12 juin 1984 : France-Danemark

Publié le 1er août 2019 - Bruno Colombari

Avec leur Ballon d’or Michel Platini, les Bleus sont les grands favoris de l’Euro 1984 qui débute au Parc des Princes. Mais en face, le Danemark d’Allan Simonsen est le dernier adversaire à les avoir battus. Voilà qui ressemble fort à un match piège.

8 minutes de lecture
Cet article est publié dans le cadre de la série de l’été 2019, C’était l’Euro 1984

Le contexte

Quand débute le deuxième Euro de l’histoire (créé en 1980 dans son format à huit équipes), le moral du groupe France est au plus haut. Les Bleus vont jouer à domicile et ils semblent plus forts que ceux de 1982 même si ce sont en grande partie les mêmes. Avec les arrivées de Joël Bats dans la cage et de Luis Fernandez au milieu, un nouvel équilibre a été trouvé, et les quatre victoires en amical dont deux contre l’Angleterre et la RFA ont montré que la sauce avait pris.

De plus, Michel Platini est dans une forme éblouissante. Avec la Juventus il a terminé meilleur buteur du calcio, a remporté son premier titre de champion d’Italie et a gagné la Coupe des vainqueurs de coupes, cinq mois après son premier Ballon d’or. Son doublé contre l’Angleterre en février (tête lobée, coup franc en force) lui a forcément donné des idées pour le mois de juin.

Enfin, l’Euro qui s’annonce semble tout à fait jouable. L’Italie (championne du monde en titre) n’est pas là, ni la Pologne (troisième en 1982), ni l’Angleterre, ni l’URSS, ce qui fait beaucoup. La Roumanie, le Danemark et le Portugal, absents au Mondial espagnol, ne semblent pas menaçants. L’Espagne un peu plus, tout comme la Belgique et la Yougoslavie qui peuvent jouer les trouble-fête. Mais les favoris sont bien les Français et les Allemands.

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Illustration Erojkit.com

Pour ce match d’ouverture, Michel Hidalgo aligne son équipe-type, avec en attaque le duo Lacombe-Bellone qui met sur le banc les historiques Rocheteau et Six. La défense est composée de Battiston à droite, de Bossis et Le Roux dans l’axe et d’Amoros à gauche. A noter que contrairement à la Coupe du monde 1982, tous les joueurs présents sur la liste figurent sur la feuille de match et peuvent donc entrer en jeu.

En face, le bloc danois est très compact avec Morten Olsen en défense, Klaus Bergreen au marquage de Platini, Allan Simonsen en meneur de jeu et en attaque le duo Michael Laudrup (artiste) Preben Elkjaer-Larsen (déménageur). Surtout, les deux tiers de l’effectif évolue à l’étranger, que ce soit au Bayern, à l’Ajax, à Anderlecht, à la Lazio ou à l’Espanyol de Barcelone.

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Illustration Erojkit.com

Le match

Au début de la deuxième minute, suite à un coup franc joué par Giresse près du poteau de corner, le ballon arrive sur l’aile gauche à Amoros qui déborde et manque d’un rien de trouver Lacombe seul devant Qvist, les Danois ayant remonté pour jouer le hors jeu. Immédiatement, les Danois mettent beaucoup d’intensité à la récupération, et sur leur première attaque, Simonsen lance Elkjaer-Larsen, lequel est repris aux abords de la surface par Tigana à l’épaule. Sachant que le Bordelais pèse une vingtaine de kilos de moins que le Bison de Lokeren… Dix minutes plus tard, Elkjaer-Larsen découpera Tigana le long de la touche.

Très vite, on constate deux choses : Platini n’a pas un mètre pour se retourner, et dans la combinaison puissance/vitesse, les Danois sont meilleurs. A la 7e minute, sur une balle piquée de Lacombe pour Fernandez, Morten Olsen touche le ballon de la main. Si la VAR avait existé… L’arbitre ne siffle rien.

