Dans la nuit du 31 janvier au 1er février 1953, une très violente dépression en mer du Nord provoque un raz-de-marée de grande ampleur qui touche la Grande-Bretagne, la Belgique et surtout les Pays-Bas. Plus de 2.500 personnes y trouvent la mort, dont 1.836 néerlandais, et les dégâts matériels sont considérables.
Un match de bienfaisance
Aussitôt se déclenche un mouvement de solidarité pour recueillir des fonds pour les victimes. Un match de football est organisé le 7 mars 1953 à Rotterdam qui oppose la sélection des Pays-Bas au Danemark (1-2) qui permet de recueillir 200.000 florins. La France avait postulé pour envoyer son équipe disputer ce match avant que la fédération batave ne porte son choix sur le Danemark.
Le pays ne reste toutefois pas les bras croisés. Une rencontre est organisée cinq jours plus tard, le 12 mars 1953, qui oppose les Tricolores à une sélection de joueurs néérlandais évoluant dans le championnat de France. L’idée provient de Theo Timmermans. L’attaquant néerlandais du Nîmes Olympiques suggéra à ses compatriotes évoluant dans l’hexagone d’affronter une sélection formée de joueurs du Sud de la France. Quand il demanda l’autorisation à la FFF, celle-ci suggéra d’organiser ce match au Parc des Princes contre l’équipe de France.
Au début des années cinquante, de nombreux joueurs néerlandais évoluent dans les clubs de première et deuxième division. Les Pays-Bas sont en effet un excellent vivier de footballeurs, mais la fédération refuse de céder aux sirènes du professionnalisme. Les meilleurs joueurs n’hésitent alors pas à quitter le pays pour signer des contrats en France, mais aussi en Allemagne et en Italie. La sélection néerlandaise refuse d’avoir recours à ces professionnels, ce qui explique son énorme faiblesse sur le plan international.
Naissance d’une équipe
La gestion de l’équipe est prise en charge par Bram Appel, milieu de terrain du Stade de Reims. Huit joueurs de première division répondent à son appel : les Bordelais Joop de Kubber et Bertus de Harder, le lensois Wilhelm van Lent, le Lillois Cor van der Hart, le Parisien du Racing Rinus Schaap, le Stéphanois Kees Rijvers, le Roubaisien Fred Röhrig, sans oublier le Nîmois Theo Timmermans à l’origine du projet. Trois joueurs de deuxième division rejoignent le groupe, les Nantais Jan van Geen et Gerrit Vreken, ainsi que le Rouennais Arie de Vroet.
Le groupe ne compte qu’un seul défenseur (Van der Hart) et aucun gardien. Les Néerlandais feront appel à leur compatriote Frans de Munck, gardien du FC Cologne en Allemagne. Faas Wilkes, l’attaquant du Torino, a également fait part de son intention de disputer la rencontre, mais son club s’y est opposé. Pour diriger cette équipe pendant le match, on fait appel à Edmond Delfour, entraîneur du Stade Français et ancien international (41 sélections entre 1929 et 1938).
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L’Equipe du 13 mars 1953 (BNF, Gallica)
Dans un premier temps, la fédération néerlandaise s’est opposée à cette rencontre, et il a fallu l’intervention du prince Bernhard des Pays-Bas pour qu’elle revienne sur sa décision. Toutefois, cette sélection de professionnels néerlandais n’est pas autorisée à porter la célèbre tenue orange de la KNVB et il a été demandé à ce que l’hymne national ne soit pas joué au début du match. L’équipe des “Pros Hollandais”, ainsi nommée pour éviter toute ambiguïté, évolue donc en maillot rouge, short blanc et bas bleus, couleur du drapeau national. Un hymne est joué au début de la rencontre, mais il s’agit de “Wien Neêrlands Bloed”, ancien hymne qui n’est plus utilisé depuis 1932.
L’équipe de France au grand complet
L’équipe de France quant à elle est au grand complet. On y retrouve Kopa, Marche, Jonquet, Penverne, Ujlaki, Giannessi, Deladerrière et le gardien Ruminski, qui étaient présents à Noël lors de la défaite (0-1) à Colombes face à la Belgique. Les trois autres font leur première apparition : le Sochalien René Gardien (qui est attaquant), le Havrais Jean Saunier et le Parisien du Stade Français René Gaulon.
La rencontre se dispute au Parc des Princes devant 40.000 spectateurs parmi lesquels on compte quelques dix mille Néerlandais. La première action dangereuse est à mettre au crédit des Pros hollandais qui prennent Ruminski à défaut dès la 11e minute. Mais le but est refusé par l’arbitre luxembourgeois M.Eischen pour un hors-jeu.
