Bernard Chiarelli, le remplaçant virtuel de 1958

Publié le 30 mai 2024 - Pierre Cazal, Richard Coudrais

Appelé en renfort en mai 1958 après le départ de trois joueurs algériens, Bernard Chiarelli a fait partie de l’aventure suédoise sans toutefois jouer. Si les remplacements avaient été autorisés, il aurait pu entrer contre le Brésil à la place de Robert Jonquet...

5 minutes de lecture

Au printemps 1958, à quelques semaines de la Coupe du monde en Suède, plusieurs joueurs algériens choisissent de quitter la France, parmi lesquels Mustapha Zitouni, Rachid Mekhloufi et Abdelaziz Ben Tifour, membres de l’équipe de France appelés à disputer le mondial suédois. Les sélectionneurs entreprennent de leur trouver des remplaçants. Parmi eux s’impose Bernard Chiarelli, né le 24 février 1934 à Valenciennes, et meneur de jeu de l’USVA avec qui il accède en première division en 1956.

Il y a longtemps que l’international espoirs a été repéré par les sélectionneurs. Même lorsqu’il jouait en deuxième division, il était appelé à participer aux stages de l’équipe de France, rare privilège pour un joueur de l’étage en dessous. Il participe à une rencontre de l’équipe de France B à Athènes en 1957 puis à quelques matchs de préparation contre des équipes de club. Mais il doit patienter encore pour connaître sa première vraie sélection, contre l’Espagne en avril 1958.

Héros boudé de l’épopée suédoise

Bernard Chiarelli fut donc de l’aventure suédoise, mais pas sur le terrain. Si, dès l’origine en 1930, il existait bien une « liste des 22 » (devenus 23 aujourd’hui), les 22 joueurs en question se divisaient en 11 titulaires, destinés à le rester sauf blessure ou insuffisance grave, et 11 remplaçants, voués à regarder, parce qu’il ne leur était pas possible d’entrer en cours de jeu avant 1970.

Blessure il y eut en 1958, par deux fois : la première, légère, de Jean-Jacques Marcel à l’issue du match d’ouverture contre le Paraguay. Bernard Chiarelli, qui n’était pas titulaire, se prit à espérer, d’autant plus que l’entraîneur Albert Batteux lui laissa entendre qu’il jouerait le second match contre la Yougoslavie en lieu et place de Marcel. Mais déception, au moment de la causerie d’avant-match, ce fut Lerond qui fut déplacé au milieu, et le vétéran Roger Marche entra à l’arrière : question d’expérience internationale, certainement. Furieux, Chiarelli quitta le vestiaire pour retourner à l’hôtel. « J’ai mal réagi », concéda-t-il plus tard, conscient de s’être en quelque sorte tiré une balle dans le pied, ce genre de réaction étant mal accepté surtout quand elle vient d’un néophyte.

La seconde fois, ce fut lors de la demi-finale : Robert Jonquet eut le péroné fêlé lors d’un choc avec le brésilien Vava (qui serait expulsé aujourd’hui pour un tel geste). Double peine : les remplacements, même pour une telle blessure, n’étant pas alors autorisés, Jonquet fut condamné à boîtiller sur l’aile gauche, inutile, tandis que Vava, pour sa part, restait sur le terrain et déchargeait Pelé de la tâche de jouer en pointe, ce qui lui permit de marquer trois fois en deuxième période !

Or, s’il avait été possible de faire entrer un joueur, ça aurait été Chiarelli. En effet, Batteux opta pour la solution de faire reculer Marcel (rétabli) en position d’arrière central au marquage de… Vava, et de faire reculer également Vincent, l’ailier gauche, au poste laissé libre par Marcel. Une désorganisation complète de son système de jeu, qui le privait d’aile gauche. Chiarelli demi, Vincent aurait pu rester à l’aile et l’attaque fonctionner normalement ; et si Vava avait été expulsé, alors la physionomie du match aurait certainement beaucoup changé…

Pas de troisième place pour les coiffeurs

Mais Chiarelli resta sur le banc. Il n’en sortit pas non plus pour jouer le match de la troisième place, malgré les demandes des remplaçants, qui estimaient que ce match était sans importance et qu’on pouvait les récompenser en le leur abandonnant, ce qui fut d’ailleurs le cas en 1982… où le match fut piteusement perdu. Mais Paul Nicolas et Albert Batteux ne le voulurent pas et ils eurent raison. Maurice Lafont entra à la place de Jonquet, et Yvon Douis à celle de Roger Piantoni, qui avait joué (et marqué) contre le Brésil avec une appendicite ! Mais pas Chiarelli, pas plus que Robert Mouynet et Casimir Hnatow, les deux autres remplaçants…et le match fut splendidement gagné contre les champions du monde sortants, l’Allemagne (6-3).

