L’autre moitié du ciel (3/3) : des Bleus à usage unique

Publié le 23 septembre 2019 - Bruno Colombari - 4

Ils sont 241 à avoir fêté leur première sélection sans savoir que ce serait aussi leur dernière. De Georges Bilot à Steve Savidan en passant par Michel Hidalgo et Pascal Chimbonda, brève histoire des éphémères.

4 minutes de lecture
Mise à jour d’un article paru initialement en janvier 2014.

On pourrait constituer sans peine 21 équipes de France différentes avec étrange liste, celle des Bleus à usage unique qui ne comptent donc qu’une seule sélection. 241 sur 908, ça représente tout de même 26,5 % du total. Parmi eux, il y a de futurs entraîneurs et même un futur sélectionneur, des buteurs et même deux doubles buteurs et d’autres qui ont à peine eu le temps de faire quelques pas avant le coup de sifflet final.

Cinq secondes pour entrer dans l’histoire

Raymond Domenech est taquin, on le sait. Quand il appelle Franck Jurietti dans le groupe pour jouer contre Chypre, en octobre 2005, on se dit que la carrière internationale du latéral bordelais, âgé alors de trente ans, risque de ne pas être bien longue. Il y a bien la coupe du monde qui se profile à l’horizon, mais pas grand monde, y compris sans doute lui-même, pense raisonnablement qu’il pourrait y être. A 4-0, la qualification est acquise. Alors que l’arbitre s’apprête à siffler la fin du match, Raymond Domenech demande un dernier changement. Il sort Sidney Govou et fait rentrer Franck Jurietti. Celui-ci a tout juste le temps de faire une vingtaine de mètres que sa carrière est déjà terminée. Pour la coupe du monde, Domenech lui préfèrera Pascal Chimbonda, dont l’unique sélection durera deux petites minutes en mai 2006 contre le Danemark.

Un bout de sélection

Ils sont 24 à avoir joué moins d’un match en entier. Il faut d’ailleurs rappeler que jusque dans les années soixante, les remplacements n’étaient autorisés qu’en match amical, ils étaient très rares.

Si on regarde plus en détail ceux qui ont joué moins d’une demi-heure, on en trouve quatorze.

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Une cape avant le banc

Parmi ces 241 Bleus éphémères, on trouve quelques futurs entraîneurs de club, comme Mario Zatelli (Nice, Nancy, l’OM), Victor Zvunka (RC Paris, Valenciennes, Toulouse, Nice, Guingamp, Nîmes), Didier Couecou (Bordeaux) ou Marcel Domingo (Atletico Madrid, FC Valence, Nice, Betis Séville). Et bien sûr, un sélectionneur, Michel Hidalgo. S’il n’a fait qu’un passage éclair sous le maillot bleu, ce dernier détient toujours le record de longévité sur le banc, à savoir huit ans et trois mois (1976-1984).

Marquer ne suffit pas

Quatorze de ces Bleus qui n’ont jamais été rappelés ont pourtant signé leur unique match en sélection par un but. Saluons donc la mémoire de Julien Faubert, Roland Wagner, Jacques Vergnes, Jean-Pierre Dogliani, Ernest Schultz, Raymond Cicci, Georges Moreel, Mario Zatelli, Emmanuel Aznar, Georges Ouvray, Enri Salvano, Edmond Leveugle, Charles Géronimi et Félix Romano.

On pourrait trouver ça injuste. Et pourtant : pour deux autres, leurs débuts ont été l’occasion d’un doublé. Ça ne les a pas rendus indispensables pour autant !

Jean Desgranges en décembre 1953
C’est lors du fameux match contre le Luxembourg où l’équipe de France, déjà qualifiée pour la coupe du monde. Pour l’occasion, Albert Batteux aligne une équipe de onze débutants dans un match que la FFF n’avait pas compté comme officiel. Résultat : un 8-0 sec avec un triplé de Just Fontaine (vingt ans et quatre mois), un doublé de Jean Vincent (vingt ans et quatre mois aussi), ainsi qu’un doublé de Jean Desgranges (vingt-quatre ans). Si les deux premiers ont fait partie de l’épopée suédoise en 1958, le dernier n’est jamais sorti de l’anonymat.

Fernand Brunel en avril 1926
Appelé pour jouer à Toulouse contre le Portugal, il réussit un doublé à la 40e et à la 65e, permettant aux Bleus de reprendre l’avantage après l’égalisation portugaise et de creuser un écart définitif. Il n’a que 19 ans, c’est un des plus jeunes internationaux français de l’histoire. Transféré à Sète, il meurt quelques jours après ses vingt ans, tué par une méningite alors qu’il effectuait son service militaire. Le stade de Lunel, où il débuta, porte son nom.

Une paire de gants tout neufs

23 gardiens ne comptent qu’une sélection. Dans la période récente, on retrouve ainsi Benoît Costil (qui peut encore améliorer son total, même si c’est très improbable), Stéphane Ruffier, Cédric Carrasso, Richard Dutruel, Stéphane Porato ou Albert Rust. Ce dernier a eu droit à du rab, avec une prolongation contre la Belgique au Mexique en 1986. Les autres ont tous joué un match entier, sauf Richard Dutruel, qui n’a joué que 33 minutes le 4 octobre 2000. Son histoire est étonnante.

