La renaissance de l’équipe de France amateur en 1933

Publié le 15 août 2022 - Pierre Cazal

Près de trente ans après sa création en 1904, et alors que le professionnalisme avait gagné les clubs de l’élite, une équipe de France amateur était constituée en 1933. Elle vivotera jusqu’en 1987, même si cinq amateurs allaient être appelés en A.

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A son origine, en 1904, l’équipe de France était amateur, puisque la fédération qui la régissait alors, l’USFSA, interdisait à ses adhérents de toucher des « prix en espèces » ; mais au fil du temps, l’amateurisme était devenu pure façade. Des joueurs comme Pierre Chayriguès ou Alexandre Villaplane, dans les années 1920, réclamaient des primes pour jouer en équipe nationale, de même que Henri Bard.

La chose était si connue que les Anglais, très à cheval sur la séparation stricte entre pros et amateurs, refusèrent à partir de 1922 de continuer à opposer aux Bleus leur sélection amateur, ce qu’accepta la FFFA. C’est ainsi que l’équipe de France, quoiqu’officiellement amateur, rencontra des équipes professionnelles, comme l’Autriche, la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, en plus des Britanniques.

En 1933, priorité aux professionnels en sélection

Ce qui changea la donne, ce fut l’instauration du professionnalisme en France en 1932 ; si un championnat professionnel fut créé, rien ne fut spécifié pour l’équipe nationale : le trio de sélectionneurs, Gaston Barreau, Maurice Delanghe et Jean Rigal avait donc toute latitude pour choisir des joueurs professionnels ou amateurs en 1933 pour jouer les cinq matches prévus au calendrier, de février à juin.

A cette époque, n’existait aucune politique de continuité pour la sélection : on repartait donc de zéro ou presque chaque saison, en fonction surtout de la forme des joueurs. Par rapport à 1932, seuls le demi Joseph Kaucsar et l’ailier Marcel Langiller assurèrent un semblant de continuité pour affronter le célèbre Wunderteam en février 1933 ; 9 nouveaux joueurs furent lancés, dont 4 débutants.

Le Miroir des Sports du 14 février 1933 (BNF Gallica)

D’emblée, les sélectionneurs décidèrent de privilégier les professionnels, dont ils savaient qu’ils étaient désormais obligatoirement entraînés (ce qui n’était nullement le cas avant, il n’existait aucune obligation pour les clubs amateurs de s’adjoindre les services rémunérés d’un entraîneur expérimenté) et qu’ils jouaient régulièrement des parties plus difficiles que les amateurs, les championnats régionaux étant hétérogènes.

Le championnat professionnel comportait deux poules géographiques de 10 clubs, réunissant l’élite française, à l’exception de quelques clubs, soit méfiants à l’égard de l’aventure (financière) du professionnalisme, soit attachés à l’amateurisme : Roubaix, Tourcoing, Le Havre, Rouen, Amiens, essentiellement issus du Nord ou de Normandie, Paris et le Sud de la France se ralliant au professionnalisme.

Pour affronter le Wunderteam, les sélectionneurs retinrent 9 pros, mais lancèrent le duo amateur Jean Nicolas - Roger Rio, de Rouen. Par la suite, deux Roubaisiens les rejoignirent, Jules Cottenier et Georges Verriest, contre l’Espagne. L’amalgame pros/amateurs ne posait pas de problème : en moins d’un an, l’écart de niveau ne s’était pas creusé.

Dans les années 1920, les Anglais n’alignent plus leur équipe amateur face aux sélections continentales

Cet écart était inévitable, l’exemple anglais l’avait prouvé : si, dans un premier temps, les professionnels n’étaient pas meilleurs que les amateurs, dans les années 1890-1910, ce ne fut plus le cas dans les années 1920. Pour preuve, alors que l’équipe de France était surclassée avant-guerre, elle réussit à battre l’équipe anglaise amateur (strictement distincte de l’équipe anglaise pro) en 1921, et elle ne fut pas la seule, au point que les Anglais décidèrent d’arrêter d’aligner leur équipe amateur contre des équipes européennes. Les causes de ce déclin ? La plupart des amateurs choisissait de passer pro de plus en plus tôt, attirée par l’argent à y gagner, cette attirance était inévitable dès lors que des sommes importantes étaient offertes aux joueurs.

La preuve : dès la saison 1933-34, le nombre de clubs pros grimpa à 35 en France, et tous les clubs réticents l’année précédente se résolurent à passer pro, Rouen, Roubaix et les autres. Seul, le Stade Français s’y refusa : il était historiquement attaché à la conception stricte de l’amateurisme en vigueur à l’USFSA, dont il avait été l’un des clubs fondateurs.

Dans ces conditions, il était évident que l’équipe de France allait devenir composée à 100% de professionnels, l’arrière François Vasse, d’Arras, étant l’exception confirmant la règle en 1934 contre les Tchèques. Le monde des footballeurs amateurs, qui représente l’immense majorité des adhérents de la FFFA, se retrouva de facto exclu de l’équipe nationale et fit grise mine ; d’autre part, les Jeux Olympiques restant, eux, réservés aux amateurs (jusqu’en 1980), qui allait y représenter la France ?

