Philippe Tournon, sa vie en bleu

Publié le 15 janvier 2021 - Bruno Colombari

Bon courage pour trouver un observateur mieux placé que lui pour raconter trente ans d’anecdotes et de coulisses de l’équipe de France. Chef de presse des Bleus jusqu’en 2018, Philippe Tournon se met à table dans « La vie en bleu » (Albin Michel).

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Lire l’interview Philippe Tournon : « J’ai une liberté de ton qui est totale »


Quand on pense au seul international français à avoir gagné deux Coupes du monde, le nom de Didier Deschamps vient immédiatement à l’esprit, bien sûr. Mais saviez-vous qu’un homme, un seul, a vécu de l’intérieur non seulement les deux titres mondiaux de 1998 et 2018, mais aussi les victoires aux Euro 1984 et 2000, et la conquête des deux Coupes des Confédérations 2001 et 2003 ? Ajoutez la Coupe intercontinentale en 1985 et vous avez là le palmarès compte de l’équipe de France depuis 1904.

Cet homme n’est pas un footballeur, ni un entraîneur, ni un adjoint, ni un cuisinier, ni un intendant. C’est Philippe Tournon, chef de presse des Bleus de 1983 à 2018, hormis un intervalle manqué entre 2004 et 2010 pendant la période Domenech, lequel ne voulait pas de lui. il doit s’en mordre les doigts.

Ce poste privilégié, au plus près du sélectionneur et des joueurs, il l’a donc vécu, comme il le dit lui-même, pendant 337 matchs (sur 864, ça représente 39% du total). Il a côtoyé neuf sélectionneurs, de Michel Hidalgo à Didier Deschamps en passant par Michel Platini, Aimé Jacquet ou Roger Lemerre et partagé le quotidien de 253 joueurs dont 45 sont devenus champions du monde.


 

Autant dire qu’on attendait ses mémoires avec impatience. Annoncé début 2020 pour sortir avant l’Euro, son livre (La vie en bleu, publié par Albin Michel, 364 pages, 21,90€) s’est fait attendre jusqu’au début janvier 2021. Mémoires n’est d’ailleurs pas le terme qui convient, puisque Philippe Tournon se concentre sur son parcours professionnel (d’abord journaliste au Parisien, à France Football puis à L’Equipe de 1966 à 1983) et surtout sur ce qu’il a vu. Avec lui, on découvre l’équipe de France côté coulisses, côté cuisine pourrait-on dire tant le personnage cultive son côté épicurien et sait apprécier une bonne table.

Au sources du système de formation

Surtout, il inscrit la progression considérable d’une sélection de troisième zone (dans les années soixante) devenue l’une des cinq grandes puissances du foot mondial aux côté de l’Allemagne, du Brésil, de l’Espagne et de l’Italie. Missionné par L’Equipe pour suivre Georges Boulogne alors qu’il dirigeait les internationaux juniors, Philippe Tournon a vu se mettre en place le système de formation et de détection qui a abouti à l’INF Vichy puis à Clairefontaine, avec la réussite que l’on sait.

C’est dire l’intérêt historique de cette « Vie en bleu » riche en témoignages d’acteurs-clés et d’anecdotes savoureuses, comme celle où Jacques Goddet, alors patron de L’Equipe, demande à l’auteur après le France-Autriche de la Coupe du monde 1982 un papier s’interrogeant sur l’utilité de Platini en équipe de France. Bravement, Tournon a su faire face et expliquer que ça n’allait pas être possible. Et de fait, trois jours plus tard naissait le carré magique (Tigana, Genghini, Giresse et Platini) contre l’Irlande du Nord… Il en profite pour raconter son Séville (vécu dans une tribune de presse en folie), et la petite histoire du titre « Fabuleux » choisi par L’Equipe avant même la fin du match, bouclage oblige.

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On en apprend beaucoup sur le métier de journaliste, surtout celui d’avant 1983, bien avant Internet et les réseaux sociaux donc. Entré à France Football pour faire des statistiques sur les matchs de deuxième division, Philippe Tournon a gravi les échelons, rédacteur en chef adjoint à L’Equipe et responsable de la rubrique football. Un poste stratégique qui lui impose d’être à la rédaction les soirs de match où il est chargé de superviser les articles qui arrivent, s’occuper des titres, des légendes photos, de l’édito et surtout du titre de Une, sur huit colonnes. Le « Bravo et merci » au lendemain du France-Pays-Bas qualificatif pour le Mondial 1982, il est de lui.