C’est toutefois l’équipe de France qui domine la première mi-temps. Les Hollandais ne se sont regroupés que deux jours plus tôt et manquent d’automatismes, d’autant que le grand nombre de joueurs offensifs a contraint Vreken (milieu de terrain) et de Vroet (ailier gauche) à faire les défenseurs aux côtés de Van der Hart. A la 34e minute, Saunier exploite une passe de Kopa, devance un défenseur et dribble le gardien pour ouvrir le score. Par la suite, les Français tentent d’inscrire un deuxième but mais Frans de Munck se montre dans un grand jour.
Les choses évoluent en deuxième période. Le collectif néerlandais commence à se mettre en place. Le Bordelais de Harder, un peu isolé sur l’aile gauche, s’est replié au milieu de terrain pour organiser le jeu. Les Français courent après un ballon qui devient insaisissable. Juste avant l’heure de jeu, le Stéphanois Rijvers envoie un tir que le gardien Ruminski ne parvient qu’à repousser sur De Harder, idéalement positionné pour égaliser.
Un match historique
Les Bataves poursuivent leur emprise et font l’essentiel du spectacle. A dix minutes de la fin, un coup franc de de Kubber est dévié par Timmermans sur Appel qui bar Ruminski. Les Néerlandais de France s’imposent 2-1 contre l’équipe de France, ce qui constitue une petite surprise.
La rencontre a rapporté 144.000 florins pour les victimes du raz-de-marée. Mais aux Pays-Bas, la victoire aura un impact plus fort encore. Ce Watersnoodwedstrijd (match des inondations) est aujourd’hui considéré comme un match historique. La presse batave n’a pas manqué de couvrir d’éloges ces joueurs professionnels que sa fédération ignore. Celle-ci restera encore réticente et il faudra l’initiative d’un groupe privé pour créer en 1954 une ligue professionnelle avec dix clubs fraîchement créés.
Devant le succès de l’entreprise, la KNVB sera contrainte d’accepter le professionnalisme. Le 13 mars 1955, à l’occasion d’un match contre le Danemark, l’équipe des Pays-Bas sera pour la première fois composée de joueurs professionnels. Le 31 mars 2004, la rencontre Pays-Bas-France à Rotterdam (0-0) est organisée en commémoration de ce match de 1953.
Sélection des pros Hollandais bat France 2-1
Buts : Saunier (34’) pour les France, De Harder (58’) et Appel (81’) pour les pros hollandais.
FRANCE : Ruminski - Giannessi, Jonquet, Marche - Penverne, Gaulon - Ujlaki, Gardien, Kopa, Saunier, Deladerrière. Entr : Pierre Pibarot.
SELECTION PROS HOLLANDAIS : De Munck (Cologne) - Vreken (Nantes), Van der Hart (Lille OSC), De Vroet (Rouen) - Schaap (RC Paris), De Kubber (Bordeaux) - Timmermans (Nîmes), Rijvers (Saint-Etienne), Appel (c)(Reims), Van Geen (Nantes), De Harder (Bordeaux). Remplaçants : Van Lent (Lens) et Röhrig (Roubaix). Entr : Edmond Delfour.
Arbitre : M.Eischen (Luxembourg).
40.000 spectateurs.
Joueur | Âge | Poste | Sel. | Club |
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César Ruminski | 28 ans | Gardien | 5/7 | Lille OSC |
Lazaro Giannessi | 27 ans | Défenseur | 5/14 | CO Roubaix-Tourcoing |
Robert Jonquet | 27 ans | Défenseur | 19/58 | Stade de Reims |
Roger Marche (cap) | 29 ans | Défenseur | 29/63 | Stade de Reims |
Armand Penverne | 26 ans | Demi | 5/39 | Stade de Reims |
René Gaulon | 25 ans | Demi | 0/0 | Stade Francais |
Joseph Ujlaki | 23 ans | Attaquant | 4/21 | Nîmes Olympique |
René Gardien | 25 ans | Attaquant | 0/2 | FC Sochaux Montbéliard |
Raymond Kopaszewski | 21 ans | Attaquant | 5/45 | Stade de Reims |
Jean Saunier | 23 ans | Attaquant | 0/0 | Le Havre AC |
Léon Deladerrière | 25 ans | Attaquant | 4/11 | FC Nancy |
René Gaulon et Jean Saunier ne seront jamais rappelés en équipe de France A. Ils comptent toutefois plusieurs apparitions en équipe de France B. En outre, René Gaulon sera sélectionné avec l’équipe nationale de Dahomey, futur Bénin.