Le Miroir des Sports du 7 mars 1933 (BNF Gallica)

L’équipe de France amateur chargée de disputer les tournois olympiques

Il fut donc décidé d’imiter ce qu’avaient fait les Anglais en 1906 : à savoir créer, à côté de l’équipe nationale officielle, une équipe nationale amateur, qui serait opposée à d’autres sélections amateur (mais pas des sélections A : se rappeler que l’Allemagne, la Hollande, par exemple, ignoraient encore le professionnalisme) et chargée de disputer les tournois olympiques.

Le premier match, à titre d’essai, se déroula le 5 mars 1933 et opposa cette toute nouvelle équipe de France à la Hollande B (et non la Hollande A) ; c’est Jean Rigal qui fut chargé de la sélection, et il le restera jusqu’en… 1970 ! Il choisit les joueurs suivants : Postel, Jules Cottenier, François Vasse, Lechanteux, Georges Verriest, Marcel Desrousseaux, Taillis, Illiet, Jean Nicolas, Roger Rio, Marcel Lherminé ; l’équipe ainsi constituée gagna 3 à 1, avec des buts des Rouennais Taillis, Rio et Nicolas.

On remarque que Jean Nicolas (à ne pas confondre avec l’ex-vedette, et futur sélectionneur des Bleus Paul Nicolas, pur homonyme) et Roger Rio (dont le fils Patrice sera également international) avait été retenus en équipe A pour affronter le Wunderteam autrichien en février, et le gardien du Havre Postel avait été alors remplaçant du débutant Robert Défossé. Le tour de Cottenier et de Verriest n’allait pas tarder, pas plus que celui de l’autre rouennais Marceau Lherminé en cette année 1933. Marcel Desrousseaux, puis François Vasse seraient ultérieurement appelés en A.

Cette première victorieuse sera suivie, le 21 mai 1933, d’une défaite (3-5) face à une sélection d’Allemagne du Sud : on y vit deux autres futurs internationaux A, l’arrière Charles Zehren et le demi Raymond François. La FFF ayant renoncé, pour des raisons politiques évidentes, d’inscrire son équipe au tournoi olympique de Berlin 1936, l’équipe de France amateur se contenta par la suite, avant-guerre, de quelques matches contre des homologues, c’est-à-dire les équipes amateur de pays où le professionnalisme existait, et où la sélection A ne comprenait donc que des pros, à savoir en 1934 l’Autriche (3-2), la Hongrie en 1936 (2-1) – laquelle alignait les futurs internationaux A Zsengeller et Kallaï, et la Tchécoslovaquie en 1937 (1-2) – avec Ludl.

Le Miroir des Sports du 23 mai 1933 (BNF Gallica)

Un pharmacien, un marchand de bestiaux, un mareyeur et un étudiant

En 1938, opposé à une sélection anglaise amateur, celle de l’Isthmian League, on vit même, dans les rangs des Bleus, l’ex-international Albert Polge (3 sélections en 1933 et 34), ou un autre ex-international, Pierre Hornus, 3 sélections en 1931, qui était toujours resté amateur, comme Georges Verriest, le futur sélectionneur : le premier était pharmacien, le second marchand de bestiaux. D’autres futurs internationaux A passèrent dans les rangs de cette sélection amateur : Oscar Heisserer et Curt Keller en 1934, Marcel Ourdouillé en 1935 (qui fut international A en… 1945 !).

Cette équipe de France amateur ne fut dissoute qu’en 1987 : l’ouverture des Jeux olympiques aux pros, en 1984, lui avait retiré tout sens, même si cette équipe, qui a joué presque 300 matches, dont près de 30 contre des sélections A (Luxembourg, Islande, Turquie, et beaucoup de sélections africaines) avec une large majorité de victoires, a vu passer dans ses rangs beaucoup de futurs internationaux A, dont Michel Platini, notamment. C’est dans l’indifférence la plus totale que cette équipe de France disparut : il faut dire qu’avec les juniors (depuis 1949), les espoirs (depuis 1952) et toutes les catégories de jeunes, le nombre des équipes de France a explosé, comme on dit, seule l’équipe A captant l’intérêt.

Ultime précision : malgré le professionnalisme, l’équipe de France A n’a jamais été fermée aux amateurs, même si, après 1936, ils devinrent rarissimes. Citons quand même Marcel Salva et Jean-Claude Samuel en 1945, les deux pieds noirs de l’Armée de l’Air un temps engagés au Racing, Antoine Cuissard, du temps qu’il jouait à Lorient et était mareyeur en 1946 et enfin Daniel Horlaville de Quevilly en 1969 et Francis Meynieu (étudiant en pharmacie et international amateur, sélectionné pour les JO de Montréal aussi, en 1976). Mais ce cas de figure ne risque plus de se reproduire aujourd’hui, les joueurs issus des centres de formation signant des contrats professionnels très jeunes.

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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