A la 10e, Platini fait le show près de la ligne de touche : il contre Bertelsen, fait un coup du sombrero sur Bregreen (coucou) et enchaîne par une passe aveugle pour Giresse avant que le ballon ne touche le sol. Du grand art. Ce n’est pas le cas de Lacombe qui gâche tous les ballons passant par lui.

Le duo Platini-Bergreen se chauffe à chaque contact. A la 16e, une combinaison Giresse-Lacombe-Platini est arrêté de façon illicite par Nielsen. Le coup franc de Bellone ne donne rien. Dans la foulée, Elkjaer-Larsen servi par une talonnade de Simonsen chauffe les gants de Bats.

C’est alors qu’on se dit qu’un match aussi fermé pourrait se déverrouiller avec un but sur coup franc que Bergreen accroche Platini et fait une main à 25 mètres. La configuration est platinienne. Mais le tir du meneur de la Juventus n’est pas assez puissant pour surprendre Qvist.

Bats sauve la mise devant Bergreen
A la 37e, alors que les Bleus ont perdu le fil du match depuis plusieurs minutes, un coup franc de Lerby trouve la tête de Bergreen dans la surface, que Bats doit claquer en corner. C’est la plus belle occasion danoise de la mi-temps. Trois minutes plus tard, Elkjaer déclenche une frappe lourde de l’angle de la surface, au-dessus. Finalement, on se dit qu’un 0-0 à la mi-temps n’est pas une si mauvaise affaire. C’est alors qu’arrive la 43e minute qui sera fatale au Danemark, avec un gros choc entre Le Roux et Simonsen, sur lequel le Danois se fracture le tibia. Lauridsen le remplace.

Envie de revoir le match en intégralité (avec des commentaires en français) ? C’est possible sur Footballia.

La deuxième mi-temps repart sur d’autres bases. D’une part, les Danois doivent se réorganiser sans leur meneur de jeu. D’autre part, l’intensité du pressing mis en place pendant trois quart d’heure ne pourra sans doute pas durer très longtemps. D’ailleurs, les Danois sont plus entreprenants dans les dix premières minutes, et commencent à approcher régulièrement de la surface de Bats : Elkjaer-Larsen tente même une volée en ciseaux qu’il dévisse à douze mètres des cages.

Le Roux out, entrée de Domergue
C’est alors que Le Roux se couche une première fois, genou droit bloqué : c’est celui qui avait heurté le tibia de Simonsen une demi-heure plus tôt. Cinq minutes plus tard, le stoppeur brestois jette l’éponge et demande à sortir. Il est remplacé par Jean-François Domergue pendant que les Danois pressent.

A l’heure de jeu, les Bleus se réorganisent : Platini monte d’un cran, Lacombe se décale sur la droite et Giresse s’installe en position de meneur de jeu dans un 4-3-3 plus offensif, avec Battiston qui monte de plus en plus souvent dans le couloir droit. Juste après, une montée de Bossis est relayée par Battiston dont le centre trouve la tête de Platini à dix mètres des cages. Qvist repousse comme il peut juste au dessus de la barre (61e). Côté gauche, Bellone trouve lui aussi Platini au second poteau dont la tête à cinq mètres est claquée par Qvist en corner (65e).

Les Danois n’ont pas renoncé, et une très belle action de Laudrup trouve Elkjaer qui fixe Domergue et frappe. Le défenseur de Toulouse dévie le ballon que Bats sort à ras du poteau (70e). Dans un match aussi serré, à vingt minutes de la fin un but serait certainement décisif. On entre dans ce qu’on appelle le money-time, le dernier quart d’heure ou la tension, déjà élevée, monte d’encore un cran. Amoros met son genou dans les reins Elkjaer-Larsen près de la touche.

