De l’art compliqué d’être sélectionneur

Publié le 5 juin 2016 - Bruno Colombari

Dans « Au cœur des Bleus » (Stock), Vincent Duluc donne la parole à neuf des onze sélectionneurs de l’équipe de France contemporains. Les deux autres sont Aimé Jacquet et Didier Deschamps.

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C’est un livre construit comme un jeu de l’égo. Pas comme les célèbres briques danoises, mais plutôt comme une somme d’histoires entre des sélectionneurs dont le mandat s’est (presque) toujours mal fini, et un journaliste qui représente L’Equipe et de façon plus générale la presse. Donc d’un côté Just Fontaine, Michel Hidalgo, Henri Michel, Michel Platini, Gérard Houllier, Roger Lemerre, Jacques Santini et Raymond Domenech, de l’autre Vincent Duluc. Et, un peu ailleurs puisqu’ils ne témoignent pas directement dans le livre, Aimé Jacquet et Didier Deschamps. Le premier est fâché avec l’auteur depuis mai 1998, le second est encore en poste et donc soumis au devoir de réserve. Pas de chance, car ce sont les seuls, avec bien sûr Michel Hidalgo, à ne pas être partis sur un échec. Trois sur onze.

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Ce qui ressort donc dans les huit autres chapitres, c’est avant tout l’amertume. La plupart ont l’impression d’avoir été trahis — par les joueurs parfois, par la presse souvent, par la Fédération toujours. Promesses non tenues, petites manœuvres en coulisses et grands complots, somme de petites lâchetés et de renoncements qui usent leur homme à vitesse grand V :


« Trop de nuits sans sommeil, trop d’ennemis réels ou inventés, trop de cheveux blancs, aussi — il suffit de revoir les photos des sélectionneurs de l’équipe de France, avant et après : le sel a poussé sur les tempes, le visage est marqué, chaque nouvelle ride porte le nom d’une défaite ou d’un joueur. »

Au cœur des Bleus porte assez mal son nom. On n’est pas là au milieu de l’équipe de France ni avec ses joueurs mais bien face à ses sélectionneurs, un peu comme à confesse, en écoutant agacé nous raconter les étapes de leur chemin de croix. C’est moins un livre sur le football qu’un ouvrage sur le pouvoir, sur les rapports de force, la capacité de faire des choix et de les assumer. Bref, de la politique.

Pointant le fait que depuis 1964 [1], les Bleus ont connu quinze sélectionneurs et un duo [2], Vincent Duluc rappelle que sur la même période, la Cinquième République a usé pas moins de vingt Premiers ministres. « L’analogie est tentante : l’idée d’un personnage d’Etat pendant sa fonction, les dessous des nominations et des disgrâces, les alliances et les trahisons, l’état de grâce et la perte de popularité. »

Si certains chapitres sont plus intéressants que d’autres — ceux notamment où Vincent Duluc apporte un contrepoint aux témoignages recueillis plutôt que les livrer brut de décoffrage — il est frappant de constater à quel point l’auteur réfute tout soupçon d’ingérence de son journal dans la désignation ou la révocation des sélectionneurs. Pourtant, dit-il autre chose quand il raconte, à propos d’Aimé Jacquet :

« Un complot ? Je me souviens de deux réunions seulement. S’il y en a eu d’autres, je n’étais pas invité. L’une a eu lieu après le Tournoi de France 1997 [...] Dans cette réunion s’était posée la question de savoir si on devait demander la démission du sélectionneur, un an avant la Coupe du monde : la réponse avait été non, clairement non. [...] L’autre réunion s’est tenue en janvier 1998, et le message qui en était sorti était plus clair encore : maintenant, on arrête, on lui fout la paix, c’est la coupe du monde qui compte. »

On en saurait mieux reconnaître, même involontairement, que L’Equipe avait le pouvoir de mener une campagne de presse à charge ou à décharge, même si la démarche n’est pas toujours couronnée de succès. Et on se souvient que le 1er avril 2005, le quotidien sportif avait titré, à propos de Zidane, « Et s’il revenait » ? Ce qu’il fera quatre mois plus tard. L’Equipe titrera alors « Il revient ».

[1Date de l’instauration du sélectionneur unique pour l’équipe de France. Le premier fut Henri Guérin. Lire Tableau des sélectionneurs de l’équipe de France de football .

[2Jean Snella et José Arribas en 1966. Lire 1966, une année dans le siècle.

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