Mise à jour d’un article initialement paru en septembre 2019.

Si Roger Lemerre avait réussi le coup du siècle le 2 juillet 2000 à Rotterdam contre l’Italie en faisant entrer en jeu Sylvain Wiltord, David Trezeguet et Robert Pirès, si Aimé Jacquet s’était adapté à l’expulsion de Marcel Desailly face au Brésil en 1998 en appelant Patrick Vieira qui allait devenir le dernier passeur décisif de la finale, on ne peut pas dire que Didier Deschamps se soit particulièrement distingué par son coaching en cours de rencontre. Même si on doit mettre à son crédit le remplacement très judicieux d’un N’Golo Kanté dépassé par un Steven Nzonzi efficace le 15 juillet 2018 à Moscou, ou ceux de Griezmann, Giroud et Dembélé par Coman, Marcus Thuram et Kolo Muani le 18 décembre 2022 à Doha.

Pour étudier comment l’actuel sélectionneur gère les changements, j’ai retenu les 106 matchs de compétition depuis son arrivée en août 2012.

• En violet, les joueurs sortants, en orange les entrants, positionnés en attaque, au milieu et en défense. La grande majorité des remplacements sont des postes pour poste, les variantes possibles se situant plutôt dans les secteurs du jeu (un milieu excentré remplacé par un récupérateur, par exemple). Les changements en défense sont très rares et généralement entraînés par des blessures.

20 buts de remplaçants... en 106 matchs

Ces 106 matchs ont donné lieu à 354 changements, sur 422 possibles (55x3 + 51x5 + 2). Autant dire que Didier Deschamps a largement utilisé les rotations qu’il avait à sa disposition. 14 matchs n’ont vu entrer que deux remplaçants (Géorgie et retour contre l’Ukraine 2013, Nigéria 2014, Suisse et Biélorussie 2016, Suède 2017, Belgique 2018, Islande 2019, Portugal deux fois en 2020, Bosnie et Allemagne 2021, Maroc 2022, Pays-Bas 2024 et Italie novembre 2024), dont quand même 6 en phase finale européenne ou mondiale. Et 4, face à la Suède en 2016, la Moldavie en 2019 (retour), l’Angleterre en 2022 et la Belgique en juillet 2024, n’ont donné lieu qu’à un seul changement, ce qui est rarissime désormais.

La possibilité de faire cinq changements en compétition (au lieu de trois) à partir d’octobre 2020 a été largement utilisée depuis, mais à l’Euro en juin 2021, il a fait quatre changements face au Portugal, à la Hongrie et à la Suisse, alors qu’en Ligue des Nations, contre la Belgique et l’Espagne (avec un risque de prolongations), il s’est contenté de trois. Lors de la Coupe du monde 2022, il s’est contenté de quatre remplacements face au Danemark, la Tunisie et la Pologne, mais en finale face à l’Argentine, il est monté à sept (les six prévus en cas de prolongation et un septième pour un protocole commotion). A l’Euro 2024, il a fait quatre changements contre l’Autriche, le Portugal (malgré la prolongation) et l’Espagne.

D’un strict point de vue statistique, l’impact des entrants est des plus limités : les remplaçants n’ont inscrit que 20 buts. Sur 354 changements, dont 183 concernant des joueurs offensifs, c’est extrêmement léger. Et encore, si on regarde dans le détail ces 18 buts, cinq ont été décisifs : l’égalisation d’Olivier Giroud au bout du temps additionnel contre l’Espagne en octobre 2012 (1-1), le but du 3-2 inscrit par Samir Nasri à la 70e contre la Biélorussie en septembre 2013 (4-2), celui d’Antoine Griezmann à la 90e de France-Albanie à l’Euro 2016 (2-0), celui d’Olivier Giroud à la 78e contre la Turquie en octobre 2019 (1-1) et celui de Kylian Mbappé en Autriche en juin 2022 (1-1).

Ceux de Karim Benzema contre la Finlande en 2013 (3-0) et 2021 (2-0), de Kylian Mbappé face aux Pays-Bas en 2017 (4-0), de Wissam Ben Yedder contre Andorre en 2019 (3-0), d’Olivier Giroud contre la Croatie en 2020 (4-2) et Gibraltar en 2023 (14-0), de Kingsley Coman face à la Suède en 2020 (4-2), de Randal Kolo Muani contre le Maroc en 2022 (2-0), de Marcus Thuram contre l’Irlande en 2023 (2-0), d’Ousmane Dembélé et Youssouf Fofana face à Gibraltar en 2023 (14-0) ou de Mattéo Guendouzi et Bradley Barcola contre Israël en octobre 2024 (4-1) n’ont fait que clore des scores confortables. On constatera au passage que 4 des 11 buteurs entrés en cours de match ont plutôt le profil de titulaire.

