Le jour où une chèvre a supplanté le coq

Publié le 26 mai 2020 - Raphaël Perry

Quatre mois avant d’embarquer pour la première Coupe du monde, les joueurs de l’équipe de France vont à Porto en février 1930. Où après 29 heures de train, ils arrivent avec sous le bras un chevreau noir en guise de mascotte...

3 minutes de lecture

Nous sommes en 1930, année charnière pour le football international avec l’organisation de la première Coupe du monde de l’histoire. Cette épreuve, imaginée initialement par le sélectionneur de l’Autriche Hugo Meisl, est échafaudée depuis trois ans par Jules Rimet, avocat cultivé, brillant orateur et fin politique chantre de la mondialisation. En récompense de ses deux titres olympiques et pour fêter le Centenaire de son indépendance proclamée vis à vis du Brésil en 1825, c’est l’Uruguay qui est choisie pour l’organiser.
 
Mais avant de se rendre sur place en bateau avec trois autres équipes européennes (la Belgique, la Roumanie et la Yougoslavie), la France dispute six matches amicaux qui s’avéreront guère concluants avec une victoire en Belgique (2-1), un nul spongieux contre la Suisse (3-3) et quatre défaites dont trois à Colombes contre la Belgique (1-6), la Tchécoslovaquie (2-3) et l’Écosse (0-2). La dernière défaite a pour cadre le stade Ameal de Porto, et comme nous sommes en pleine revue d’effectif, sept joueurs font leurs débuts sur les bords du Douro le 23 février 1930.

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Manuel Anatol.

 

A la recherche d’une mascotte

Le transport aérien collectif n’étant qu’à ses balbutiements, c’est par le train que les Français se rendent au Portugal. Au départ de la gare parisienne d’Orsay, le 21 février au matin, l’ambiance est au beau fixe dans le groupe autour des meneurs sétois Louis Cazal et Alexandre Villaplane (qui joue à présent au RC Paris). Chemin faisant et pour ne pas arriver les mains vides à destination, ils se mettent en quête d’une mascotte qui les accompagnera tout au long de leur voyage, comme il est de tradition à cette époque.
 
Pas évident à trouver mais ils ne désarment pas et lors d’une halte au passage à niveau de la frontière hispano-portugaise, ils font la connaissance d’un paysan, qui vend des oranges, et d’une petite chèvre noire qui broute à ses pieds. En s’approchant du petit animal, cette dernière se met à bêler si gentiment que les Français tombent sous le charme. Le défenseur Manuel Anatol, natif d’Irun et donc bilingue en espagnol, entame alors des pourparlers avec le paysan pour la lui acheter. L’affaire est conclue et voilà comment le petit caprin s’est retrouvé dans le compartiment des tricolores sous l’étroite surveillance du bizuth Antonio Lozès, le gardien de Sochaux, sosie de Marcel Pagnol.

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Antonio Lozès.

 

Lozès biberonne, Caudron bougonne

Avant que le train ne reparte, ce chaperon précautionneux se démène à trouver dans une officine proche un biberon, une tétine et du lait. Pas du tout farouche, l’animal se laisse distraire par les équipiers français, joue avec chacun d’eux jusqu’à l’entrée du contrôleur dans leur compartiment qui exige le paiement de la place occupée par la petite chèvre. Le dirigeant préposé aux comptes Jacques Caudron, qui fera office de sélectionneur de l’équipe lors du mondial en Uruguay, l’a bien mauvaise mais devant l’insistance des joueurs, délie les cordons de sa bourse.

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Jacques Caudron, pour qui un sou est un sou (le bouquet de fleurs avant Argentine-France lui a été offert).

 
L’accueil à Porto, le 22 février en fin d’après-midi, est fastueux avec La Marseillaise jouée à l’arrivée du train, teintée de bêlements, ce qui fait sourire l’assistance. Le brave et protecteur Lozès l’entraîne jusqu’à la réception donnée dans les salons de l’hôtel de ville, puis à la Fédération portugaise de football où les attend un autre verre de l’amitié, avant de se rendre à leur hôtel où l’animal est confiné dans le garage de l’établissement jusqu’au lendemain. Croit-on car la petite chèvre voue une telle affection à son gardien que durant la nuit, elle s’échappe et arrive à retrouver le chemin de la chambre de Lozès qui lui ouvre la porte et l’installe sur la descente de son lit.

Le Miroir des Sports du 4 mars 1930 (archives BNF Gallica).


 

Un corrida en pyjama

Au petit matin, lors du rassemblement des joueurs encore en pyjama dans le grand hall de l’hôtel, une corrida est improvisée. En cercle et munis d’une baguette et d’une serviette, chaque joueur commence à la taquiner et à lui faire des passes de muleta, sous le regard des clients amusés.

L’heure du match approchant, les joueurs se rendent en car au stade Ameal avec leur petite chèvre-fétiche et quand cette dernière pénètre avec eux sur le terrain pelé, des clameurs et des éclats de rire fusent des tribunes. Star d’un jour, elle est même photographiée au milieu des deux équipes lors du protocole avant que Lozès ne l’accroche derrière son but au coup d’envoi. L’animal vivra la deuxième période au milieu des dirigeants français Jean Rigal, Jules Rimet et Jacques Caudron.
 
La défaite (0-2) est presque secondaire pour des Français à la hauteur qui n’ont cédé que sur deux coup-francs avec Jose Manuel Soares les deux fois à la conclusion. Les sept nouveaux joueurs seront rappelés.

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Le stade Améal de Porto et sa magnifique pelouse.
Pas grand chose à se mettre sous la dent pour la mascotte française...

 

Echangée contre un panier d’oranges

Au banquet d’après match, la mascotte reste l’objet de toutes les attentions. Choyée, elle est comblée de friandises avant que sonne l’heure du départ vers le train du retour dans lequel elle embarque. Au passage du contrôleur qui exige, comme à l’aller, le paiement de sa place, M. Caudron est cette fois inflexible malgré les supplications des joueurs. A regret, la séparation avec la chevrette a lieu à la halte suivante mais ne voulant pas la vendre, les tricolores la confient à un paysan possédant une chèvre nourricière qui, en contrepartie, leur donne un panier d’oranges.

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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