Six ans après, où en est Deschamps ?

Publié le 13 mai 2018 - Bruno Colombari

Depuis 2012, comment a évolué l’équipe de France ? Quelle est sa capacité à renverser un résultat défavorable ? Quel est son style de jeu ? Tentative de réponses, alors que Didier Deschamps prépare sa deuxième Coupe du monde.

7 minutes de lecture

Quand un sélectionneur dispose de temps, ce qui est rare (Deschamps n’est que le troisième en équipe de France à avoir duré plus de quatre ans et demi), il peut modeler une équipe sur la durée, créer des associations, des automatismes, un vécu commun, imaginer un style de jeu et le perfectionner. Arrivé à l’été 2012 avec pour mission de poursuivre le redressement amorcé par Laurent Blanc, renouer avec le public français et refaire des Bleus une équipe capable de remporter des titres, Didier Deschamps a rempli dans l’ensemble ces différents objectifs.

Pour autant, à un mois de sa deuxième Coupe du monde (et de sa troisième phase finale), de nombreux doutes subsistent. Lloris a-t-il l’étoffe d’un grand capitaine ? La défense tiendra-t-elle le choc face au Brésil, à l’Espagne ou à l’Allemagne ? Qui sera leader dans le champ ? Et surtout, les Bleus ont-ils les moyens de leurs ambitions, à savoir faire le jeu contre des équipes de seconde zone et tenir tête aux favoris ?

C’est ce qu’on va voir en détaillant cinq points de comparaison entre la Coupe du monde 2014 et aujourd’hui : l’évolution du niveau ligne par ligne, les performances en compétition, la capacité à redresser un résultat compromis, l’installation d’une équipe-type sur la durée et la définition d’un style de jeu identifiable.

Evolution du niveau ligne par ligne

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Côté gardien, pas de changement. Le portier de Tottenham est-il meilleur qu’en 2014 ? Son Euro avait été en tout cas très bon. Depuis, il y a eu l’énorme bourde de Solna en juin 2017 et des sorties très moyennes en amical en mars dernier. Et toujours un jeu au pied insuffisant qui le met en danger sur les passes en retrait, un manque de réussite sur les penalties (8 encaissés sur autant de concédés depuis 2014) et une activité de capitaine réduite au minimum syndical. De ce côté-là, rien n’a changé.

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La ligne de défense est presque entièrement renouvelée. Et si on l’a comparé à celle du premier tour de l’Euro, elle l’est même intégralement.

En 2014, on pointait l’inexpérience et la jeunesse de la charnière centrale (21 et 23 ans) et le niveau insuffisant des latéraux. Aujourd’hui, l’axe ne donne pas toutes les garanties et les côtés ne dégagent pas de hiérarchie claire. Si Benjamin Mendy est très prometteur, nul ne sait s’il sera prêt à temps après une saison blanche. Et à droite, Sidibé ne réalise pas une grande année en club, au point que l’hypothèse Debuchy revient, même si c’est un retour à la case départ.

On est toujours loin de la ligne de 4 de 1986 (Ayache, Battiston, Bossis, Amoros) ou de celle de 2006 (Sagnol, Thuram, Gallas, Abidal). Sans même parler de celle de 1998 (Thuram, Blanc, Desailly, Lizarazu).

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C’est beaucoup plus stable au milieu, où Matuidi et Pogba gardent la confiance de Deschamps et où Kanté semble l’avoir acquise. Pour autant, ce milieu (qui peut aussi comprendre Corentin Tolisso ou Thomas Lemar, selon la configuration en 4-3-3 ou en 4-4-2) ne donne toujours pas de garanties solides sur sa capacité à diriger le jeu. Kanté est techniquement au-dessus de Deschamps et de Makelele, mais Matuidi est en fin de parcours et Pogba reste une énigme. Est-il le joueur surcoté que beaucoup soupçonnent ? Ou va-t-il enfin franchir un palier vers le très haut niveau ?

