France-Espagne : comme un air de déjà-vu

Publié le 6 décembre 2010 - Bruno Colombari

Article initialement publié le 6 mars 2010.

La nette défaite des Bleus le 3 mars 2010 a une sœur jumelle : le 11 octobre 1986, l’équipe de Michel Platini était surclassée par une sélection soviétique irrésistible (0-2). C’était le début d’un tunnel de dix ans. Rendez-vous en 2020, alors ? Probablement pas. L’horizon de l’équipe actuelle se situe plutôt vers 2014-2016. Voici pourquoi.

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Le spectacle d’une équipe de France surclassée, à la régulière et à domicile, est assez rare pour qui n’a pas connu les tristes années 60 et 70. Depuis l’époque Platini-Tigana-Giresse, et plus récemment celle de Blanc-Deschamps-Zidane, ce genre d’événement se compte sur les doigts des deux mains. Et pour trouver trace d’un tel sentiment d’impuissance face à un adversaire meilleur dans tous les domaines, il faut probablement remonter au 11 octobre 1986.

Ce soir-là, l’équipe de France entraînée par Henri Michel reçoit la sélection d’URSS de Lobanovski, sans doute la meilleure d’Europe cette année-là. Articulée sur les cadres du Dynamo Kiev, vainqueur de la coupe des coupes six mois plus tôt à Lyon, l’URSS aurait sans doute fait un très grand Mondial mexicain sans un huitième de finale malchanceux (et mal arbitré) contre la Belgique (3-4 après prolongations). Les Bleus avaient d’ailleurs croisés sa route au premier tour et s’étaient estimés heureux de s’en sortir sans trop de dégâts (1-1) au terme d’un match intense.

Ce samedi 11 octobre, donc, Henri Michel doit recomposer une défense centrale en raison du forfait de Battiston et de la retraite internationale de Bossis (à 31 ans). Il choisit le jeune stoppeur d’Auxerre, Basile Boli (19 ans) et appelle le libéro parisien Philippe Jeannol, dont c’est la première (et dernière) sélection. Pour le reste, on note le retour de Platini au milieu, avec à ses côtés Fernandez, Tigana et Ferreri, et le duo Papin-Stopyra en pointe.


 

Les Bleus font face avec courage et abnégation pendant près d’une heure, sont sauvés par le poteau, se créent quelques occasions nettes et essaient de suivre le rythme très élevé des soviétiques. Puis les digues craquent en six minutes, avec des buts de Belanov (67e) et Rats (73e). La dernière demi-heure tourne à la démonstration [1]. On ne le sait pas encore, mais on entre alors dans un long tunnel de dix ans qui ne prendra vraiment fin qu’à l’Euro 1996.

Est-ce à dire qu’il ne reste plus qu’à se donner rendez-vous en 2020 ? Probablement pas. Tout d’abord parce que le contexte de ce France-Espagne est très différent du France-URSS de 1986. Raymond Domenech est en toute fin de mandat alors qu’Henri Michel était en place depuis seulement deux ans [2], France-URSS était un match de compétition qualificatif pour l’Euro 1988 [3] et il se jouait quatre mois après une coupe du monde, et non pas trois mois avant. Enfin, on l’a vu, les Bleus ont tenu le choc pendant une heure dans un match très rapide, alors que l’Espagne a fait la différence en première période quasiment en marchant.

L’autre différence de taille, elle est générationnelle. En octobre 1986, les Bleus viennent de perdre Bossis, Giresse et Rocheteau, qui jouent tous en club mais se sont mis en retraite de la sélection. Il reste dans l’équipe Bats, Tigana et Platini qui entourent Amoros, Stopyra, Ayache, Fernandez, sensés être les futurs cadres, et quelques rares jeunes comme Boli, Ferreri et Papin. Mais c’est une équipe en fin de cycle, qui ressemble plutôt à celle de 2006.

En mars 2010, le groupe compte de nombreux joueurs très jeunes comme Lloris, Mandanda, Ciani, Lassana Diarra, Gourcuff, Ben Arfa, sans même parler des absents comme Benzema ou Nasri. Or, se profile à moyen terme deux phases finales particulièrement intéressantes : la coupe du monde 2014 au Brésil, et l’Euro 2016 dont on saura en mai s’il aura lieu en France.

Au printemps 2014, Moussa Sissoko aura 24 ans, Benzema et Ali Cissokho 26, Lloris, Ben Arfa, Rémy et Nasri 27, Gourcuff, Gignac, Rami et Diaby 28, Lassana Diarra 29, Clichy et Mandanda 29, Ciani 30, Sagna 31. En 2016, la moitié d’entre eux n’auront pas encore trente ans. Comme les champions du monde (ou d’Europe) ont souvent une moyenne d’âge entre 28 et 30 ans, tout laisse à penser que cette génération arrivera au sommet dans la période 2014-2016. Sans compter, bien entendu, que d’ici-là des jeunes joueurs prometteurs qui débutent à peine aujourd’hui viendront renforcer l’effectif.

Si on ajoute à cela l’arrivée probable de Laurent Blanc pendant l’été, de grands espoirs sont permis. Sans doute pas pour 2010, tant les cadres actuels (Henry, Vieira, Gallas, Anelka, et à un degré moindre Evra ou Toulalan) semblent hors course, peut-être pas pour l’Euro 2012 qui arrivera un peu tôt. Mais dans quatre ans, qui peut dire de quoi ces joueurs seront capables ?

[1Dans l’Année du football 1987 (Calmann-Lévy), Jacques Thibert écrit : « En première mi-temps, l’équipe de France répond du tac au tac, sur un rythme incroyablement élevé, à la perfection d’équipe qui se trouve en face d’elle. Elle puise alors, sans qu’on le sache encore, au tréfonds de ses capacités physiques, individuelles et collectives pour répondre à ce jeu soviétique futuriste où la précision n’exclut jamais la vitesse, où la maîtrise du ballon n’empêche pas les démarrages incessants et où le brio des individualités est aussi élevé que la qualité exceptionnelle du collectif ». Une description qui s’appliquerait bien au Barcelone 2009. Après le match, Henri Michel dira : « L’intention et l’envie de pratiquer le même football sont les mêmes mais nous n’en avons plus les moyens. Nous ne marquons plus de buts, le milieu de terrain est moins présent et notre défense a été mauvaise en deuxième mi-temps » (cité par Jacques Thibert, ibid)

[2il sera limogé en octobre 1988 après un match nul à Chypre.

[3La France finira deuxième et sera éliminée, l’URSS se qualifiera et ne sera battue qu’en finale par les Pays-Bas de Gullit, Rijkaard et Van Basten.

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