Jérôme Bergot : « je voulais parler des moins célèbres, des peu connus, des oubliés »

Publié le 30 septembre 2021 - Bruno Colombari

Auteur du livre Les 1000 joueurs de l’équipe de France (Talent Sport), le journaliste Jérôme Bergot fait la part belle à ceux qui n’ont porté le maillot bleu que sur le banc de touche, sans compter aucune sélection. Il s’explique sur son parti pris.

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D’où vient l’idée d’écrire les notices biographiques de tous les internationaux français A ?

L’idée était de parler de tous les joueurs qui ont fait un jour partie de l’équipe de France. Les grands noms, les Kopa, Platini, Zidane, mais aussi les moins célèbres, les peu connus, les oubliés… et même ceux qui ont été sélectionnés, inscrits sur la feuille de match, mais ne sont pas entrés en jeu. Pour moi, ils font tous partie de la même famille.

Le choix de présenter les joueurs dans leur ordre d’arrivée, année par année, plutôt que par ordre alphabétique dessine une chronologie, avec ses années fastes en découvertes (comme 1976, 1994 ou 2017) et d’autres plus pauvres, même s’il y a beaucoup de nouveaux. Est-ce un effet générationnel, ou des choix de sélectionneurs plus pertinents que d’autres ?

« En 1998, les coéquipiers de Petit n’étaient pas les mêmes qu’à ses débuts en 1990... »

Je ne voulais pas d’un ordre alphabétique qui aurait fait se côtoyer des joueurs de façon aléatoire. Les regrouper par ordre d’entrée, année par année, permet de voir qui jouait en même temps qu’eux. Prenez Emmanuel Petit par exemple : il débute en 1990, fait une première carrière internationale sans relief pendant trois ans, et revient juste avant la Coupe du monde 1998. Mais ses coéquipiers n’étaient pas du tout les mêmes…

Il y a eu des grosses générations (1956, 1976, 1994) qui ont occupé la scène pendant six, huit parfois dix ans, et qui ont creusé malgré elles un trou derrière elles. Les sélectionneurs en mal de joueurs se sont parfois appuyés sur des équipes presqu’entières (Reims dans les années 1950, Saint-Etienne dans les années 1970, Marseille dans les années 1990), il a été certaines fois assez facile ainsi de devenir international.

L’originalité de ce travail est d’avoir intégré les 135 joueurs qui ont été appelés en sélection sans avoir joué une seule minute avec les Bleus. Peut-on pour autant les considérer comme internationaux ?

Ils ne sont pas internationaux, c’est certain, puisqu’il n’ont pas de sélection. Mais ils sont tout près. Henri Zambelli, qui a été appelé quatre fois par Michel Hidalgo entre 1976 et 1980 sans jamais entrer en jeu hormis pour un amical non officiel contre Belo Horizonte, disait dans une interview « mais j’ai l’équipement ! ». Pareil pour Jacques Santini, qui est le seul Vert de la grande équipe de Saint-Etienne à ne pas avoir été international A. Il en voulait d’ailleurs à Hidalgo, qui ne comprenait pas en quoi c’était important.

A contrario, des joueurs comme Bernard Boissier ou Franck Jurietti n’ont joué qu’une poignée de minutes en fin de match et sont donc internationaux. Pendant longtemps, Boissier ne voulait surtout pas qu’on lui parle de cette sélection [en avril 1975 contre le Portugal, Ndlr]], mais il a changé d’avis sur la question : il revendique ce statut d’international.

Finalement, la frontière entre ceux qui n’ont joué qu’une seule fois et ceux qui ne sont pas entrés en jeu est assez mince…

Oui, c’est certain, et c’est pour ça que je voulais mettre ces derniers en avant. Entre un joueur à trois ou quatre sélections, et un joueur sans sélection, la différence est faible. Ce sont souvent des concours de circonstances : le poste, la tournure du match, les blessés, les choix tactiques… D’ailleurs, il faut savoir une chose : pendant longtemps, la Fédération anglaise n’attribuait pas de sélection aux joueurs qui n’avaient jamais été titularisés, mais qui étaient entrés en cours de jeu comme remplaçants. Ils ont été réintégrés dans les statistiques après coup.

« Griezmann a fait des débuts bien timides en 2014 »

Parmi ces 135, lesquels selon vous auraient mérité de faire carrière en A ? Qu’est-ce qui fait qu’une carrière internationale décolle ou avorte ?

Il faut être clair : aucun de ces joueurs à zéro sélection n’aurait sans doute fait une grande carrière internationale. La différence se fait plutôt entre ceux qui ont une ou deux sélections et ceux qui n’en ont pas.

Quel joueur vous a le plus marqué à sa première sélection, parmi ceux que vous avez vu débuter ?

Lizarazu ! Je me suis tout de suite dit « celui-là, il est là pour longtemps ! » A contrario, Griezmann a fait des débuts bien timides en mars 2014…

Comment avez-vous procédé pour compiler toutes ces données, sachant que pour chacun vous précisez le nombre de titularisations, de statut de remplaçant entré en jeu ou resté sur le banc ? Quelles sont vos sources ?

