Lire l’article sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 93
Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
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Soccernostalgia : Quelle était l’ambiance en équipe de France avec Michel Platini à l’automne 1991, après une excellente saison en équipe nationale et un Olympique de Marseille impressionnant en Europe ?
Richard Coudrais : Les résultats de l’OM et de l’équipe de France vont de pair puisque les deux équipes ont de nombreux joueurs en commun. L’équipe-type de Michel Platini compte au moins huit joueurs marseillais : Amoros, Angloma, Boli, Casoni, Deschamps, Durand, Sauzée et Papin. Le club phocéen a perdu la finale de la Coupe des Champions mais a effectué un gros recrutement pour remporter l’édition suivante. Le moral est au beau fixe d’autant que l’on entre dans l’une des meilleures périodes du football français avec des clubs qui vont briller en Coupes d’Europe.
La France avait remporté ses cinq matches de qualification européenne et la qualification était probable. Mais y a-t-il eu une inquiétude puisqu’il y a eu deux matches à l’extérieur contre ses deux principaux adversaires ?
Bien sûr, le plus dur reste à faire puisque les Bleus doivent se déplacer en Tchécoslovaquie puis en Espagne, deux équipes qui restent en course pour la première place du groupe, la seule qualificative pour l’Euro. Le fait d’avoir fait le plein lors des cinq premiers matchs donne une grande confiance aux Tricolores mais on sait que les matchs de Bratislava et de Séville vont vraiment permettre d’évaluer cette équipe de France.
La saison a commencé par un match amical à Poznań contre la Pologne le 14 août 1991. Amara Simba a fait ses débuts internationaux. Malgré la victoire (5-1), la France a connu des difficultés en première mi-temps et Platini les a décrits comme « les 25 premières minutes les plus catastrophiques depuis que je suis sélectionneur ». Quelle a été la réaction de la presse ?
C’est un match assez paradoxal. Le score donne l’impression que l’équipe de France s’est baladée et il fait oublier que le début de match a été difficile. La Pologne aurait pu mener de deux ou trois buts. Finalement, les Français s’imposent 5-1. Michel Platini s’est efforcé de minimiser le résultat car je crois qu’il avait peur que ses joueurs s’enflamment alors que deux matchs importants les attendaient. Il a conscience que malgré une série de bons résultats, son équipe était très perfectible et bénéficiait d’une grande réussite.
Le premier match de qualification pour l’Euro de la saison fut un déplacement difficile à Bratislava, le 4 septembre 1991. La France s’imposait (2-1) grâce à un doublé de Papin. La France a pratiquement scellé sa qualification de manière impressionnante. Comment a été perçue cette importante victoire à l’extérieur ?
Encore une fois, le match a commencé de manière catastrophique. Le capitaine Manuel Amoros fait une erreur de débutant en dégageant le ballon dans l’axe. Celui-ci est récupéré par Nemecek dont le tir est dévié par Basile Boli, ce qui trompe Bruno Martini. Cela sentait l’hécatombe mais une fois de plus, les hommes de Platini démontrent qu’ils sont très forts dans l’adversité. Ils retournent le match en leur faveur et Jean-Pierre Papin marque deux buts, sur deux passes de Christian Perez qui est entré à la mi-temps. On loue alors l’efficacité de Papin, qui est alors le meilleur avant-centre d’Europe, et le coaching de Platini, dont les remplacements s’avèrent souvent pertinents.
Lors du match de qualification suivant, le 12 octobre 1991, à Séville, la France bat l’Espagne (2-1) pour sa septième victoire consécutive grâce à un but du vétéran renaissant Luis Fernandez (comme en 1988) et une autre frappe de Papin. Était-ce l’apogée de Platini comme sélectionneur ?
On peut en effet dire que c’est le sommet de la carrière du sélectionneur Platini puisque cette victoire permet d’accrocher la qualification pour l’Euro 1992, qui n’était pas forcément envisagée un an plus tôt. Et il n’a rien remporté depuis. Cette fois, le match a très bien débuté, avec deux buts inscrits dans les vingt premières minutes. L’Espagne n’avait jamais perdu à Séville jusqu’alors. Cette victoire, ajoutée à celle de Bratislava, fait prendre conscience à l’Europe que l’équipe de France est bien de retour.
Le dernier match de la campagne de qualification eut lieu le 20 novembre 1991, au Parc des Princes contre l’Islande. La France s’est imposée confortablement (3-1) comme prévu. Pour la première fois, la France a remporté tous ses matches lors d’une campagne de qualification. Quelle importance cela avait-il à l’époque ?
