Pourquoi convoquer 23 joueurs pour deux matchs ?

Publié le 16 mars 2019 - Bruno Colombari

C’est devenu une règle depuis septembre 2012 : toutes les listes de l’équipe de France se font à 23, que ce soit pour disputer une phase finale mondiale ou pour jouer deux matchs en quatre jours. Est-ce vraiment utile ?

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En compétition, un match de football se joue au maximum à quatorze, dont trois remplaçants, une marge de manœuvre presque toujours utilisée désormais par les sélectionneurs pour qui le coaching en cours de rencontre est une arme stratégique. En phase finale, ils disposent sur le banc de l’équivalent d’une équipe bis et même un peu plus, avec douze joueurs (dont deux gardiens) pour doubler chaque poste. C’est un avantage certain par rapport à ceux, comme Michel Hidalgo en 1982, qui devaient inscrire seulement cinq remplaçants sur la feuille de match, les autres allant s’installer en tribune.

Les listes s’allongent en 2012

Jusqu’à l’Euro 2012, cette règle ne s’appliquait qu’en phase finale. Pour les autres matchs de compétition, c’est-à-dire ceux des phases qualificatives, la feuille de match pouvait contenir 18 noms, soit sept remplaçants. Mais quelques mois plus tôt, en mai 2011, la FIFA indiquait ceci dans son règlement pour des phases qualificatives à la Coupe du monde 2014 :

Article 17.3 La liste de départ peut comporter un maximum de 23 joueurs (11 titulaires et 12 remplaçants) par équipe. Les 11 premiers nommés doivent démarrer la rencontre ; les 12 autres sont désignés comme remplaçants. Les numéros figurant sur le maillot des joueurs doivent correspondre aux numéros indiqués sur la liste de départ (1 à 23 uniquement). Tous les gardiens de but et le capitaine doivent être identifiés comme tels. Trois joueurs doivent être des gardiens de but, le numéro un sur le maillot devant être réservé à l’un d’eux.

C’est donc Didier Deschamps qui inaugure cette possibilité en septembre 1992, au moment de faire sa liste pour les deux matchs en Finlande et contre la Biélorussie.

De cinq à dix abonnés au banc

Je me suis demandé combien de joueurs, parmi ces 23 convoqués, n’étaient jamais sortis du banc lors des trois heures de jeu. Et pour comparer sur la durée, j’ai fait le même travail lors des autres séries de deux matchs de compétitions consécutifs jusqu’à maintenant. Le cas s’est présenté huit fois : en septembre 2012 donc, en mars 2013 (Géorgie et Espagne), en septembre 2013 (Géorgie et Biélorussie), en novembre 2013 (Ukraine deux fois en barrages aller-retour), en octobre 2016 (Bulgarie et Pays-Bas), en août-septembre 2017 (Pays-Bas et Luxembourg), en octobre 2017 (Bulgarie et Biélorussie) et en septembre 2018 (Allemagne et Pays-Bas).

J’ai écarté les séries comportant un match amical et un match de compétition (ou deux matchs amicaux), le nombre de remplacements pouvant aller jusqu’à six dans ces cas-là.

Dans le cercle bleu, les joueurs ayant participé aux deux matchs (peu importe le temps de jeu et le statut de titulaire ou remplaçant), dans le cercle gris, ceux qui ont disputé un seul des deux matchs et dans le cercle rouge, ceux qui n’ont pas joué du tout. Les joueurs dont le nom est suivi d’une astérisque n’ont été présent qu’une fois. Ils ont manqué l’autre rencontre pour cause de suspension ou de blessure, ou parce qu’ils ont été appelés entre les deux pour pallier l’une ou l’autre.

Dix-huit joueurs utilisés au maximum

Sur ces huit séries, le constat est clair : jamais Deschamps n’a utilisé ses deux gardiens remplaçants, le titulaire étant toujours le même (Lloris) sauf une fois en septembre 2018 (Areola). Et il a laissé au moins cinq joueurs sur le banc lors des deux matchs à chaque fois, le maximum étant dix (en septembre 2017). Autrement dit, avec 18 joueurs à sa disposition, il n’aurait jamais manqué de rien. 18, tiens, c’était justement la limite d’inscrits sur la feuille de match jusqu’en 2012...

