André Maschinot, l’auteur du premier doublé en Coupe du monde

Publié le 16 mai 2023 - Pierre Cazal - 2

Longtemps dans l’ombre de son coéquipier Etienne Mattler, ou du premier buteur de la Coupe du monde Lucien Laurent, André Maschinot mérite d’avoir son portrait. Et pas seulement pour ses deux buts marqués contre le Mexique en 1930, le premier doublé mondial.

6 minutes de lecture

Contrairement à Etienne Mattler, qui fut son coéquipier dans ses trois clubs pendant 17 ans, et joua la Coupe du monde 1930 à ses côtés, André Maschinot est un Bleu méconnu.

Né le 28 juin 1903 à Valdoie (à côté de Belfort), et de deux ans l’aîné de Mattler, Maschinot a débuté sous les couleurs de l’US Belfort en 1920 et s’y est rapidement imposé, malgré une taille limitée (1m64), compensée par sa force physique (66 kilos). Il fut surnommé « Bouboule », et I, dans le premier Dictionnaire des Internationaux jamais publié, le définissait par ces termes : « Le tank. Un avant-centre percutant et au shoot très puissant. »

Un attaquant moderne, selon Mattler

Pour sa part, son ami Mattler, qui a débuté également à Belfort, puis est parti avec lui à Strasbourg, puis Sochaux, dit le lui, dans L’Auto, en 1939 : « Un bien bel avant-centre, doté d’un démarrage, d’une violence et d’une précision de shoot peu ordinaires. Il avait en outre les qualités de combattant qu’on exige d’un attaquant moderne. »

Le mot est lâché : un attaquant moderne. La modification de la règle du hors-jeu, en juin 1925, a transformé le jeu de l’avant-centre, et, d’une façon plus générale, le jeu de l’attaque tout entière. Jusqu’alors, il fallait trois adversaires entre le porteur du ballon et le but pour être en jeu ; autant dire qu’il suffisait à l’arrière « volant » d’avancer de quelques pas pour mettre hors-jeu ses adversaires ! L’avant-centre d’avant 1925 évoluait donc en retrait, et c’est toute la ligne d’attaque qui avançait en ligne, à la manière des trois-quarts de rugby.

Mais, maintenant que deux joueurs adverses (gardien compris) suffisent pour être en jeu, l’avant-centre peut se tenir en pointe, entre les deux arrières, et c’est tout le jeu offensif qui en est modifié. Auparavant, il était fait de combinaisons en passes courtes et de percées par les ailes, désormais la passe longue « dans le trou » est possible, l’attaquant moderne est né !

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Le FC Sochaux en 1930. André Maschinot est accroupi, au milieu. Etienne Mattler est debout, à gauche.

Un puncheur qui nécessite une forme optimale

André Maschinot n’est pas ce qu’on appelait auparavant un « scientifique », à savoir un joueur de combinaison en passes courtes, c’est un puncheur. Ce qui le caractérise, c’est le dynamisme : il est sans cesse en activité, perce, dribble (court), et shoote dès que possible, sans souci de construire. Sa morphologie lui permet d’être bien accroché au sol, de résister aux charges, et de s’infiltrer, car il possède un coup de reins lui autorisant des démarrages très secs, c’est en outre un sprinter, qualités qui le rendent difficile à arrêter.

Son défaut est d’être un peu trop personnel, de ne guère se replier, et son style de jeu peu économique requiert une forme optimale, d’où des irrégularités dans ses prestations. Quand on lit les compte-rendus des matchs, on voit souvent que Maschinot est qualifié de « roi du terrain », qu’il est « le meilleur homme du match », qu’il a réalisé « une partie transcendante », parce qu’en forme, il est suractif, on ne voit que lui.

Un 3-3 contre l’Italie qui ne satisfait pas la presse

Les sélectionneurs finissent eux aussi par le voir, et lui donnent sa chance en 1927, car l’équipe de France est à reconstruire à la suite de la fin du cycle Bard-Nicolas-Dubly, après les Jeux olympiques de 1924. Beaucoup de néophytes sont testés à partir de 1925, rarement de façon heureuse, l’équipe est alors chamboulée en permancence (ce qui, au passage, n’est pas bon). Testé en sélection B contre le Luxembourg en février 1927 (5-2), Maschinot est ensuite lancé dans le grand bain face aux redoutables Italiens en mars, avec deux autres néophytes, Sotiault du havre, et Taisne d’Amiens.