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Le grand espoir du foot français est la seule nouveauté de cette ligne d’attaque, dans laquelle Olivier Giroud était remplaçant jusqu’à la mise à l’écart de Karim Benzema fin 2015. Mais lui aussi, à bientôt 32 ans, n’est clairement pas une solution d’avenir. Antoine Griezmann pourrait changer de statut cet été en allant à Barcelone, mais il avait déjà nettement progressé entre 2014 et 2016, où il avait joué la finale de l’Euro à bout de souffle. Pour autant, c’est à l’évidence le secteur le plus riche des Bleus, si on y ajoute Ousmane Dembélé, Florian Thauvin, Alexandre Lacazette, Kingsley Coman ou Nabil Fekir. Un sélectionneur plus audacieux s’appuierait sans doute sur cette pléthore de talents en en alignant plutôt quatre que trois.

Performances en compétition

En 2014, l’objectif avoué était d’atteindre au moins les quarts de finale, et de proposer un jeu offensif et spectaculaire pour renouer avec le public. C’est ce qui s’est passé, même si les trois derniers matchs (0-0 contre l’Equateur, 2-0 face au Nigéria et 0-1 contre l’Allemagne) ont montré plus de limites que de promesses. Mais la défaite contre l’Allemagne était logique.

En 2016, les Bleus ne pouvaient pas faire moins que viser le titre à domicile. Ils sont passés tout près, en sortant une seule équipe plus forte qu’eux, l’Allemagne, et en tombant contre un Portugal loin d’être impressionnant. Et, hormis un feu d’artifice en première mi-temps contre l’Islande et une belle deuxième mi-temps face à l’Irlande, les trois premiers matchs n’ont pas rassuré sur la capacité de l’équipe de France à faire le jeu contre un adversaire regroupé.

Enfin, la qualification pour le Mondial 2018 a été acquise dans la douleur, comme d’habitude, mais en évitant les barrages, à la différence de 2013 (et 2009). On retiendra quand même la défaite à Solna en refusant le jeu et le burlesque 0-0 face au Luxembourg à Toulouse, heureusement compensés par une belle fin de match face aux Pays-Bas et une précieuse victoire à Sofia.

Capacité à redresser un résultat compromis

En 2014, il avait suffi d’un but d’entrée par Mats Hummels pour que l’Allemagne contrôle le match et éteigne les velléités françaises. A l’Euro, les Bleus ont retourné une partie bien mal engagée (contre l’Irlande), avant d’en faire de même en octobre contre la Bulgarie puis en novembre face à la Suède (2-1 à chaque fois). C’est bien, mais à l’inverse ils ont laissé filer une possible victoire, toujours contre la Suède (1-2 après avoir ouvert le score) puis contre la Colombie en amical (2-3 après avoir mené 2-0).

Installation d’une équipe-type sur la durée

S’il n’est pas simple de définir quel sera le onze de départ contre l’Australie à Kazan, c’est moins par indécision du sélectionneur que par l’accumulation de circonstances défavorables (blessures longues de Mendy et Dembélé, plus courtes de Pogba et Sidibé) ou de bonnes surprises (l’éclosion fulgurante de Mbappé, la percée de Lemar). Reste que 2017 n’a pas permis de mettre en place un noyau stable accumulant du temps de jeu en commun après les départs de Sagna, Evra et l’éloignement de Koscielny, Payet ou Sissoko.

La charnière centrale Varane-Umtiti, qui sera certainement celle titulaire en Russie, n’a ainsi que six matchs en commun depuis l’Euro, dont un, contre l’Italie en 2016, où le Barcelonais est entré à 7 minutes de la fin. Varane a été dix fois titulaire aux côtés de Sidibé, et seulement deux fois avec Benjamin Mendy. Le milieu et l’attaque auront plus d’automatismes, encore que Pogba et Mbappé, par exemple, n’ont en commun que trois matchs comme titulaire, même si le dernier, en Russie, a été très prometteur.

Définition d’un style de jeu identifiable

C’est assurément le point faible de Didier Deschamps. Six ans après son arrivée et 73 matchs joués (6600 minutes, soit 110 heures pile), bien malin qui peut dire à quoi ressemble le jeu des Bleus. On pourrait dire qu’il penche vers l’avant et qu’il est tourné vers l’offensive, mais dans ce cas il manque d’efficacité avec trois buts inscrits en trois heures contre le Luxembourg et deux en deux matchs face à la Biélorussie et sa défense passoire.

On pourrait affirmer qu’il est taillé pour le contre afin de donner des espaces à ses attaquants, ce qui s’est vérifié contre l’Allemagne en 2016, mais dans ce cas la défense devrait encaisser peu de buts. Or elle en a pris 10 en 2017 et déjà 4 en 2018, ce qui fait beaucoup. Et sur les 19 matchs joués depuis l’Euro, elle n’a obtenu que 8 clean sheets (dont 3 en amical).