La Coupe du monde dans un sac de sport

Et quand on est chef de presse de l’équipe de France, mieux vaut être polyvalent. Philippe Tournon raconte ainsi comment, à l’Euro 1984, il avait été désigné pour animer la cérémonie du tirage au sort retransmis en Eurovision. Ou, 17 ans plus tard, comment il avait été chargé de transporter dans un simple sac de sport entre Paris et Séoul le trophée de la Coupe du monde, le vrai en or massif, pas la réplique ! Et voilà comment, la veille du départ, il a « ramené la coupe à la maison », en l’occurrence chez lui, et l’a rangée sous son lit pour la nuit.

C’était une autre époque, assurément, celle où tout n’était pas codifié et géré au millimètre comme aujourd’hui. Mais il est intéressant, à travers son récit, de tirer des parallèles. Le soir de la conquête de l’Euro 84, le premier titre du football français quand même, « seulement un bon dîner entre nous, au 60 bis, avenue d’Iéna, où nous arrivons après minuit sans encombre, sans embouteillages… Au moment du dessert nous parviennent quelques bruits de la rue, de petits coups de klaxons, quelques cris espacés. Je monte dans les salles de réunion du premier étage et je découvre — allez, je compte large — une cinquantaine de supporters qui réclament Tigana, Platini et les autres. » Rien à voir avec les foules immenses de 1998 et de 2018 sur les Champs.

Ces finales avant la lettre qui coûtent cher

Autre parallèle intéressant, c’est celui entre l’après France-Brésil 1986 et les heures qui ont suivi la demi-finale victorieuse contre l’Allemagne à l’Euro 2016. « Je reste persuadé que, pris dans le tourbillon de la victoire sur le Brésil, on a fêté un peu trop bien et un peu trop longtemps ce succès historique, et qu’on y a laissé, presque autant que sur le terrain du Jalisco, de l’influx et de l’énergie ». Trente ans plus tard : « Insensiblement, inconsciemment, la vigilance se relâche. Le soir à l’hôtel marseillais où l’on est resté, on discute tard, très tard, les soins n’en finissent pas, on est bien, on refait le match, on célèbre le signe indien enfin vaincu contre ces maudits Allemands. Mais le lendemain matin, il faut se lever, rentrer à Clairefontaine, remettre la machine en route. Sobrement, Guy Stéphan admettra qu’on a « perdu trop d’énergie dans cette demi-finale. » On hélas, déjà connu ça, la finale avant la finale… »

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Enfin, voici ce qu’il dit des derniers mois de l’ère Platini sélectionneur, début 1992, après un parcours qualificatif sans faute : « Il va avoir, lui qui connaît pourtant si bien le football et la mentalité des joueurs, une sortie malheureuse, quelques mots en apparence anodins mais malencontreux, qui ne vont pas être sans conséquence. « Demain, vous allez jouer l’Angleterre à Wembley. Un moment exceptionnel, savourez-le. Alors, je ne vous donnerez qu’une consigne : faites-vous plaisir ! » Didier Deschamps dira on ne peut plus clairement les choses au retour de l’Euro : « J’ai ressenti une cassure terrible. On ne prenait plus les matchs au sérieux, mais seulement comme un plaisir, une récompense pour tout ce que nous avions réalisé auparavant. »

L’obsession du moindre détail

Deschamps, justement, auquel il consacre la dernière partie du livre, est un sélectionneur obsédé par le moindre détail : « la capacité d’une équipe nationale à aller décrocher un titre est certes dépendante de la qualité des joueurs qui la composent, mais liée aussi, et peut-être d’abord, à la personnalité du patron, à son aptitude à bien sélectionner et à bien gérer son groupe, à le sentir et à le garder sous contrôle. Peut-être encore plus sur un plan humain et psychologique que côté terrain. »

Il y a encore beaucoup de choses à découvrir dans La vie en bleu, notamment une révélation sur le rôle probable de l’agence marketing de la FIFA, ISL, pour l’attribution de la Coupe du monde 1998 à la France, le souhait de Platini, nouveau sélectionneur, de supprimer le point presse d’annonce de la liste des joueurs avant un match (excellente idée, au demeurant), la kalashnikov pointée par Eric Cantona sur les journalistes lors de la tournée au Koweït ou un contre-argumentaire sur les erreurs dans la préparation de la Coupe du monde 2002. Un bon livre, vraiment.

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