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L’autre enseignement qu’on peut tirer de ces séries, c’est que Deschamps est très conservateur en compétition, en s’appuyant sur un groupe fermé pour composer ses équipes : les cercles bleus comptent entre 9 et 14 joueurs, mais généralement 11 ou 12. Il complète ensuite avec les joueurs des cercles gris, ceux qui ont participé à un seul des deux matchs. Les cercles rouges contiennent évidemment ceux qui n’ont pas joué.

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Les deux cas extrêmes se trouvent en novembre 2013, lors du barrage aller-retour contre l’Ukraine, et en août-septembre 2017. Dans le premier cas, il n’y a que 9 joueurs à avoir disputé les deux rencontres : la rotation entre le match aller à Kiev et le retour à Saint-Denis a été intense, avec le changement de la charnière centrale (Sakho-Varane à la place de Abidal-Koscielny, ce dernier étant suspendu), de la pointe (Benzema plutôt que Giroud) et de deux milieux offensifs (Valbuena-Cabaye à la place de Nasri-Rémy). Il y en a aussi 9 à avoir participé à un seul des deux matchs.

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Dans le second, contre les Pays-Bas et le Luxembourg en 2017, la polarisation est maximale : Didier Deschamps n’a utilisé que 14 joueurs, les mêmes pour les deux rencontres, et en a laissé donc 10 sur le banc, presque une équipe entière (pour un total de 24, Tolisso ayant remplacé Zouma blessé). Ce n’était pas vraiment l’idée du siècle : après une brillante victoire contre les Pays-Bas (4-0), les Bleus avaient pioché dans les grandes largeurs pour un 0-0 historique face au Grand-Duché, la seule fois en 18 confrontations où ils ne marquaient pas le moindre but.

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Une zone tampon entre ceux qui jouent et ceux qui ne sont pas appelés

Alors bien sûr, Didier Deschamps ne fait qu’utiliser une règle dont il dispose, comme tous les autres sélectionneurs. Et après tout, pourquoi pas 23 joueurs ? Si on devait défendre cette règle, on pourrait dire qu’elle permet, je l’ai dit, de doubler chaque poste (et de tripler celui de gardien). C’est certainement confortable aussi pour les séances d’entraînement, les exercices, les oppositions et les petits jeux. Prendre 23 joueurs limite les risques d’erreur de casting pour le sélectionneur (ou plus précisément, limite les conséquences d’une erreur) et enfin place le groupe en configuration phase finale, ce qui peut être instructif pour le staff : certains joueurs ont fait les frais de leurs difficultés d’intégration ou de comportement, sans même jouer d’ailleurs.

Mais on peut trouver aussi des arguments contre ce principe d’une liste pléthorique : on l’a vu, cela signifie qu’entre cinq et dix joueurs se déplacent pour rien, et souvent, comme le montrent les schémas ci-dessus, à plusieurs reprises. On peut imaginer que cette zone tampon entre ceux qui jouent et ceux qui ne sont pas appelés achète en quelque sorte la paix sociale du sélectionneur, mais à quel prix ? En créant un groupe à trois vitesses : les titulaires, dont l’intouchabilité semble renforcée par le titre mondial, les remplaçants du premier cercle appelés à boucher les trous et à entrer en cours de match et ce qu’on pourrait appeler les réservistes.

Enfin, ce n’est pas le plus important mais c’est caractéristique d’une époque : la course en avant. Toujours plus de compétitions, toujours plus de matchs dans la saison, toujours plus de chaînes de télé (avec des tarifs toujours plus élevés), toujours plus de technologie pour assister les arbitres, toujours plus d’équipes dans les phases finales, toujours plus de joueurs dans les effectifs des grands clubs et donc toujours plus de remplaçants sur le banc. Qui n’est même plus un banc, d’ailleurs, mais un alignement de sièges baquets grand confort. Au moins, ceux qui n’en sortent pas sont-ils bien installés !

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