Quand on se rappelle qu’en 1925, l’Italie avait gagné 7-0, le 3-3 de 1927 est plutôt positif, mais les critiques ne sont pas satisfaits ; selon un schéma bien connu : ils veulent le résultat ET la manière ; or, si trois buts ont été inscrits (et ça n’arrive pas souvent aux Italiens !), la presse fait la fine bouche : « Les joueurs du centre (de l’attaque) furent faibles. Taisne, pousseur infatigable ne sait pas distribuer le jeu, et comme ses deux inters (dont Maschinot) ne le savent pas plus que lui, le jeu de la ligne fut heurté. »

Un commentaire passéiste, nostalgique du jeu de passe d’avant 1925, du jeu de Paul Nicolas et Henri Bard, antithèses absolues d’un Maschinot. Plutôt que de comprendre que le jeu ayant changé, il fallait s’habituer au jeu long, aux duels, caractérisant le WM anglais naissant, ils se bloquent sur une conception pourtant révolue. Maschinot en est donc la victime, et disparaît aussitôt qu’apparu de l’équipe de France.

  • L’Auto du 12 juillet 1930 (BNF Gallica)

Mis à disposition par Peugeot pour la Coupe du monde 1930

Il y reviendra pourtant, en 1930. L’équipe de France va mal, les sélectionneurs n’ont toujours pas trouvé un cadre, et continuent de faire défiler sous le maillot bleu des joueurs, à la pelle, et de les remplacer au bout d’un ou deux matchs à peine. Maschinot, qui joue désormais à Sochaux et qui est semi-pro (il travaille l’après-midi aux usines Peugeot, comme son ami Mattler) fait son retour face au Portugal, puis face à la Suisse en mars : « Maschinot fut le roi de notre équipe en première mi-temps. Les Suisses ne se méfiaient pas de lui, ils surveillaient Nicolas (revenu en sélection) et Korb. Par ses dribbles, ses passes à Korb et Nicolas, ses courses au but, il fit vraiment sensation. Après la mi-temps, il baissa terriblement de pied » (comprendre que les Suisses le bouclèrent…).

On sait que la FFFA (le A fut éliminé en 1942) n’était pas favorable à l’idée d’aller jouer la Coupe du monde naissante à Montevideo — incroyable à un siècle de distance, mais vrai — que les trois sélectionneurs (Barreau, Delanghe, Rigal) non plus, et que c’est le forcing de Jules Rimet, président de la FIFA (et de la FFFA, mais pas tout-puissant), associé à l’injonction du Ministère des Affaires Etrangères, qui emporta la décison de participer.

Restait à trouver des joueurs pouvant se libérer deux mois, ce qui, à une époque où l’amateurisme (quoique « marron ») prévalait, n’allait pas de soi. Peugeot mit à disposition ses joueurs (les frères Laurent, Mattler et Maschinot), de sorte qu’André Maschinot, qui n’était pas titulaire avant (c’était Pavillard, indisponible pour Montevideo de même que Paul Nicolas) fut du voyage…que ne firent aucun des trois sélectionneurs !

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L’équipe de France avant son premier match de Coupe du monde contre le Mexique le 13 juillet 1930. André Maschinot est accroupi, au milieu.

Maschinot se brouille avec Caudron malgré un doublé historique

C’est le délégué du Bureau Fédéral, Jacques Caudron, ancien gardien de but du FC Rouen (vers 1900) qui prit la tête de la délégation, et ce détail compte, parce qu’André Maschinot eut maille à partir avec lui, pour une raison imprécise, mais qui fit quelque bruit, puisqu’on relève dans le Miroir des Sports du 9 septembre 1930 ces lignes : « Maschinot, rentré de Montevideo avec une réputation bien compromise », de même que Jean Laurent, tous deux étant qualifiés d’éternels protestataires ». Pourtant, Maschinot s’était distingué, puisqu’il avait marqué deux buts face aux Mexicains lors du match d’ouveture, gagné 4-1, mais cet exploit semble effacé par son altercation avec Jacques Caudron !

