Ce que le football est devenu : moins de libéros, plus de libéraux

Publié le 5 octobre 2023 - Bruno Colombari

Le premier livre de Jérôme Latta, fondateur des Cahiers du football, revient sur trente ans de révolution libérale et des dégâts qu’elle a causé sans ce sport (comme ailleurs). Une synthèse indispensable qui ne renonce pourtant pas à ce qu’un autre football soit possible.

3 minutes de lecture

La devise des Cahiers du football, on le rappelle, est « un autre football est possible » (on pourrait aussi bien dire « une autre manière de parler du football est possible »). Jérôme Latta, qui l’a fondé en 1997, à une époque antédiluvienne où l’AS Monaco de Barthez, Petit, Henry et Trezeguet dirigé par Jean Tigana marchait sur le championnat de France, a été aux premières loges pour assister à la financiarisation effrénée du football, et à ses conséquences. Ce qui est bien autre chose que les dérives souvent mentionnées a pu ainsi être documenté, comme le dit Mediapart, tout au long de centaines d’articles depuis plus de 25 ans, que ce soit sur le site, le mensuel imprimé ou la revue.

Si le football en tant que sport a changé depuis les années 1990 (nouvelles règles, nouvelles options tactiques, nouvelles manières de le diffuser), c’est surtout son environnement direct qui a été bouleversé dans des proportions bien plus grandes que celles lors du passage à la professionnalisation, au début des années 1930.

Et, c’est l’un des grands mérite du livre de Jérôme Latta, on ne peut s’empêcher en lisant ces lignes de penser à autre chose : « La révolution libérale du football a été tacitement organisée par des acteurs institutionnels, économiques et médiatiques qui ont veillé à ce qu’elle ne fasse jamais débat ». Enlevez les mots du football de la phrase précédente et voyez ce que ça donne…

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Les droits de diffusion, carburant essentiel

Cette révolution libérale s’est attaquée bien sûr aux clubs et aux compétitions auxquelles ils participent, qu’elles soient domestiques comme la Premier League anglaise ou continentales comme la Ligue des champions européenne. Avec un carburant essentiel et récent : les droits de diffusion versés par les chaînes privées à péage, conscientes du formidable produit d’appel qu’est le sport en général et le football en particulier.

La conséquence évidente, côté clubs, a été une explosion des ressources financières alimentant une course en avant perpétuelle et très peu régulée. Côté public, c’est plutôt une offre surabondante, mais aussi de plus en plus chère avec des compétitions découpées et vendues en tranches. Et un accès aux stades rendu très difficile aux classes populaires en raison d’une gentrification des tribunes, où tout message politique est soigneusement expurgé.

Messi comme Mickey

Sur le site des Cahiers, on trouve une très jolie collection de citations d’acteurs du football (en particulier des dirigeants, jamais avares d’absurdités), et le livre en propose quelques unes, particulièrement éclairantes comme celle d’un membre du CA du FC Barcelone : « Nos référents appartiennent aujourd’hui à d’autres univers que le sport, comme Disney. Ils ont Mickey Mouse, nous avons Messi. Ils ont Disneyland ? Nous avons le Camp Nou. » C’était en 2015. Depuis, Messi joue en Floride (logique) et le Camp Nou est en travaux. La citation de Jean-Michel Aulas a quant à elle la concision d’un haïku : « L’élitisme profite à tout le monde ». Y compris aux repreneurs américains qui l’ont mis à la porte. La révolution libérale ? Ce sont les libéraux qui en parlent le mieux, même sans faire exprès.

Parce que ce sont les clubs qui ont porté cette révolution, des clubs « réduits à des entreprises, les stades à des centres de profit, les footballeurs à des actifs spéculatifs et les spectateurs à des consommateurs » Ce que le football est devenu ne traite quasiment pas du football de sélections, dont la situation est différente de celle des clubs mais qui en subit les conséquences. Cette dimension sera largement abordée dans l’entretien qu’il m’a accordé. Mais la décision de confier l’organisation de la Coupe du monde 2030 à six pays répartis sur trois continents [1] dit bien assez à quel point la FIFA et l’UEFA ont accompagné cette révolution plutôt que de s’y opposer.

Irrésistible et aliénant

En conclusion, Jérôme Latta joue très habilement et finement avec les mots. Ce football-là est irrésistible, mais à tous les sens du terme : parce qu’il offre une garantie de spectacle de très haut niveau, avec les meilleurs joueurs du monde. Mais aussi parce que la résistance à ce show premium a été bien faible, pour ne pas dire inexistante, et notamment dans les médias. Ce football-là est aliénant, dans le sens où il aliène ceux qui l’aiment, et où il s’aliène à des intérêts qui n’ont que faire de sa beauté.

pour finir...

Ce que le football est devenu, trois décennies de révolution libérale de Jérôme Latta, éditions divergences, 200 pages 15 euros.

[1L’Espagne, le Portugal et le Maroc, avec les trois premiers matchs joués en Argentine, Uruguay et Paraguay pour le centenaire de l’épreuve.

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