Les premiers Bleus : Georges-Henri Albert, de l’ombre à Londres

Publié le 2 février 2023 - Pierre Cazal

Longtemps cantonné au statut d’un patronyme (avec un prénom inexact) dans la longue liste des internationaux A français, Georges-Henri Albert, une sélection aux JO de 1908, a désormais un état-civil et une histoire. La voici.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
6 minutes de lecture

Avec cet article commence « Les premiers Bleus », une série consacrée aux anciens internationaux tellement oubliés, ou inconnus, qu’ils ne sont que des noms figurant sèchement sur des listes, suivis de leur nombre de sélections. L’objectif de ces notices biographiques sera de faire le point sur ce que l’on sait de ces Bleus d’antan : ceux de l’USFSA d’abord, puis ceux du CFI, et ainsi de suite.
Georges-Henri Albert ouvre la série.

Le premier Dictionnaire des Internationaux connu, celui dressé par « Football 54 », le Cahier de l’Equipe bien connu, se borne à dire ceci :
ALBERT, 1 sel CA Paris attaquant. Participa aux JO 1908 Danemark.
Football 89, le dernier des Cahiers de l’Equipe, n’est guère plus prolixe :
ALBERT Yves (1885) attaquant CA Paris 1 sélection 1908 Danemark.

Prénom, Georges-Henri

D’où proviennent le prénom Yves, et la date de naissance de 1885 ? Mystère. Mais l’un et l’autre sont faux. Sur l’Auto, l’initiale du prénom d’Albert est souvent donnée : G. Donc, Yves est une invention révélant une absence de recherche sérieuse. Car dès 1916 on peut relever son prénom complet : « Georges-Henri Albert, ex-CAP », sur Sporting. C’est notre homme !

Georges-Henri Albert (deuxième joueur debout en partant de la gauche) avec le CA Paris en mars 1910 (BNF Gallica)


A partir de là, il devient facile de trouver son état-civil complet, je vous passe les détails de la recherche, pour en venir aux résultats. Georges-Henri Albert est né à Paris le 21 août 1882, et sa fiche militaire comporte, à la rubrique profession, le mot : libraire, rayé et suivi de : comptable. Comptable dans une grande librairie parisienne ? Peut-être. A une époque où la plupart quittent les bancs de l’école très tôt (à douze ans…) Albert, d’évidence, a reçu une instruction plus poussée que la moyenne, et, au moment où il est incorporé, en septembre 1904, il a un emploi. C’est bien entendu un parfait amateur, qui ne joue que pour le plaisir et ne reçoit pas un sou.

Un des petits démons rouges de la Nationale de Saint-Mandé

La première mention qu’on trouve de lui, question football, remonte à 1901 : il fait alors partie de l’équipe « seconde » de la Nationale de Saint-Mandé, club omnisports créé en 1896. C’est un des clubs pionniers du football français, celui des frères Bilot, dont on reparlera. En novembre 1902 il est devenu titulaire, dans une ligne d’attaque comptant Mesnier, Guy, Albert, Cyprès et Delolme, qui est qualifiée ainsi : « les petits démons rouges qui forment la ligne d’avants de la NSM sont extraordinaires : leurs passes exécutées à toute vitesse soulèvent des tonnerres d’applaudissements ». Un enthousiasme excessif, sans doute, mais lié au fait que le jeu de volée, ou de demi-volée, n’était pas courant. En 1900, on prenait d’abord le temps de bloquer la balle, de l’arrêter, avant de regarder où la passer, d’où un jeu assez lent, d’autant qu’on ne se hasarde pas à passer long, trop de balles s’égareraient !

La Nationale de Saint-Mandé devient le FC Paris en 1903, et l’on retrouvera les frères Georges et Charles Bilot, ainsi que Gaston Cyprès et Louis Mesnier, sous le maillot de l’équipe de France en 1904, lors du match inaugural de Bruxelles, le 1er mai.

Mais pas Georges-Henri Albert. Il disparaît des journaux fin 1904, car il est sous les drapeaux, pour deux ans, affecté au 109ème régiment d’Infanterie basé à Chaumont, qui est fort éloigné de Paris. Le FC Paris, devenu le CA Paris, se distingue au point de gagner le championnat de Paris, puis de se qualifier pour la finale du championnat national de l’USFSA, qui se dispute sous la forme de play-offs en fin de saison, entre les différents champions des régions. Mais Albert n’en est pas. Il faut en déduire qu’il n’a pas la possibilité de revenir à Paris régulièrement pour participer aux matchs de son club, qui se passe de lui.

La terreur des avants

Cependant, Albert pense encore au football, car, dès qu’il est démobilisé, il réapparaît sous le maillot rouge du CAP. Il n’est pas un titulaire indiscutable, et se fait balader à tous les postes, y compris celui de demi-aile. On relève, en 1909, le commentaire suivant, le concernant : « La terreur des avants. Albert est un demi-aile aussi bon qu’à l’avant. Vite et adroit, il marque son homme toujours à propos. »

Il a donc la qualité d’être polyvalent ; c’est un petit gabarit (1,65 mètre), rapide et accrocheur, qui sait passer (mais pas shooter, les buteurs du CAP sont Cyprès et Mesnier), et défendre, ce qui le rend utile. Car Albert n’est visiblement pas un joueur doué, au contraire de ses coéquipiers Cyprès et Mesnier, qui prennent la lumière : il n’est jamais retenu dans la sélection de Paris, annuellement opposée à celle du Nord, ni en 1907, ni en 1908, ni plus tard.