André Maschinot a également joué contre l’Argentine (0-1), match devenu légendaire (bien avant ceux de 2018 et de 2022 !) et a été blessé, de sorte qu’il n’a pas disputé le dernier match, contre le Chili. Par contre, il a joué les trois matchs amicaux disputés avant de repartir d’Amérique du Sud, contre le Nacional de Montevideo (3-2) — ou plutôt son équipe réserve — le FC Santos (1-6), futur club de Pelé, et la sélection du Brésil au grand complet (2-3 à Rio, un exploit). Mais il ne parvint pas à scorer.

Comme il n’a plus été resélectionné après, et alors qu’il évoluait dans le meilleur club français, le FC Sochaux, toujours avec son ami Mattler, et son autre ami Lucien Laurent, qu’il a gagné la Coupe Sochaux en 1931 (marquant un but en finale contre Lille, battu 6-1) a été ensuite champion de France en 1935, on ne peut que conclure que Maschinot a été « blacklisté » à la suite du rapport remis par Jacques Caudron. Une déchirure musculaire le met sur la touche à Sochaux en janvier 1937, et, à 34 ans, il ne parviendra plus à lutter contre la concurrence, Sochaux regorgeant d’attaquants de classe : les Abegglen, Duhart, Bradac, Courtois, Lauri…

Un match contre son frère avec Sochaux

C’est donc dans la discrétion qu’il mit fin à sa carrière professionnelle, n’étant jamais passé pour une vedette du football français. Au contraire de son coéquipier Mattler, devenu incontournable en sélection, et même devenu un héros pour avoir, sous le maillot bleu, à Naples, entonné une Marseillaise patriotique devant les fascistes italiens, et qui se couvrira encore davantage de gloire dans la Résistance, en 1944…

A noter qu’il avait un jeune frère, surnommé « Titi », de son vrai prénom Marcel, demi-centre à l’US Belfort, toujours demeuré amateur, qualifié de « Un Bouboule en herbe, avec beaucoup plus (?) de cran, espoir de l’USB des moins de 20 ans » (en 1933), et qui joua en division 2 en 1939. Il est même arrivé (le 2 novembre 1933) que les deux frères jouent l’un contre l’autre, lors d’un match opposant le FC Sochaux à une sélection de Franche–Comté !

André Maschinot, qualifié par le Petit Comtois en 1941 de « Cigale du sport » (sans explication), évolua après l’Armistice de 1940 pour l’US Delle jusqu’à la Libération, puis, tout en travaillant en usine comme il l’avait toujours fait (ajusteur, tourneur, monteur, mécanicien), entraînera jusqu’au bout toute une ribambelle de petits clubs amateurs, Provins, ASP Belfort, Bussang, Le Thillot, Wittenheim, et j’en passe. Il est décédé à Colmar le 7 mars 1963 à 59 ans.

Les matchs d’André Maschinot avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 24/04/1927 Colombes Italie 3-3 90
2 Amical 23/02/1930 Porto Portugal 0-2 90
3 Amical 23/03/1930 Colombes Suisse 3-3 90
4 CM 13/07/1930 Montevideo Mexique 4-1 90 2 buts, premier doublé de l’histoire de la Coupe du monde
5 CM 15/07/1930 Montevideo Argentine 0-1 90

Vos commentaires

  • Le 19 mai 2023 à 09:27, par jean-pierre maschinot En réponse à : André Maschinot, l’auteur du premier doublé en Coupe du monde

    Toute notre famille remercie ceux qui ont participé à cet hommage à « Bouboule » mon père. Les Maschinot ont tous vécu foot pendant des générations, ils le doivent certainement à ce petit avant centre, quelque peu oublié, mais qui a fait parti d’une aventure exceptionnelle, le dernier survivant de cette époque n’était autre que le 1er buteur de cette CDM, Lucien Laurent que j’ai eu la chance de rencontrer en 1998, une année symbolique pour l’EDF.

  • Le 2 mars à 17:56, par Philippe Maschinot En réponse à : André Maschinot, l’auteur du premier doublé en Coupe du monde

    J’ai des souvenirs d’enfance en allant au Stade Bonal à Sochaux avec papa, Marcel Maschinot dit Titi, frère d’André. Dans les tribunes Forges, il y avait toujours l’un ou l’autre qui se rappelait des souvenirs de Bouboule.
    Il y a quelques années j’ai remis à Jean-Pierre Maschinot, fils d’André, la petite médaille de veste, des Internationaux de la FFF, que portait mon père fièrement et qui lui avait été donné par André quelques jours avant sa mort.
    Les Maschinot sont une famille de footballeur dans l’âme. Depuis André !

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