L’enjeu du match contre l’Islande est de réaliser "le grand huit”. Jean-Pierre Papin est absent et Eric Cantona a à cœur de démontrer qu’il peut également être un grand leader d’attaque. Il est associé à Amara Simba, devenu célèbre grâce à des buts spectaculaires en championnat, mais dont on doute de la constance au niveau international. Simba marque un but et Cantona deux, mais le match est loin d’être facile car les Islandais sont très embêtants à jouer et leur gardien fait un grand match. Ce grand chelem réussi par les Tricolores impressionne.
À la fin de l’année 1991, l’année de la France et de l’Olympique de Marseille est récompensée par la victoire de Jean-Pierre Papin au Ballon d’Or. Était-ce le reflet d’une renaissance du football français ?
C’est la première fois qu’un joueur du championnat de France reçoit le Ballon d’Or. Cela récompense à la fois la performance des Bleus mais aussi celle de l’Olympique de Marseille sur le front européen. Il est rare que le football français soit performant tant en club qu’en sélection. Malgré tout, il n’a remporté aucun titre cette année-là, à part ce Ballon d’Or.
En cette fin d’année, l’inquiétude était grande puisqu’Eric Cantona, désormais à Nîmes, a insulté la commission disciplinaire de la Ligue et a été suspendu pendant des mois. Cela l’a forcé à rejoindre l’équipe de la Ligue anglaise Leeds United. Pouvez-vous décrire ce drame ?
Eric Cantona se fait exclure à l’occasion d’un houleux Nîmes-Saint-Etienne pour avoir jeté un ballon sur l’arbitre. Il craque ensuite face à la commission de discipline et se retrouve suspendu. Il déclare alors mettre un terme à sa carrière. Platini, qui compte sur lui pour l’Euro 1992, intervient pour le faire changer d’avis et lui trouver un club. A l’époque, il n’y a que le l’Angleterre qui peut recruter en janvier. Il faut préciser que le championnat anglais de l’époque est dans le creux de la vague après les suspensions dues au Heysel. Il accueille en outre peu de joueurs étrangers. Après avoir failli signer à Sheffield Wednesday, Cantona se retrouve à Leeds, qui va remporter le championnat. Même s’il est souvent remplaçant, Cantona commence à se faire un nom. Platini est quant à lui soulagé : il pourra compter sur Cantona à l’Euro.
La nouvelle année débute par un match amical à Wembley contre l’Angleterre (adversaire du premier tour de l’Euro) le 19 février 1992. La France s’incline (0-2) et met fin à sa série d’invincibilité (19 matches). La dernière défaite remonte au 8 mars 1989 contre l’Écosse. Platini a minimisé cette défaite, mais rétrospectivement, était-ce le début du déclin de l’équipe ?
Je considère ce match comme la grosse erreur de coaching de Platini. Au lieu de mobiliser ses joueurs, il leur fait savoir qu’une défaite n’est pas grave et qu’elle n’impactera pas leur présence à l’Euro. En somme, il leur donne un droit de perdre. Les Bleus font une bonne première mi-temps, mais ils sont dominés en seconde période sur des buts d’Alan Shearer (dont c’est la première sélection) et Gary Lineker. On ne le sait pas encore, mais une dynamique a été brisée.
Manuel Amoros a fait sa 77e apparition, un record. Il a mis fin à sa carrière avec l’équipe nationale après une décennie à la fin de l’Euro. Quel est son héritage avec les Bleus ?
Manuel Amoros a fait une énorme carrière. Il s’est imposé chez les Bleus durant la Coupe du monde 1982 alors qu’il n’avait que vingt ans et n’a plus jamais quitté l’équipe (sauf lors de l’Euro 1984 où il est suspendu trois matchs après un coup de boule lors du match d’ouverture). Il a pris le capitanat lorsque les grands noms se sont retirés, mais il n’a pas pu empêcher le déclin de l’équipe, au même titre que Luis Fernandez. Il a fait une belle carrière en club également, notamment à l’OM où il a apporté son expérience et son agressivité. Un des meilleurs arrières latéraux de l’histoire, assurément.
Lors de son prochain match amical, le 25 mars 1992, la France (avec un nouveau design de maillot) ne rebondit pas et le match se termine par un match nul (3-3) au Parc des Princes. Leur forme devenait-elle inquiétante à ce stade ?
L’adversaire est la Belgique, une très bonne équipe avec Scifo, Albert, Wilmots… Elle n’a pas pu se qualifier pour l’Euro car elle a été devancée par la RFA. Au Parc, les Belges mènent trois fois au score mais les Français reviennent à chaque fois. Et puis il y a ce but extraordinaire de Papin qui ramène les deux équipes à 3-3. On a dès lors plus parlé de cette Papinade que des difficultés rencontrées par les Bleus pendant ce match.
