Les premiers Bleus : Jean Rigal, une si longue histoire

Publié le 5 avril 2024 - Pierre Cazal

Modeste joueur d’un club encore plus modeste, modeste international aux 10 défaites sur 11 matchs, Jean Rigal s’est quand même taillé une place dans l’histoire des Bleus en restant sélectionneur pendant la bagatelle de 46 ans !

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Louis Jean Rigal est né le 12 décembre 1890 à Boulogne-sur-Seine (aujourd’hui Boulogne-Billancourt) et a d’abord pratiqué l’athlétisme et le cross-country à l’ES Colombes, avant d’en venir au football à la création du patronage de l’AFGC (Association Fraternelle de La Garenne-Colombes) en 1906 par l’abbé Marchand. De bonne taille (pour l’époque), 1,72 m, bien en souffle, Jean Rigal n’était cependant pas des plus doués, d’où son positionnement comme demi-aile ; car, dans le système tactique du 2-3-5, c’était le poste le moins prisé.

Le demi aile « naviguait » entre l’ailier, qu’il devait contrôler, mais aussi l’inter, il était donc au four et au moulin et s’épuisait dans ce rôle d’essuie-glace. Voici ce que dit L’Auto, en 1912, à propos de Rigal : « Rigal fait un travail énorme, revenant secourir ses arrières débordés, et poussant ses avants à l’attaque » ; il les pousse tellement bien qu’il lui arrive même de shooter, et, rarement, de marquer, ce qui lui est cependant arrivé (sur corner) lors de sa première sélection, en 1909, contre les Belges.

L’un des bénéficiaires de l’avènement du CFI

On lui reproche d’être un peu lent (ce n’est pas un sprinter), mais on reconnaît qu’« il distribue le jeu de fort bonne façon » ; cependant en aucun cas, il n’est une vedette. Si l’USFSA n’avait pas claqué la porte de la FIFA en 1908, permettant à son rival, le CFI, de prendre la lumière, Jean Rigal n’aurait certainement pas été international. Il laissera sa place en équipe de France dès le retour de l’USFSA (via son affiliation au CFI), parce qu’il y avait meilleur que lui, même si la ligne intermédiaire Rigal-Ducret-Barreau avait plutôt bien fonctionné.

Le 28 janvier 1912 avant France-Belgique à Saint-Ouen. Jean Rigal est le premier joueur debout en partant de la droite. (Agence Rol, BNF Gallica)

Rigal céda sa place sans bruit et ne fut même plus retenu parmi les remplaçants dès 1913 ; il continua à jouer fidèlement pour l’AFGC, jusqu’en 1923, pour l’amour du jeu et de son club, car bien entendu il était et restait un amateur intégral dans ce patronage à l’ancienne. Représentant en tissus, il devint négociant, ouvrant un magasin rue du Sentier après–guerre.

La Grande Guerre dans un ballon captif

Quant au sport, il le pratiquait dans le plus pur esprit coubertinien, à savoir que l’essentiel était de participer. Ayant décroché son brevet d’aérostier en 1911 lors de son service militaire, Jean Rigal fit la Guerre de 14-18 dans un ballon… mais pas un ballon de football, un ballon dit « captif » d’observation. Ne souriez pas : la mission des aérostiers, envoyés à 800 mètres d’altitude, et rattachés au sol par un filin, tiré par un treuil, était de repérer les batteries d’artillerie ennemies, et de signaler leur position à notre propre artillerie, de façon qu’elle règle son tir pour anéantir l’ennemi !

Les ballons étaient bien sûr la cible de l’aviation allemande, et les aérostiers, munis d’un parachute au cas où leur ballon serait touché et prendrait feu. La mission n’était donc pas sans danger ! Jean Rigal fut même mobilisé en 1939 (à 48 ans passés) et affecté à un centre d’instruction des aérostiers, c’est dire la compétence qu’il avait acquise dans le domaine des ballons, de football comme d’observation !

Sélectionneur en arrière-plan dès 1922

Car l’autre volet de la carrière footballistique de Jean Rigal, c’est la fonction de sélectionneur, qu’il exerça à titre totalement bénévole à partir de 1922. Lui-même raconte que, comme à la suite de la démission de Maurice Wuillaume, il y avait une place à pourvoir dans le comité de sélection, qui comportait alors 5 membres, Henri Delaunay, secrétaire de la FFF, la lui avait proposée, et que, devant les réticences de Rigal, il lui avait dit d’accepter, mais de ne pas venir aux séances du comité s’il avait autre chose à faire !

Pourquoi étaient-ils cinq, dans ce comité (et il arriva qu’ils fussent sept !), alors qu’aujourd’hui un seul sélectionneur fait l’affaire ? Parce que la télévision n’existait pas, et qu’il fallait se déplacer pour superviser les joueurs susceptibles d’évoluer en équipe de France : il fallait donc se partager la tâche. Ensuite, les observations étaient mises en commun lors des séances du comité, au siège de la FFF, et l’on votait, en cas de désaccord !