Giresse emballe le match
Les Bleus ne sont pas sereins, mais veulent absolument la victoire, même en l’arrachant avec les dents. A la 76e, ils trouvent presque le cadre au terme d’une magnifique action partie de Bats, relayée par Amoros, Giresse, Domergue, Battiston et Tigana qui esquive pour Giresse lancé plein axe qui enrhume Bregreen d’un crochet court et enchaîne d’une frappe du droit qui trouve l’extérieur du poteau de Qvist. C’est un peu le copié-collé de l’action qui amène le but de Platini, deux minutes plus tard (78e, 1-0, voir plus bas la séquence-souvenir).

Le plus dur est fait, il reste maintenant à gérer une grosse dizaine de minutes alors que le public français du Parc se fait enfin entendre, les supporters danois semblant assommés. Sur le côté droit, Battiston fait un festival, centre en retrait pour Bellone qui tente une volée, du droit malheureusement (81e). Le match s’emballe soudain : une percée danoise Lauridsen-Laudrup arrive sur Bertelsen qui s’écroule dans la surface après avoir marché sur le ballon à hauteur du point de pénalty. Grosse frayeur, et dans la continuité Amoros relance pour Bellone qui réussit un une-deux avec Lacombe et, de la ligne médiane, envoie Giresse seul au but. Le Bordelais arrive lancé, mais pousse trop son ballon sur son deuxième contact et Qvist sort (82e). En vingt secondes, on vient virtuellement de passer d’un 1-1 à un 2-0.

Amoros précurseur de Zizou
Les Danois multiplient les corners et suite à l’un d’eux, Lerby trouve Elkjaer dans la surface, mais sa tête est bloquée par Bats. Il reste cinq minutes. Amoros remonte le ballon avant d’être descendu par Busk. Juste après, le défenseur de Monaco récupère à nouveau un ballon perdu au milieu de terrain. Jesper Olsen le tacle une première fois, Amoros esquive. Le Danois revient à la charge et le descend par derrière. Furieux, Amoros lui lance le ballon dessus, le rate, Olsen l’insulte (on voit bien un « fuck off » sur ses lèvres) et le Français lui assène un coup de tête. Zizou n’a rien inventé, et l’Euro d’Amoros est déjà quasiment terminé. Il prendra trois matchs de suspension. L’expulsion du Français ne profite pas aux Danois, qui ont juste le temps de placer une tête de Lerby à côté des cages de Bats. Que ce fut dur !

La séquence souvenir

On approche de la 78e minute quand une relance de Morten Olsen trouve Arnesen, lequel sert Lauridsen qui prolonge pour Elkjaer-Larsen. Ce dernier tente de crocheter Domergue pour entrer dans la surface, mais le Toulousain ne se laisse pas embarquer et relance.
Bellone, très replié, passe à Fernandez qui sert Bossis. Le ballon repart de l’autre côté vers Battiston et Tigana qui sert Platini le long de la touche, mais Bergreen s’interpose et repart. Pas longtemps : Tigana jaillit dans ses pieds, se relève, crochète pour éviter le retour de Arnesen et sert Giresse en profondeur. Plutôt que frapper, le Bordelais tente de lancer Lacombe dans la surface, mais Nielsen tacle et percute son coéquipier Busk. Le ballon revient sur Platini qui frappe du droit à l’entrée de la surface. Busk, au sol, dévie involontairement le tir de la tête et Qvist, avancé sur sa ligne des 5,50m, est battu. Platini part en glissade sur les fesses vers le virage Auteuil. On ne le sait pas encore, mais le festival Platini vient de commencer.


 

Le Bleu du match : Alain Giresse

Platini muselé, tous les ballons d’attaque passent par lui. Il combine de façon privilégiée avec Lacombe et Tigana, ses coéquipiers bordelais avec lesquels il vient d’être champion de France. Au milieu, il est un poison pour la défense danoise à qui il donne le tournis par ses crochets courts. Installé à droite en début de match, il passe vite dans l’axe pour compenser les décrochages de Platini qui redescend pour tenter d’échapper au marquage de Bergreen.

