Les premiers Bleus : Alfred Gindrat, le fils du cocher suisse

Publié le 26 avril 2024 - Pierre Cazal

Né Suisse par son père et reconnu par sa mère à 26 ans, Alfred Gindrat a connu une carrière tardive et modeste en sélection nationale et formait avec Lucien Gamblin un duo redouté en défense.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Alfred Gindrat est, à coup sûr, un des plus méconnus des Bleus : ses 4 sélections, glanées en 1911 et 1912 (une seule victoire, contre la Suisse, pour la dernière) n’ont pas suffi à lui assurer la notoriété, d’autant plus qu’il évoluait au poste d’arrière, où il est difficile de se mettre en valeur.

L’Auto du 2 avril 1905 dit de lui qu’il « serait international sans une particularité de nationalité aujourd’hui disparue », sans préciser laquelle. Mais elle se devine, puisqu’en avril 1904, lors d’une partie officieuse d’entraînement de l’équipe de France, juste avant d’aller à Bruxelles jouer la première partie officielle de l’équipe nationale contre la Belgique, Gindrat avait joué… contre l’équipe de France, dans les rangs d’une équipe des « Etrangers de Paris » (6-3). De plus, il évoluait en championnat de Paris avec l’United Sports and Swiss Club, qui ne comportait qu’un seul joueur français (Eugène Nicolaï), une pléiade d’Anglais, et… quelques Suisses ! Dans les rangs de cette équipe, Gindrat avait gagné le championnat de Paris 1904, et joué la finale du championnat de France USFSA, perdue 2-4 face aux intouchables Roubaisiens.

Reconnnu par ses parents à 26 ans

Alfred Justin Gindrat était en effet né, certes à Paris le 29 octobre 1883, et d’une mère française, mais d’un père suisse, qui exerçait la profession de cocher, et le couple n’était pas marié, ou plutôt, la mère était mariée avec quelqu’un d’autre, et n’avait pas reconnu l’enfant. Par conséquent, Alfred Gindrat possédait la nationalité helvétique. C’est seulement en 1909 que le couple a pu se marier, et reconnaître les enfants nés de leur union, dont Alfred. Ce dernier avait opté à sa majorité pour la nationalité française et fait son service militaire dès 1907, donc avant d’être reconnu officiellement par sa mère. Ce qui explique que l’USFSA s’est gardée de le sélectionner en équipe de France, et qu’Alfred Gindrat a dû attendre d’avoir presque 28 ans avant d’intégrer l’équipe nationale, ce qui est tardif, surtout pour l’époque où il n’était pas rare d’être sélectionné à 17 ou 18 ans.

Un spécialiste du tacle appuyé

Gindrat, qui a rejoint les rangs du Stade Français (avec son cousin Armand Falcinelli, remplaçant en 1900 de l’équipe nationale aux Jeux olympiques !), et surtout du Red Star en 1910 — le club de Jules Rimet, qui pratiquait le racolage, c’est-à-dire rémunérait ses joueurs à l’engagement — traînait une réputation de brute derrière lui, parce qu’il avait cassé la jambe d’un joueur (le hollandais Van Hasselt, par ailleurs journaliste) ; sa spécialité était le tacle, appuyé. Aujourd’hui cela ne poserait pas le moindre problème, tant le jeu est devenu athlétique et les chocs défensifs rudes, mais pas à la Belle Epoque, où les modèles de jeu étaient les Corinthians londoniens, lesquels prônaient l’évitement de l’adversaire. Il s’agissait de se différencier radicalement du rugby, jeu de contact. Au Red Star, la doublette Gindrat-Gamblin était redoutée ! Mais on ne la vit pas en équipe nationale.

Alfred Gindrat (le quatrième debout à gauche) avec l’équipe de France avant son match contre la Belgique le 28 janvier 1912 à Saint-Ouen (photo Agence Rol, BNF Gallica)

A l’origine d’un mouvement de rébellion avec quatre joueurs du CFI

Une autre polémique a été soulevée par Gindrat en 1913. Il semble avoir été l’instigateur d’un mouvement de grève, ou de rébellion, si l’on préfère, qui mena cinq des joueurs sélectionnés par le CFI pour aller affronter à Genève la Suisse en mars 1913. Il s’agit de Pierre Chayriguès, Bigué, Eugène Maës, Henri Vascout et lui-même, Gindrat. L’équipe sélectionnée était la suivante : Chayriguès, Gindrat, Hanot - Bigué, Ducret, Moigneu - Lesur, Poullain, Maës, Chandelier, Dubly. L’équipe qui a joué (et battu 4-1 les Suisses) est la suivante : Bournonville - Degouve, Dujardin - Montagne, Ducret, Barreau - Lesur, Poullain, Eloy, Chandelier, Dubly. La différence saute aux yeux !

Que s’est-il passé ? il semble que les joueurs n’aient pas voulu faire le long déplacement en train pour Genève (à l’époque, pas de train direct), d’une part, et que d’autre part, ils aient réclamé une prime ! Or, le CFI restait encore amateur… contrairement à certains clubs parisiens, dont, on l’a déjà évoqué, le Red Star ; refus de la fédération, donc, et parade des joueurs : forfait, sous divers prétextes (sauf Hanot, qui n’avait pas de permission, et Moigneu, blessé). Des blessures simulées, car une semaine après, Chayriguès, Gindrat, Maës — tous du Red Star — et Vascout, appelé en renfort pour suppléer Moigneu, étaient rétablis pour jouer à Paris un match Paris-Berlin (1-0) plus attractif, et pas seulement par l’affiche !

Il faut savoir qu’alors, il n’existait aucune obligation de déférer à une convocation pour jouer en sélection, et par conséquent, aucune sanction possible. Les joueurs étant réputés amateurs, il était admis qu’ils ne puissent pas forcément se déplacer, surtout pour aller jouer à l’étranger, en raison de leurs occupations professionnelles, dont ils ne pouvaient pas systématiquement se libérer : la fédération comptait sur la bonne foi des joueurs et ne discutait pas les motifs des forfaits. Mais là, le motif était trop évident, et contraire aux principes de l’amateurisme.

Ecarté après une défaite contre le Luxembourg en 1914

Le CFI ne pouvait que parer en urgence : Henri Jooris, le grand dirigeant nordiste, vint au secours, de sorte que neuf des joueurs qui ont gagné à Genève étaient des nordistes, que Jooris, avec son autorité naturelle, et aussi, il faut bien le dire, le respect plus fort, dans le Nord, des principes d’amateurisme dont on se détachait à Paris, avait su mobiliser. La victoire étant au bout, le scandale fut évité dans les journaux — ce qui ne fut pas le cas lorsque ce mouvement de grève se reproduisit en 1914, car il entraîna une défaite humiliante face au modeste Luxembourg ! Le CFI ne prit aucune sanction, sauf… contre Gindrat, qui fut tout simplement écarté de la sélection. La Guerre, qu’il fit dans un « escadron du train », donc dans l’intendance, où il apprit sans doute à conduire, ce qui était encore rare, mit fin à sa carrière.

Chauffeur de maître, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire d’automobile — comme son père avait été cocher, mais les chevaux étaient devenus des chevaux-vapeur ! — Alfred Gindrat est décédé le 26 janvier 1951 à Goussainville.

Les 4 matchs d’Alfred Gindrat avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 01/01/1911 Charentonneau Hongrie 0-3 90
2 Amical 23/03/1911 Saint-Ouen Angleterre 0-3 90
3 Amical 28/01/1912 Saint-Ouen Belgique 1-1 90
4 Amical 18/02/1912 Saint-Ouen Suisse 4-1 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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