C’est dire que les équipes choisies étaient souvent le résultat de compromis, que tout le monde n’était pas forcément sur la même longueur d’ondes. Pour sa part, Jean Rigal était très complice avec Gaston Barreau, dont il avait été le coéquipier (deux fois seulement) en équipe nationale. Autant Barreau était peu expansif, souvent évasif et décevant pour les journalistes, autant Rigal était volontiers volubile et « bon client ». Aussi se complétaient-ils et tiraient dans le même sens.

Le Miroir des Sports du 14 décembre 1937, après France-Italie. Jean Rigal est à gauche, Gaston Barreau à droite (BNF Gallica)

En charge des olympiques en 1936

En outre, Rigal était souple : conservé dans le comité lorsqu’il fut réduit à trois membres, en 1930, il accepta sans broncher d’être éliminé (au contraire de Maurice Delanghe) lorsque la FFF décida, après moult atermoiements, d’en venir au sélectionneur unique en 1936, qui fut Gaston Barreau. Mais Rigal se vit affecter à l’équipe de France amateur, créée en 1934, pour la différencier de l’équipe professionnelle, dans l’optique des Jeux olympiques, réservés aux amateurs, tout en restant l’adjoint de son ami Barreau : le Miroir des Sports, en mars 1938, écrit que « Rigal, sélectionneur en second de la fédération » assiste Barreau lors d’une séance d’entraînement de l’équipe de France en vue de la Coupe du monde ; on trouve également, sur la même revue, en 1937, « Rigal, le Barreau de l’équipe B ». C’est dire que, si, en principe Barreau est le sélectionneur unique, dans les faits, il est toujours assisté de son ami Rigal, et cela restera vrai jusqu’en 1956.

Après la Libération, on peut dire que Rigal est omniprésent, on trouve quantité de ses déclarations dans L’Equipe (qui a succédé à L’Auto en 1946) au sujet des joueurs qu’il supervise à jet continu, tandis que, fidèle à son image, Barreau se tait. Il s’occupe toujours de la sélection B, et, à partir d’août 1949, lorsque son rival Gabriel Hanot doit s’écarter, il reprend sa place dans un comité de sélection ressuscité.

Une préparation de sénateurs en 1954 en Suisse

Très proche des joueurs, qu’il appelle ses « petits », Rigal prend de l’importance, et il est même aux commandes, en pratique, lors de la préparation à la Coupe du monde 1954 en Suisse… mais il est trop laxiste et les joueurs se considèrent comme en vacances, ce qui rejaillira sur leur (contre) performance. Paul Nicolas, l’ancienne vedette des années 1920, est rappelé pour taper sur la table après la Coupe du monde, et Jean Rigal ne supportera pas l’autoritarisme de cet autre rival : il démissionnera du comité de sélection en mars 1957.

Néanmoins, il reste à la tête de l’équipe amateur, et voici ce qu’en dit Jean Rigal en 1962 : « L’équipe de France n’a aucune base stable, la plupart des internationaux sont sollicités et deviennent pros, il faut donc tous les ans rebâtir » ; aussi a-t-il décidé « de faire l’ossature de l’équipe de France avec les footballeurs rassemblés au Bataillon de Joinville pour la durée de leur service militaire », ce qui présente l’avantage de garantir une certaine homogénéité... mais pour un an.

Cette équipe est engagée aux Jeux olympiques, sans parvenir à y briller en raison de son aspect « bricolé », sauf pour les adieux de Rigal, prévus après le tournoi olympique de Mexico, en 1968. Les joueurs, qui appellent Rigal « Grand Papa » pour sa bienveillance, atteignent le stade des quarts de finale, ce qui n’était pas arrivé depuis 1924 ! Mais la présence de Rigal n’est en fait qu’honoraire : c’est Albert Borto qui dirige, dans les faits, l’équipe.

Jean Rigal est décédé le 5 novembre 1979 à Paris.

Les 11 matchs de Jean Rigal avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNote
1 Amical 09/05/1909 Bruxelles Belgique 2-5 90 1 but
2 Amical 22/05/1909 Gentilly Angleterre 0-11 90
3 Amical 03/04/1910 Gentilly Belgique 0-4 90
4 Amical 16/04/1910 Brighton Angleterre 1-10 90
5 Amical 15/05/1910 Milan Italie 2-6 90
6 Amical 01/01/1911 Charentonneau Hongrie 0-3 90
7 Amical 23/03/1911 Saint-Ouen Angleterre 0-3 90
8 Amical 09/04/1911 Saint-Ouen Italie 2-2 90
9 Amical 23/04/1911 Genève Suisse 2-5 90
10 Amical 30/04/1911 Bruxelles Belgique 1-7 90
11 Amical 28/01/1912 Saint-Ouen Belgique 1-1 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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