Avant l’Euro, la France poursuit sa mauvaise forme avec une défaite contre la Suisse à Lausanne (27 mai 1992) et un match nul (1-1) à domicile à Lens contre les Pays-Bas le 5 juin 1992. Compte tenu de la perte de forme lors de l’Euro, nouvelle année, quelles étaient les attentes pour l’Euro ?
Le match contre la Suisse est le premier disputé pendant la préparation. Les Bleus s’inclinent 2-1 alors qu’ils ont ouvert le score. L’équipe joue sans Papin et démontre qu’elle est très dépendante du buteur marseillais. Contre les Pays-Bas dix jours plus tard, Papin est présent et c’est lui qui ouvre le score. Les Français concèdent malgré tout l’égalisation et se font balader par des Hollandais inspirés, qui restent les grands favoris à leur propre succession. Platini ne semble pas s’inquiéter de cette série de mauvais résultats. Tout le monde pense que l’esprit de compétition des joueurs va se réveiller pendant le tournoi.
L’Euro a débuté le 10 juin 1992 contre la Suède à Stockholm. La France s’en sort avec un (1-1). Est-ce considéré comme un résultat satisfaisant face au pays hôte ?
Ce qu’il y a de satisfaisant est que l’on retrouve le schéma des matchs éliminatoires. Une entame de match difficile avec un but encaissé rapidement, puis Papin qui rétablit la situation en marquant sur une passe de Christian Perez. Il n’y a pas encore d’inquiétude à proprement parler, même si les Bleus n’ont pas maîtrisé le match comme on l’attendait.
Pour son match suivant le 14 juin 1992, contre l’Angleterre à Malmö, pensez-vous que la défaite en amical en février a contraint Platini à jouer un match plus défensif. Le match s’est terminé sans but. Quelle a été la réaction de la presse suite à ce match ?
Jamais l’équipe de France, dans toute son histoire, n’a rencontré une équipe d’Angleterre aussi faible. Et pourtant elle ne l’a pas battue car l’équipe de France était elle-même très faible. Je ne pense pas que Platini a monté son équipe par rapport à la défaite de Wembley quatre mois plus tôt. Il a toujours misé sur une base défensive à cinq hommes quel que soit l’adversaire.
A la fin de ce match, il y avait l’image de Jean-Pierre Papin levant les bras en triomphe après un match si austère. Quelle a été la réaction de la presse face à son geste ?
Oui. Ce geste de Papin est curieux. Il trahissait un excès de confiance des Bleus persuadés qu’ils allaient battre le Danemark et se qualifier. Un péché d’orgueil inadmissible à ce niveau. On allait forcément y revenir dès que l’équipe de France se ferait sortir.
La France est éliminée de l’Euro le 17 juin 1992, après s’être inclinée (1-2) face au futur vainqueur, le Danemark, à Malmö. La France était considérée comme favorite avant ce match, quelle a été la réaction après cette défaite inattendue ?
L’équipe de France a clairement été surprise par la vitalité des joueurs danois, qui n’avaient rien à perdre puisqu’ils n’auraient même pas dû participer au tournoi (ils ont été repêchés après l’exclusion de la Yougoslavie). On a pourtant cru au miracle Papin lorsque celui-ci a égalisé mais les Bleus ont ensuite concédé un but sur une incroyable faute de placement de la défense. Une fois éliminés, les Tricolores ont reçu une volée de bois vert tant pour le jeu pratiqué que pour leur attitude.
Lors d’une conférence de presse en Suède, après avoir été critiqué pour le style de jeu de la France, Platini a répondu que le football n’est pas comme le patinage artistique, qu’ils ne distribuent pas de points sur le style. Était-il justifié pour les tactiques négatives de l’équipe ?
C’est un peu la réponse standard des entraîneurs qui font pratiquer à leur équipe un jeu défensif : « Si vous voulez du spectacle, allez au théâtre... ». Platini assure également qu’il ne peut pas faire autrement, vu les joueurs qu’il a à disposition. C’est un peu abusé car le championnat disposait quand même de joueurs assez créatifs comme Vercruysse, Ferreri ou Bravo. Enfin, le sélectionneur avouera que son équipe était parfaite pour disputer des éliminatoires, mais pas une phase finale et qu’il aurait dû modifier son équipe. Il a eu le temps de le faire mais sans doute n’avait-il plus la motivation.