En phase finale, des changements tactiques

Ces statistiques décevantes doivent toutefois être modérées en se souvenant de l’importance des entrées de Matuidi et Giroud à la place de Tolisso et Dembélé contre l’Australie en 2018, ou de Nzonzi à la place de Kanté en finale face à la Croatie, de Pogba et Griezmann contre l’Albanie en 2016 et de Coman contre l’Irlande en 2016. Pogba et Coman étaient d’ailleurs entrés à la mi-temps, chose très rare avec Deschamps. Kolo Muani et Thuram étaient même entrés avant la pause contre l’Argentine en 2022, et avaient, avec Coman et Camavinga par la suite, largement contribué au redressement d’une situation très compromise (mais sans permettre la victoire finale). Ces exemples montrent que les remplacements peuvent aussi avoir pour objectif de rééquilibrer l’équipe ou de changer sa disposition.

A quel moment interviennent les changements ? La réponse est claire : pour la quasi-totalité dans la dernière demi-heure, et pour près de la moitié, dans le dernier quart d’heure. Il n’y a eu que 6 changements avant la pause, dont deux face à l’Argentine en finale de la Coupe du monde 2022, en plus de celui de Lucas Hernandez, blessé, au tout début du match contre l’Australie, un mois plus tôt.

Le changement, c’est tout le temps (additionnel)

Didier Deschamps est même un adepte du changement dans le temps additionnel. Il en a fait 13, dont l’objectif était toujours de gagner quelques secondes avec la victoire acquise, sauf une fois, en mars 2013 contre l’Espagne (0-1). Olivier Giroud avait remplacé Christophe Jallet. Un avant-centre pour un défenseur latéral ! Mais à la 92e, c’était évidemment bien trop tard. Trop tardive aussi l’entrée d’Anthony Martial à la place de Moussa Sissoko en 2016 contre le Portugal (110e, juste après le but d’Eder).

Le sélectionneur champion du monde, qui n’était pas adepte des changements groupés jusqu’à la fin 2019, en a fait beaucoup depuis l’automne 2020 : contre la Suède en novembre (entrée de Zouma et Digne aux places de Varane et de Hernandez à la mi-temps), deux fois contre la Croatie en octobre (Giroud et Hernandez aux places de Griezmann et Digne à la 83e, Coman et Camavinga aux places de Martial et Tolisso à la 63e), face à la Croatie en septembre (Camavinga et Giroud pour Kanté et Ben Yedder à la 63e) et contre la Suède, toujours en septembre (Mendy et Nzonzi à la place de Dubois et Giroud à la 89e). A l’Euro 2021, où pour la première fois étaient possibles en phase finale 5 changements limités en trois vagues (plus la mi-temps), il l’a fait face à l’Allemagne (Dembélé et Tolisso à la place de Benzema à la 89e) et la Hongrie (Tolisso et Giroud pour Pogba et Benzema à la 76e).

A l’automne 2021, il a utilisé cette possibilité contre la Bosnie (Coman et Martial pour Griezmann et Benzema à la 76e), en Ukraine (Benzema et Diaby pour Martial et Coman à la 64e), face à la Finlande (Lenglet et Tchouaméni pour Kimpembe et Griezmann à la 89e), contre la Belgique (Dubois et Veretout pour Pavard et Benzema à la 89e), face au Kazakhstan (Tchouaméni et Diaby pour Kanté et Benzema à la 71e, Lenglet et Pavard pour Lucas Hernandez et Coman à la 80e) et enfin en Finlande (Coman et Benzema pour Koundé et Diaby à la 57e).

C’est maintenant devenu classique : en 2024, il y a même eu des triples changements à l’Euro contre la Pologne (61e, entrées de Camavinga, Griezmann et Giroud aux places de Rabiot, Kanté et Barcola) et l’Espagne (62e, entrées de Camavinga, Griezmann et Barcola pour Rabiot, Kanté et Kolo Muani) et en septembre face à l’Italie (77e, Zaïre-Emery, Thuram et Koundé pour Kanté, Griezmann et Clauss).

Auparavant, ce type de changement groupé était plus rare : on en trouve contre l’Albanie en septembre 2019 à la 84e (entrées de Digne et Fekir à la place d’Hernandez et Lemar), à Konya contre la Turquie en juin 2019, qui plus est à la mi-temps, à 0-2 (entrées de Mendy et Coman à la place de Digne et Matuidi). Et contre l’Australie en 2018 à 2-1 (entrées de Giroud et Matuidi à la 79e), juste avant le but victorieux initié par Pogba, contre le Luxembourg en 2017 (Coman et Lacazette à la 59e), sans succès (0-0), et contre la Suède en 2017 (Lemar et Mbappé à la 76e) alors que le score était à 1-1 (défaite 1-2). En 2012 contre la Finlande, Cabaye et Rémy étaient entrés à la 70e alors que les Bleus n’avaient qu’un but d’avance (30- à la fin).

Pour plus de précision, j’ai donc regardé quel était le score de ces 94 matchs à la 60e minute, pour voir comment il évoluait lors de cette dernière demi-heure réservée aux changements.

La plupart du temps, le résultat ne change pas. Dans plus des trois quarts des matchs (78 fois), l’équipe qui mène à la 60e l’emporte (même si d’autres buts sont marqués après), et s’il y a un nul, les deux équipes se séparent sans vainqueur. Il n’y a eu que 28 matchs où soit le résultat s’est retourné (l’équipe menée l’emporte), soit l’équipe menée a égalisé, soit l’une des deux a fait la différence.

