match de rugby opposant deux clubs de la capitale, le Racing contre le Sporting. Se posent alors deux problèmes : dans quel ordre faire jouer les rencontres ? « Les joueurs d’association [de football, donc] estimaient que le match international devait passer en premier, et de leur côté, les rugbystes déclaraient que seule la rencontre Racing-Sporting pouvait intéresser les nombreux spectateurs qui se rendront dimanche au Parc des Princes. »

Décidément en grande forme, L.Manaud constate que « faire jouer les deux matchs en même temps eût été susciter une après-midi de sport gai », même si le sens du qualificatif final a quelque peu évolué depuis. Finalement, le rugby a gain de cause et passe en premier, à deux heures de l’après-midi. Les footeux attendront trois heures et demie. En février, la nuit tombe vite, mieux vaudra ne pas traîner pour ne pas finir à la chandelle.

Reste un dernier détail à régler : le tracé des lignes. Comme dans un gymnase où les limites des terrains de basket, de volley et de handball se chevauchent, deux terrains seront tracés sur ce qu’on n’ose pas qualifier de pelouse. Des lignes rouges pour le rugby et blanches pour l’association. Il n’a sans doute pas fallu traîner pour remplacer les poteaux par des cages, pendant la poignée de minutes qui a séparé les deux rencontres.

Le contexte sportif

En 1905, l’équipe de France est celle de l’USFSA. Un an plus tôt, elle a adhéré à la toute nouvelle organisation internationale, la FIFA, et disputé le 1er mai 1904 son premier match international officiel à Bruxelles contre la Belgique (3-3). Pour la Suisse, le match au Parc des Princes est le tout premier de son histoire, même si l’Association suisse de football existe depuis dix ans.

Pour la petite histoire, la France l’emportera 1-0, signant sa toute première victoire sur un but de Gaston Cyprès à la 60e. En rugby, le Racing a battu le Sporting 15-3, le tout devant 5000 spectateurs. Un grand évent sportif, s’exclame Ernest Weber dans L’Auto du 13 février. « Souhaitons que l’avenir nous réserve toujours d’aussi agréables impressions ». C’est beaucoup demander : il faudra attendre sept ans (février 1912) pour voir la deuxième victoire à domicile. Entre temps, l’équipe de France aura joué 20 fois, perdu 17, et gagné deux matchs à l’extérieur.

Le contexte historique

1905 est une année très mouvementée, avec la Russie tsariste qui fait face à un mouvement insurrectionnel puissant (le cuirassé Potemkine, les marins de Kronstadt, des soviets à Saint-Petersbourg et Moscou, instauration de la Douma). Ce sera un échec, mais le point de départ de la Révolution de 1917. Au Maroc, la situation est très tendue entre la France et l’Allemagne avec un discours de Guillaume II à Tanger qui manque de faire éclater une guerre en Europe. Là aussi, ce n’est que partie remise.

En France, Jean Jaurès fonde la SFIO (section française de l’internationale ouvrière) qui se scindera en deux quinze ans plus tard. La loi qui sépare l’Eglise et l’Etat, rédigée par Aristide Briand, est adoptée à l’Assemblée nationale en juillet, provoquant la rupture de la France et du Vatican.

Le journal

L’Auto est née en octobre 1900 par la volonté d’Henri Desgrange. Il organise le Tour de France cycliste trois ans plus tard, créant l’événement sportif qu’il couvre pour son plus grand bénéfice. S’il privilégie, en une, le cyclisme le sport automobile et l’aviation, reléguant les sports collectifs en pages intérieures, il lui arrive de mettre en avant ces derniers.

pour finir...

Merci à Matthieu Delahais de m’avoir fait partager sa découverte, à l’origine de cet article.

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