Encore, à l’inverse de Mouynet et Hnatow, Chiarelli avait-il eu l’occasion préalablement à la Coupe du monde de glaner une sélection, la seule, contre la Suisse en avril 1958 (il existe une vidéo de ce match). Sans Kopa ni Fontaine, l’attaque n’avait pas brillé, au contraire du gardien suisse Elsener, et Roger Marche s’était vu refuser un but, sur un tir de 35 mètres qui avait rebondi sous la transversale et ressemblait à celui marqué par l’Anglais Hurst lors de la finale de la Coupe du Monde 1966.

Remplaçant contre l’Espagne, en mars 1958, Chiarelli avait participé aux trois matchs de préparation joués contre Limoges (en janvier) Reims (en février), puis une sélection de Paris (en mai), mais entrant en jeu lors des deux derniers matchs, qui, n’étant pas officiels, ouvraient la possibilité de faire entrer un remplaçant à la mi-temps, et les deux fois, ça avait été Chiarelli. Donc il avait logiquement figuré dans la liste des 22 pour la Suède. Par ailleurs, il avait goûté à la sélection B en octobre 1957 contre la Grèce (1-2) , puis goûtera encore en décembre 1961 à la sélection…B’ (on les multipliait à l’époque, pour tester d’éventuels talents) face au Luxembourg (2-0) ; mais force est de constater que Chiarelli est en fait resté aux portes des Bleus.

Pourquoi ?

Né le 24 février 1934 à Valenciennes au sein d’une famille nombreuse (dix enfants), immigrée d’Italie, Chiarelli s’est vite fait remarquer par des qualités techniques au-dessus de la moyenne et a d’abord joué ailier à l’US Valenciennes, avant de reculer au poste de demi, qui, dans le WM, avait un rôle de relayeur. Le milieu de terrain n’avait pas alors l’importance qu’il a acquise bien plus tard, lorsque l’attaque, forte de pas moins de cinq éléments dans le WM, s’est progressivement dégarnie.

Un joueur vindicatif pas facile à gérer

Les qualités de Chiarelli étaient la vitesse et la technique, mais ses défauts étaient d’une part une propension à l’individualisme, donc à porter le ballon, et surtout la répugnance aux duels, avec un gabarit léger (1,76 m pour 69 kg). Il privilégiait l’offensive sur la défensive, or le football évoluait vers un engagement athlétique de plus en plus accru. De plus, comme Chiarelli le reconnaissait volontiers lui-même, il était « vindicatif » et pas toujours facile à gérer.

Raisons pour lesquelles il n’a évolué que dans des clubs faisant de la figuration en championnat ou en Coupe ? Au lendemain du mondial suédois, le Valenciennois rejoint le RC Lens à l’issue d’un transfert houleux. Il ne reste qu’une saison chez les Sang et Or avant de signer au LOSC. Il est le seul joueur de l’histoire à avoir porté les couleurs des trois grands clubs du Nord. Après deux ans à Lille, il joue deux saisons à Sedan puis une autre au Havre, avant de rejoindre les rangs amateurs de Bergerac.

Le fait est que, tant à Valenciennes qu’à Lens, il opéra dans le bas de tableau,où les sélectionneurs vont rarement pêcher. Et c’est seulement à Sedan, en 1961 et 1962, qu’il lutta pour les premières places (5e en 1962, 3e en 1963, mais blessé il n’avait que peu joué chez les « Sangliers » cette année-là).

Par la suite il s’orienta vers la carrière d’entraîneur, mais ne dépassa jamais un niveau très modeste, tant à Lucé, qu’il fit monter de division d’Honneur à la division 2 (en deux groupes) en neuf ans ou à Raismes (de DH à D4…). A tel point qu’il se réorienta sur le tard, devenant CPE en 1985 dans un collège de Valenciennes !

Une sélection A, deux sélections B

Sel.MatchDateLieuAdversaireScoreTpsNotes
France B 05/10/1957 Athènes Grèce 1-2 90
non officiel 22/01/1958 Limoges FC Limoges 3-2 90 1 but
non officiel 12/02/1958 Rennes Stade Rennais 4-1 > 45
1 Amical 16/04/1958 Paris (Parc) Suisse 0-0 90
non officiel 13/05/1958 Paris (Parc) Sélection Paris 2-1 90
France B 10/12/1961 Esch-sur-Alzette Luxembourg 2-0 90 (cap)

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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