Grégoire Berg, le héros oublié

Publié le 12 avril 2020 - Pierre Cazal

International une fois en 1922 contre l’Espagne, Grégoire Berg n’a pas laissé beaucoup de traces en tant que footballeur. Mais il est mort fusillé par les Allemands, en août 1944, lors de l’insurrection de Paris qui a précédé la Libération.

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Oublié, Grégoire Berg l’est, comme tous ceux qui n’ont connu qu’une seule et unique sélection en équipe de France. Oublié son match à l’arrière contre l’Espagne le 30 avril 1922 (0-4), oubliée sa participation à la tournée en Norvège (0-7) en juin de la même année, un match jamais homologué par la FFF. Oubliées les 14 sélections en équipe d’Alsace de ce joueur du Red Star de Strasbourg (car il en existait, et en existe toujours, un autre que celui de Saint-Ouen).

Héros pourtant, modestement certes, mais héros tout de même : je l’ai découvert au détour d’une page de la magistrale thèse de l’historien Pierre Perny (« Football en Alsace » , 2009), où l’on peut lire qu’en 1948, « la FFF remet à titre posthume une de ses récompenses à la famille de Grégoire Berg, volontaire dans un maquis armé de la zone non occupée. Il fut pris par les Allemands au cours d’un coup de main et fusillé ». Pierre Perny ajoute, dans son livre « La Grande Epoque du Football Alsacien » (éditions DNA, 2002), que Berg est « mort en 1944 pendant les combats pour la Libération de Paris ».

Les deux informations étant un peu contradictoires, j’ai donc enquêté.

Né à Rouen de parents juifs lituaniens, puis installé à Strasbourg

J’ai tout d’abord découvert que Berg n’était pas né en 1901, comme l’affirment la plupart des sites biographiques, mais en 1896 à Rouen, d’une famille de juifs lituaniens ayant vraisemblablement fui Kaunas en raison des pogroms sévissant en Russie dans les années 1880. Spécialisé dans les pétroles, le père s’était ensuite fixé en Alsace (alors allemande) où il dirigeait une compagnie pétrolière, les Naphtes d’Anvers. Le jeune Grégoire (Gregor en allemand) y avait grandi et au terme de ses études était devenu ingénieur en électricité. Il s’était marié en 1926, avait eu deux enfants et travaillait à l’Electricité de Strasbourg, ayant abandonné la pratique du football de haut niveau lors de son mariage comme c’était souvent le cas des amateurs intégraux de l’époque.

Il ne serait jamais devenu un héros, et une victime du nazisme, si Hitler n’avait réannexé l’Alsace en 1940. Rappelons que l’Alsace (française depuis 1648) avait déjà été annexée de 1871 à 1918, l’Allemagne persistant dans ses vues sur ce territoire, de Bismarck à Hitler. Dès le 13 juillet 1940, le gauleiter (gouverneur) fraîchement nommé par Hitler, le sinistre Robert Wagner, avait décidé d’expulser tous les juifs d’Alsace.

Berg était d’une famille juive mais non pratiquante ; lui-même avait épousé une chrétienne (prénommée Marie), et leurs enfants avaient été baptisés, ce qui les sauva du reste de la déportation vers Auschwitz, comme on le verra plus loin.

Un « Ausweis » (passeport) d’août 1940 permet à Grégoire Berg de se réfugier avec sa famille mais en abandonnant tous ses biens, à Moussey dans les Vosges ; il y trouve un emploi d’électricien dans une blanchisserie dépendant de l’abbaye de Senones, qu’il occupera jusqu’à la fin de l’année 1942. Mais il est arrêté par la Gestapo fin août 1943. Pourquoi ? On l’ignore exactement, mais on sait que Moussey était la plaque tournante d’un réseau de résistance, celui de la vallée du Rabodeau. S’agit-il là du maquis auquel la FFF fait allusion en rendant hommage à Berg en 1948 ? D’autre part, on sait que les nazis commencent à déporter massivement les juifs vers les camps de concentration à partir de la mi-1942. Berg a-t-il été dénoncé ?

Quoiqu’il en soit, il est d’abord dirigé avec sa famille vers le camp d’Ecrouves près de Toul, qui fonctionne comme centre de tri : sa femme parviendra à prouver qu’elle n’est pas juive, à produire les certificats de baptême de ses enfants qui leur sauveront la vie ; pas Berg lui-même. Il est alors envoyé au camp de Drancy, antichambre de la déportation vers Auschwitz. Il y est admis le 12 octobre 1943. Mais il n’est pas déporté.

Sauvé de la déportation, piégé dans l’insurrection

Pourquoi ? un autre interné, Adolphe Altman, témoignera avoir croisé dans une annexe de Drancy, quai d’Austerlitz (qui fonctionnait comme entrepôt où étaient stockés les biens spoliés des juifs parisiens) « un juif strasbourgeois , Grégoire Berg , ingénieur, (qui) installe un monte-charge ». En clair : Berg a été gardé parce que ses compétences pouvaient être utilisées...

Mais Paris se soulève en août 1944, et le colonel FFI Henri Rol-Tanguy lance, le 18, un appel à l’insurrection. Berg profite alors des désordres provoqués par cette insurrection généralisée pour s’évader. Le 24 août, alors que Paris est libéré (Von Choltitz signe sa reddition le 25, à la fureur d’Hitler), le cadavre de Grégoire Berg est retrouvé dans le bois de Vincennes. Il a été fusillé par les Allemands, comme 55 autres, entre le 19 et le 23 août par la division « Das Reich ». Oui, la même division SS qui, à Oradour-sur-Glane...

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Affreuse ironie du sort, cette division comprend de nombreux jeunes alsaciens, des « malgré-nous » mobilisés de force par les Allemands, qui n’osent pas désobéir aux ordres de leurs officiers Allemands, et tirent...

La dépouille de Grégoire Berg n’a pas été immédiatement identifiée, et c’est la raison pour laquelle son nom ne figure pas sur la plaque commémorative apposée au fort de Vincennes ; elle ne le sera que plus tard, et sera rapatriée en Alsace de nouveau réunie à la France, et c’est à cette occasion que la FFF a honoré sa mémoire, au siège de la Ligue d’Alsace.

Que s’était-il passé entre le 18 et le 21, jour où il fut repris ? On l’ignore. Le plus probable est qu’il ait été pris les armes à la main sur une des 600 barricades dressées dans Paris, ou dans une cache. Les nazis considéraient comme terroriste toute personne prise en possession d’armes, et ne s’embarrassaient pas de prisonniers, au moment où ils s’apprêtaient à évacuer Paris. Il les ont donc fusillés sans autre forme de procès.

La mention « mort pour la France » a été inscrite sur l’acte de décès de Grégoire Berg à titre posthume le 11 janvier 1948.

Puis la mémoire de Grégoire Berg a été perdue.

Il est grand temps de la raviver...

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pour finir...

Pour cet article, Pierre Cazal a utilisé comme sources, outre la presse de 1922 (Miroir des Sports, consultable sur Gallica) et la thèse de Pierre Perny, les sites du Maitron, du Mémorial de la Shoah, Geni et résistance-deportation.org.

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