Dans une interview, Jean-Pierre Papin a déclaré qu’ils auraient dû commencer chaque match (0-1) et tout s’en serait bien passé. C’était une référence au fait que la France ne commençait à jouer que lorsqu’elle était menée. Était-ce également le consensus de la presse ?
C’est une équipe de réaction et c’est ce qui a longtemps fait sa force. Après, l’Euro 1992 a surtout révélé les faiblesses de cette équipe, et de la réussite dont elle a bénéficié pendant les éliminatoires. Platini lui-même répétait souvent que ses joueurs n’étaient pas tous au niveau, mais on l’écoutait peu sur ce point.
Michel Platini démissionne le 2 juillet 1992 et est immédiatement nommé membre du comité d’organisation de la Coupe du monde 1998 qui se déroulera en France. Sa décision était-elle attendue ?
Oui. On le savait très motivé à l’idée d’organiser la Coupe du monde en France et c’est pour cette raison qu’il a quitté son poste de sélectionneur. En interne, beaucoup disent que Platini avait décroché depuis longtemps et que son manque de motivation a été ressentie par les joueurs.
Il a été remplacé par son adjoint Gérard Houllier. Comment cette nomination a-t-elle été perçue à l’époque ?
C’est une nomination qui va dans l’ordre des choses. A peu d’exception près, quand le sélectionneur s’en va, c’est l’adjoint qui prend sa place. Platini était justement l’exception de cette période. Il ne faut pas oublier que Houllier était l’entraîneur de l’équipe quand Platini était sélectionneur. Il connaît donc bien le terrain quand il prend ses fonctions de sélectionneur.
Parmi les raisons citées par Platini pour son départ, il y avait le fait que les clubs n’étaient pas utiles dans les préparatifs en insistant toujours sur une première division à 20 équipes plutôt qu’un nombre plus petit. Était-ce une excuse valable ?
Les points de désaccord sont nombreux entre les clubs et les sélections, dont les intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Le nombre de clubs en première division a toujours été un sujet de discussion, du moins tant que la majorité des joueurs de l’équipe de France provenaient du championnat. Platini se sert de cet argument, mais je crois qu’au fond, le métier de sélectionneur ne l’intéressait plus.
Comme Amoros, Luis Fernandez a mis fin à sa carrière internationale après l’Euro. Quel a été son héritage avec l’équipe nationale ?
Luis Fernandez est arrivé en 1983 en équipe de France et a réussi l’exploit de s’imposer dans le carré magique que l’on croyait immuable avec Platini, Giresse, Tigana et Genghini. Le dernier nommé a perdu sa place. Luis aurait dû être, comme Manuel Amoros, un leader de la génération de l’après-Platini, mais il n’a pas été à la hauteur. Son come-back en 1990 a été salutaire pour les Bleus, qui avaient besoin d’un homme d’expérience. Avec soixante sélections, il reste un grand nom du football français.
Christian Perez a également joué pour la dernière fois pour la France. Il fut l’un des joueurs emblématiques de l’ère Platini. Que peut-on dire de sa carrière avec l’équipe nationale ?
Dire qu’il fut un joueur emblématique de l’ère Platini est un peu exagéré car il a souvent été remplaçant ou remplacé. Il aurait dû être un titulaire en puissance pour sa capacité à adresser des passes précises à Jean-Pierre Papin, mais Platini avait du mal à le faire entrer dans son système.
Y a-t-il eu un consensus et/ou des raisons expliquant pourquoi la France a perdu sa forme au cours de la nouvelle année 1992 après avoir été si impressionnante au cours des deux années précédentes ?
Les raisons sont multiples. D’abord, on peut penser que cette équipe était en sur-régime durant les éliminatoires et qu’elle a bénéficié des circonstances. Le fait que Platini ait brisé la dynamique de victoires est aussi un élément à prendre en compte.
Malgré la fin décevante, y avait-il le sentiment que Platini était responsable de la résurgence temporaire de la France ?
On peut également penser que Platini était là au bon moment, ce qui est le propre des hommes providentiels. L’embellie qu’à connue son équipe de France, en 1990 et 1991, n’a pas été suivie d’effets. Au contraire, l’équipe de Houllier a sombré de façon rocambolesque.
Rétrospectivement, quel a été le véritable héritage de Michel Platini en tant que manager de l’équipe nationale ?
On lui doit d’avoir su exploiter au mieux le talent de Papin et son association avec Cantona. Mais son passage a été court. Il a rendu l’équipe de France invincible pendant deux ans mais on retient aussi son échec de l’Euro, qui a peut-être dévoilé ses limites en tant que sélectionneur.