Donc ni flamboyance offensive comme entre 2000 et 2003, ni rigueur défensive comme en 1998 ou 2006. Le point fort qu’on pourrait lui trouver, c’est la capacité à jouer juste dans les intervalles avec des joueurs comme Kanté, Pogba, Lemar ou Griezmann, et d’avoir de l’impact (Giroud) et de la vitesse (Coman, Dembélé, Mbappé) sur les côtés. Mais là, on parle plus que qualités des joueurs que de système de jeu. Deschamps n’est ni Guardiola ni Sarri ni Klopp, hélas.

Pour terminer, et pour être juste, je voudrais comparer là où en est Deschamps vers la fin de sa sixième saison de sélectionneur, avec ses deux prédécesseurs à avoir duré aussi longtemps.

Six ans après, Hidalgo 1982 : carré d’as au milieu

Au printemps 1982, Michel Hidalgo (en poste depuis le début de l’année 1976) prépare sa deuxième Coupe du monde. Son équipe, très jeune en 1978, a pris de la bouteille, d’autant qu’il a rappelé Alain Giresse (29 ans) et que Marius Trésor (32 ans) est en grande forme. Michel Platini termine son cycle de trois ans à Saint-Etienne et s’apprête à rejoindre la Juventus. A 27 ans, il entre dans les années les plus fécondes de sa carrière, tout comme Max Bossis, Dominique Rocheteau et Jean Tigana. Avec Manuel Amoros, il a déniché un arrière latéral polyvalent impressionnant de sang-froid.

Pour autant, il lui manque un gardien. Il en a essayé beaucoup en six ans, de Baratelli à Castaneda en passant par Rey, Dropsy, Bertrand-Demanes ou Bergeroo, mais aucun ne fait l’affaire. Sur les conseils d’Ivan Curkovic, il titularise le gardien de Monaco, Jean-Luc Ettori. Et il place Gérard Janvion en défense centrale.

Comme, à partir du deuxième match en Espagne, il joue avec trois milieux offensifs, puis passe à quatre avec Tigana au second tour (le fameux carré magique), son sytème fonctionne bien tant que les Bleus ont le ballon. S’ils le perdent, la défense est vite en difficulté, contrairement à celle de 1978 (Rio ou Lopez et Trésor), couverte au milieu par Bathenay et Michel.

La différence essentielle, c’est la confiance que dégage l’équipe de 1982. Après un premier tour délicat, elle joue de mieux en mieux, et domine la RFA en demi-finale, alors que celle de 1978 avait calé deux fois contre l’Italie et l’Argentine. Ce ne sera pas suffisant pour l’emporter, mais la leçon sera retenue pour l’Euro 1984.

Six ans après, Domenech 2010 : rien ne va plus

Depuis quelques semaines, au lendemain des barrages contre l’Irlande en novembre, Raymond Domenech sait qu’il quittera les Bleus après la Coupe du monde en Afrique du Sud. Autant dire qu’il prépare cette épreuve, à tous les sens du terme, à reculons. Et il accumule les mauvais choix : s’il écarte Nasri, Ben Arfa et Benzema, ainsi que Vieira hors de forme, il cède aux suppliques de Thierry Henry et accorde sa confiance à Nicolas Anelka, qui ne veut pas jouer en pointe, et à Franck Ribéry, qui n’en fait qu’à sa tête.

Dans une équipe minée par les clans (Lloris, Gourcuff, Diaby d’un côté, Evra, Gallas, Malouda, Abidal et Ribéry de l’autre) et incapable de jouer ensemble, tout se délite. On a peine à admettre qu’une demi-douzaine de joueurs étaient là en 2006 (Henry, Govou, Malouda, Ribéry, Gallas, Abidal…) tant le niveau est faible. N’importe qui peut battre cette équipe-là, même la Chine B à la Réunion en amical.

La crise profonde qui éclate à la mi-temps de France-Mexique à Polokwane et trois jours plus tard à Knysna n’est que la partie émergente d’un iceberg qui a coulé à pic le sélectionneur, le groupe et les instances fédérales, complètement dépassées par la situation.

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