93% de victoires dans la dernière demi-heure avec l’avantage au score

Quand c’est l’équipe de France qui mène à la 60e, vous pouvez parier sans crainte sur une victoire : 52 fois sur 56 ! Dommage que la 49e soit un certain France-Suisse à Bucarest en juin 2021. Après avoir été menés 0-1 à la mi-temps, les Bleus renversent la table par un doublé éclair de Benzema aux 57e et 59e minutes. Pogba enfoncera même le clou un quart d’heure plus tard, mais pas suffisamment pour empêcher la Suisse de revenir et de l’emporter aux tirs au but. Les deux autres datent de juin 2022, contre le Danemark (1-0 puis 1-2) et la Croatie (1-0 puis 1-1).

Quand le score est en équilibre à l’heure de jeu, le risque de défaite existe mais il est minime : 3 fois sur 34. L’équipe de France a lâché dans le dernier tiers contre l’Ukraine en novembre 2013 (0-2), contre le Portugal en 2016 (en prolongations, 0-1) et face à la Suède en 2017 (1-2 sur une relance manquée de Lloris dans le temps additionnel). Pour le reste, c’est 14 victoires et 17 nuls.

Enfin, quand c’est l’équipe adverse qui mène, les Bleus perdent un peu plus d’une fois sur deux. Mais ce n’est arrivé qu’à 9 reprises en plus de 12 ans : contre l’Espagne en 2013 (but de Pedro à la 58e), face à l’Allemagne en 2014 (Hummels 12e), contre les Pays-Bas en novembre 2018 (Wijnaldum 44e), en Turquie en juin 2019 (Ayhan 30e et Under 40e), en Croatie (Modric 5e), au Danemark (Dolberg 34e, Skov Olsen 39e) en 2022 et plus récemment face à l’Espagne (Yamal 21e et Olmo 25e) et l’Italie (Dimarco 30e et Frattesi 51e). Ils ont renversé le score quatre fois (en 2013 en Biélorussie, contre l’Allemagne en octobre 2018 et face à la Belgique en 2021). Et quatre fois ils ont arraché le nul, sur le fil en Espagne en octobre 2012, contre la Hongrie en juin 2021, contre l’Autriche en 2022 en devant l’Argentine en 2022.

Passons maintenant aux remplaçants et aux remplacés. Parmi les 66 sortants et les 73 entrants, la rotation la plus fréquente est celle qui concerne Antoine Griezmann et Nabil Fekir. Le Lyonnais a suppléé le Madrilène 9 fois dans un changement poste pour poste. Derrière viennent le duo d’avant-centres Olivier Giroud/Marcus Thuram (7 fois) ou les attaquants Ousmane Dembélé/Kingsley Coman (8 fois) et les relayeurs Blaise Matuidi/Corentin Tolisso (4 fois) et Eduardo Camavinga/Youssouf Fofana (4 fois).

Exclusifs et couteaux suisses

On pourrait aussi définir une catégorie des exclusifs, ce qui ne permutent qu’avec un seul partenaire : c’est le cas de Kevin Gameiro, remplacé deux fois sur deux par André-Pierre Gignac. Dans l’autre sens, on a Jonathan Ikoné trois fois pour Kingsley Coman et Laurent Koscielny deux fois pour Mamadou Sakho.

A l’inverse des exclusifs, voici les couteaux suisses, ceux qui sont remplacés par toute une foule de joueurs. A ce jeu-là, Antoine Griezmann est en tête avec 23 suppléants sur 34 matchs incomplets : Fekir, Coman, Fofana, Sissoko, Mbappé, Kanté, Nkunku, Giroud, Cabaye, Camavinga, Ben Yedder, Veretout, Dembélé, Matuidi, Tchouaméni, Rabiot, Guendouzi, Ndombele, Rémy, Thauvin, Kolo Muani, Marcus Thuram et Nzonzi. Il fait mieux qu’Olivier Giroud avec 19 remplaçants différents sur 38 rotations (Ben Yedder, Benzema, Coman, Dembélé, Fekir, Gameiro, Griezmann, Gignac, Lacazette, Martial, Mbappé, Nzonzi, Pogba, Sissoko, Valbuena, M.Thuram, Kolo Muani, M.Diaby et Nkunku).

Côté remplaçants, Moussa Sissoko fait presque aussi bien avec 13 titulaires différents remplacés en 17 entrées en jeu (Griezmann 3 fois, Matuidi et Ndombele 2 fois, Giroud, Benzema, Coman, Lemar, Ménez, Payet, Pogba, Ribéry, Rémy et Valbuena). Si ce n’est pas de la polyvalence...

Tous les changements en compétition depuis septembre 2012

Le tableau est trié par défaut en fonction de la minute de remplacement. Il est triable par chaque colonne. Les minutes suivies d’une astérisque correspondent au temps additionnel (et pas aux prolongations).