En deuxième mi-temps, il prend franchement le jeu à son compte : les Danois ne lui enlèvent pas le moindre ballon, et il se crée deux occasions franches en six minutes, avec sa percée conclue par un tir à ras du poteau, et un face à face perdu devant Qvist sur un contre de Bellone. Mais entre les deux, c’est lui qui amène l’action du but de Platini, même s’il aurait pu frapper au lieu de servir Lacombe.


 

L’adversaire à surveiller : Allan Simonsen

A 31 ans, l’ex-lutin de Moenchengladbach et de Barcelone, Ballon d’or 1977, est descendu d’un cran pour évoluer en meneur de jeu malgré son numéro 9. Il a devant lui Michael Laudrup, qu’on ne voit pas tant Manuel Amoros et Max Bossis le serrent de près, et Preben Elkjaer-Larsen, qu’il sollicite systématiquement. Sa technique impeccable (il ne perd aucun ballon) et sa vision du jeu font passer des frissons aux spectateurs et des cris de joie aux 12 000 Danois présents dans le Parc. Mais à la 43e, alors que Le Roux se jette pour tacler un ballon, Simonsen arrive avec une seconde de retard et percute le genou du Français. Fracture du tibia, civière et fin du tournoi. Jusqu’où seraient allé les Danois avec lui ? Nul ne le sait. Rien ne dit non plus que les Bleus auraient remporté le match d’ouverture.


 

La petite phrase

Le léger contentieux entre Platini et les Bordelais (ils sont quatre titulaires : Battiston, Tigana, Giresse et Lacombe) a donné lieu à une déclaration deux jours après le match du capitaine français, publiée dans sa chronique de La Gazette dello sport. Version soft : « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu l’impression que les tricolores de Bordeaux avaient tendance à jouer entre eux. Il s’agit sans doute d’un réflexe de championnat, d’un mécanisme ou d’un automatisme… » Version trash, dans le vestiaire à la mi-temps : « Vous faites chier, les Bordelais, à ne jouer qu’entre vous ! Je n’ai pas touché un ballon ! Si ça vous gêne que je sois là, dites-le, je peux rester sur le banc ! » [1].

La fin de l’histoire

Je me souviens de ma déception après le match d’ouverture : les Bleus avaient joué à l’italienne, petit bras, et n’avaient gagné que sur un coup de chance. Le coup de boule d’Amoros faisait tâche. La suite s’annonçait donc compliquée avec deux joueurs en moins. Et pourtant ce fut tout le contraire : rassurés d’avoir enfin gagné pour leur entrée dans le tournoi, les Bleus allaient tout emporter sur leur passage, gagner les quatre matchs suivants et leur premier trophée.

Il s’en est d’ailleurs fallu de très peu pour que ce soit encore contre le Danemark en finale : les coéquipiers de Laudrup battent en effet la Yougoslavie (5-0) et la Belgique (3-2 après avoir été menés 0-2) avant de croiser l’Espagne en demi-finale à Lyon. Trop sûrs d’eux, ils marquent très vite mais se font rejoindre contre le cours du jeu et s’inclinent finalement aux tirs au but (1-1, 4-5 tab). Deux ans plus tard au Mexique ils n’auront pas retenu la leçon. Après un premier tour de feu (trois victoires dont un 6-1 contre l’Uruguay), ils chutent lourdement encore contre l’Espagne (1-5) après avoir ouvert le score.

pour finir...

Merci à Evaldo Oliveira JR (Erojkit) de m’avoir autorisé à utiliser ses illustrations de maillots.

Richard Coudrais a eu la chance de voir le match depuis le stade ce jour-là. Il en fait le récit dans un article publié sur les Cahiers du football : France-Belgique 1984, le récital bleu

[1Rapporté par Patrick Lemoine dans Le carré magique, quand le jeu était à nous, Talent Sport, 2016.

Portfolio

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