La FFF a publié un livre dans les années 1950 qui détaille les internationaux d’alors. Les club publient de plus en plus de livres sur leur passé historique, on retrouve là parfois des joueurs appelés en équipe de France.

Depuis les années 1970, c’est facile, ce sont des joueurs qui sont mes contemporains, que j’ai vu jouer. Le plus difficile évidemment c’est avant les années 60, où les remplacements étaient l’exception. Les collègues de l’Equipe me disaient que jusqu’à cette époque, on n’entrait pas dans le détail scrupuleux du minute par minute, c’était assez aléatoire, notamment pour les clubs. Un peu plus pour la sélection.

Sur Internet, on trouve désormais beaucoup de détails biographiques sur les premiers joueurs. J’ai retrouvé des vieux livres de football des années 60 qui donnent beaucoup d’informations.

« J’ai vu mon premier match des Bleus en 1973, à la devanture d’un magasin de télévisions »

Et puis le nombre de matchs a été exponentiel : l’équipe de France joue une quinzaine de fois par an aujourd’hui, alors qu’avant c’était plutôt cinq ou six. Ce qui a démultiplié le nombre de joueurs, d’autant qu’il y a désormais cinq remplacements possibles par match.

Quel est votre rapport à l’équipe de France ? Quel est le premier match que vous avez vu, le premier que vous avez suivi en tribune de presse ?

Le premier que j’ai vu à la télévision, c’était en 1973, j’avais dix ans. L’anecdote amusante, c’est que je l’ai vu dans la rue. A cette époque, quand il y avait un grand match, les vendeurs de télévisions allumaient tous leurs postes dans les devantures, et les gens venaient voir, c’était un URSS-France un samedi après-midi. Pas tout le match, mais une mi-temps environ.


 

Le premier match des Bleus que j’ai vu en tribune, c’est beaucoup plus tard, en 1986 au Parc des Princes, les débuts de Papin. Un France-Irlande du Nord. Il faisait très froid, j’étais en virage Auteuil derrière les buts. Le premier comme journaliste, c’était toujours au Parc des Princes, toujours Jean-Pierre Papin, où il marque un but exceptionnel contre la Belgique avant l’Euro 1992, un ciseau retourné. Depuis j’en ai suivi 250 environ pour le journal Ouest-France. J’ai suivi les phases finales de Coupe du monde et des Euros, sauf le dernier. Aujourd’hui c’est beaucoup plus difficile de suivre les Bleus, ils se sont beaucoup refermés depuis le titre de 1998. Il faut prendre rendez-vous avec un agent, c’est beaucoup moins sympathique.

En tant que journaliste à Ouest France, que pouvez-vous dire de l’apport du football breton à la sélection ?

C’est une région qui a fourni pas mal de joueurs à travers les âges. Même si au début c’était surtout des Parisiens, puis des Nordistes quand l’équipe de France jouait dans le Nord. L’anecdote que j’aime bien, c’est celle de Jean Prouff, juste après la guerre qui se rend à sa convocation à Paris à bicyclette. Aujourd’hui on imagine mal un joueur faire ça ! Le problème du football breton, c’est qu’il y a eu longtemps un seul club professionnel de haut niveau, le stade rennais, qui potentiellement pouvait fournir des internationaux. Paradoxalement, il y a plus de joueurs d’origine polonaise que bretonne dans l’histoire des Bleus.

Après, si vous mettez Nantes en Bretagne, ça va être différent, surtout depuis le milieu des années soixante.

Raconter l’histoire de l’équipe de France, n’est-ce pas une façon originale et vivante d’aborder l’histoire nationale, avec ses vagues migratoires, son rapport à l’argent, aux médias, les périodes de tension internationale, les guerres, la décolonisation ?

Complètement. C’est le reflet d’une époque. Il y avait de très nombreux joueurs originaires d’Algérie avec autant de pieds-noirs que d’Arabes, surtout d’Algérie, jusqu’au début des années soixante. L’équipe de France s’est nourrie d’énormément de joueurs d’origine étrangère, les Polonais, les Italiens, les Espagnols…

« Domenech n’était pas choqué de voir des Espoirs filer dans d’autres sélections. »

D’autant que ces dernières années, on a une inversion de tendance avec des joueurs nés en France qui choisissent la sélection de leurs parents ou grands parents… Comme si le mouvement commençait à s’inverser.

Oui, des joueurs pressés de jouer en sélection pour aller en Coupe du monde. J’en avais parlé avec Raymond Domenech, lui ça ne le choquait pas de voir des Espoirs filent dans d’autres sélections. C’est un choix un peu précipité, je trouve. Ntep par exemple n’a pas fait de bons débuts, et il a vite vu qu’il n’aurait plus sa chance en équipe de France. il faut savoir qu’avant, il était possible de jouer pour plusieurs sélections, il suffisait d’avoir résidé un certain nombre d’années dans son pays d’accueil. Ça a été stoppé pour éviter quelques abus comme on a pu le voir pour d’autres sports.

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