Fin novembre 1908 a lieu le match de sélection pour l’équipe de Paris, opposant une équipe A et une équipe B, avec des remplaçants pour chacune ; Albert a joué, mais : « Albert jouait au centre, comme remplaçant. » Il y a donc toujours mieux que lui, pour les sélectionneurs du comité de Paris. Et aussi pour les sélectionneurs de l’équipe de France. Il n’est même pas retenu, lors des quatre matchs de 1908 qui précèdent le tournoi olympique, au titre de remplaçant ! Bref, c’est un « bon joueur de club », sans plus.

Sur un malentendu

Il va pourtant finir par être sélectionné, mais les circonstances sont particulières. Pour le tournoi olympique de Londres, deux équipes de France ont été engagées, comme le règlement le permettait (mais aucune autre équipe ne l’a fait, pas même les Britanniques, pour lesquels ce règlement avait été prévu, de façon que, outre l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande puissent s’engager, ce à quoi ils se sont finalement refusés !). J’ai déjà expliqué dans d’autres articles que, pour couper la poire en deux, il avait été envisagé, à un moment, qu’une équipe de l’USFSA et une équipe du CFI soient engagées… mais l’USFSA s’y opposa et eut gain de cause, à condition d’aligner non pas une, mais les deux équipes, ce qui divisait ses faibles forces de moitié !

Les sélectionneurs de l’USFSA (à savoir Billy, Espir et Lebeau) retinrent 44 joueurs, et Albert se trouva donc enfin choisi dans l’équipe A, aux côtés de Sartorius, François, Cyprès et Hanot, ce dernier étant remplaçé à la dernière minute par Fenouillère. On suppose facilement que ce devait être une belle satisfaction d’être ainsi retenu à 26 ans, et, cerise sur le gâteau, de participer aux Jeux olympiques, avec un voyage à Londres !

Mais le gâteau en question dut lui rester sur l’estomac, car, si la défaite paraissait inévitable pour tout un tas de raisons qu’on n’évoquera pas ici, tout est une question de proportions, pour que l’honneur soit sauf, ce qui était le principal à une époque où il n’y avait guère d’enjeu, et surtout pas financier, ni médiatique. Etre battu sur le score de 17 à 1 par des Danois que nul ne connaissait est en revanche humiliant, et la presse ne se fit pas faute de le faire savoir. Le retour à Paris dut être pénible. Aucun de ses dix coéquipiers ne fut plus jamais retenu en équipe de France, et Georges-Henri Albert non plus.

Battu en finale par les Suisses de Marseille

La routine du football reprit, et le CA Paris réserva encore à Albert quelques satisfactions, mineures il est vrai. En 1909, il fut champion de Paris, et parvint en finale du championnat de France, ce qu’il n’avait pu faire en 1906, son équipe étant opposée au Stade Helvétique de Marseille, après avoir éliminé Angers 17 à 1 (!), Rennes 8-3, Tourcoing 1-0. Le Stade Helvétique, comme son nom l’indique, était composé uniquement de joueurs suisses, plus un Anglais formé en Suisse également, et ne comportait pas un seul joueur français. L’USFSA avait de tout temps accepté ce genre de situation : en 1894, les premiers clubs, comme le Standard ou les White Rovers, n’étaient ouverts qu’à des Anglais.

L’équipe du CAP, qui perdit cette finale 2-3, après avoir mené pourtant 2-1, était ainsi composée : Beau – Verlet, Charles Bilot – Debeaux, Pacini, Georges Bilot - Mesnier, Devic, Albert, Cyprès, Mariette.

Le compte-rendu du match dit : « Albert, au centre, n’avait pas le contrôle de la balle ; un bon shooteur, à sa place, eût marqué un ou deux buts. » Et de regretter : « La grosse faute des capistes fut d’avoir laissé Bigué ; si l’habituel extrême droit aurait (sic…) été là, Albert, centre demi, eût mieux fait que le vieux Pacini ». On sait qu’Albert était plus un passeur qu’un buteur…

L’Auto du 21 avril 1909 (BNF Gallica)

Un pur amateur parti au Club Français

L’année 1910 marqua un tournant pour Albert : en août, les dirigeants du club décidèrent de rompre avec l’USFSA en raison du boycott international consécutif à la rupture des relations avec la FIFA, qui privait le club de juteux matchs de gala avec des clubs étrangers, et de s’affilier au CFI, pour pouvoir retrouver ce droit. Georges-Henri Albert n’accepta pas cette trahison, qui signifiait une prise de distance avec l’amateurisme pur, qu’il avait toujours pratiqué. Le CFI, lui, s’arrangeait sans problème avec l’amateurisme « marron », qui commençait à sévir dans le football français. Il décida donc de changer de club, et s’en alla signer, avec son camarade Gaston Cyprès, au Club Français, resté fidèle aux anciens idéaux et à l’USFSA.

Il n’y resta cependant que deux ans : à 30 ans, il était désormais un vétéran, dans une époque où le football était bien plus qu’aujourd’hui affaire de jeunes. Il faut dire que le passage à la vie active (10 heures par jour, 6 jours sur 7), le mariage et la vie de père de famille (Albert s’est marié en 1907) rendent moins disponible, y compris pour jouer le dimanche après-midi. Albert n’en a pas moins rejoint le modeste club de la Légion Saint-Michel, dont le stade, situé dans le 15ème arrondissement, était plus proche de son domicile, situé dans le 7ème, et où il a joué jusqu’à sa mobilisation, pour faire la guerre.

Il eut la chance de traverser la guerre de 14-18 sans être blessé, et se retira ensuite à Verrières-le Buisson, qu’il ne quitta plus jusqu’à son dernier jour, survenu le 15 mai 1963, oublié depuis bien longtemps, si tant est qu’il ait bénéficié de la moindre notoriété quand il jouait, ayant toujours été éclipsé par plus brillant que lui, comme Gaston Cyprès, Louis Mesnier ou Emilien Devic.

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