A l’automne 2000, le nouveau portier de Barcelone, qui vient de passer quatre saisons en Espagne au Celta Vigo, ne croit plus trop en ses chances. Après avoir débuté au PSG comme remplaçant de Bernard Lama, il s’impose à Caen et brille dans la Liga. Mais il a bientôt 28 ans, et les places en équipes de France sont occupées par Fabien Barthez et Ulrich Ramé. Coïncidence ? Bernard Lama vient d’être poussé à la retraite internationale en septembre 2000. Pour recevoir le Cameroun, Roger Lemerre fait appel à Barthez, Ramé et Letizi, mais le premier est forfait : il ne goûte guère les longs voyages, et les Bleus doivent enchaîner par un aller-retour express en Afrique du Sud trois jours plus tard. Ramé le remplace, mais se blesse à l’entraînement. La veille de France-Cameroun, Roger Lemerre appelle donc Richard Dutruel qui arrive à Clairefontaine à 23h.

Le néo-Barcelonais est sur le banc en tant que remplaçant du remplaçant du remplaçant (vous suivez toujours ?) jusqu’à la 57e minute. Letizi, blessé, demande à sortir et Dutruel entre sur le terrain. Il va disputer les 33 minutes de sa carrière internationale (sans encaisser le moindre but). On ne le reverra plus en sélection.

En attendant la deuxième

Enfin, n’oublions pas les joueurs en activité qui peuvent encore espérer. Il n’y en a pas beaucoup. Hormis Benoît Costil déjà cité (mais dont le statut de numéro 3 est désormais occupé par Mike Maignan et concurrencé par Benjamin Lecomte), on peut mentionner Alassane Pléa (novembre 2018), Tiémoué Bakayoko (mars 2017) ou Sébastien Corchia (novembre 2016). Ce sont les seuls joueurs lancés par Didier Deschamps à n’avoir pas rejoué après leur première sélection.

Vos commentaires

  • Le 23 septembre 2019 à 21:18, par Richard Coudrais En réponse à : L’autre moitié du ciel (3/3) : des Bleus à usage unique

    Ils ont chacun une belle histoire, un peu triste peut-être, ces joueurs qui n’ont connu qu’une sélection en équipe de France. Mais pour les consoler, on peut leur dire que d’autres joueurs ont connu pire : Henri Zambelli, Daniel Sanchez, Claude Puel, Thierry Bonalair, Jean-Claude Nadon, Aimé Gori, Alain Garnier, Romain Arghirudis, Daniel Bernard, André Burkhardt et quelques autres. Leur nombre de sélections est fixé à zéro et pourtant ils ont quand même joué un match en Bleu. Contre un club malheureusement, ou lors d’une rencontre non-officielle.

  • Le 30 octobre 2019 à 22:01, par gauthier sébastien En réponse à : L’autre moitié du ciel (3/3) : des Bleus à usage unique

    pour rebondir sur le commentaire de Richard Coudrais, est ce que vous auriez la liste des joueurs sélectionnés mais qui n’ont pas joué une seule minute ? comme récemment Loic Perrin

  • Le 31 octobre 2019 à 07:26, par Bruno Colombari En réponse à : L’autre moitié du ciel (3/3) : des Bleus à usage unique

    Non, je ne l’ai pas, mais j’ai un article en projet là-dessus. C’est un gros travail, car ces joueurs ne figurent pas sur les feuilles de match. Il faut donc comparer ces dernières avec les groupes convoqués, lesquels changent très souvent au rythme des forfaits. Est-ce qu’un joueur convoqué mais forfait et qui ne vient pas à un rassemblement est pris en compte ? Ou uniquement un joueur convoqué, inscrit sur la feuille de match, mais qui n’a pas joué ? Pas facile...

  • Le 4 novembre 2019 à 22:06, par Tran Quang Nhi En réponse à : L’autre moitié du ciel (3/3) : des Bleus à usage unique

    1 sélection, 2 époques, 2 réactions
    « J’ai joué exactement 2mn. Cela dit, je ne l’ai pas ressenti comme un honneur, mais comme une gifle. Je n’ai pas compris M. Kovacs. Faire entrer un joueur sans raison valable à 2mn de la fin d’un match, c’est se moquer de lui. »
    Bernard Boissier dans France Football, 29/1/1980, no 1764, p4.

    « 2mn ou 80 sélections, ça ne change rien à mon bonheur d’avoir été sélectionné. Beaucoup de joueurs signeraient pour jouer, même 2mn, en équipe de France. Contrairement à ce que certains peuvent croire, cette apparition très courte n’est pas du tout une déception. Ces 2mn peuvent être interprétées comme quelque chose de dérisoire, alors que c’était la suite logique d’une carrière intéressante, l’aboutissement de quelques bonnes saisons où j’étais toujours bien placé au classement des Étoiles de France Football. J’avais fait toutes les sélections des juniors à l’équipe de France B. De grands entraîneurs, comme Kader Firoud, Jacky Braun, Georges Boulogne et d’autres encore m’avaient remarqué. Non vraiment, cette sélection n’était pas due au hasard. [...] Stefan Kovacs ne m’a rien dit. Mais je savais que ne faisais pas partie de ses plans. Cette sélection, je crois que c’était avant tout un grand cadeau. [...] Si cette sélection n’était jamais venue, je n’en aurais pas fait une maladie, mais elle m’a en tout cas apporté beaucoup de bonheur. »
    Bernard Boissier dans France Football, 27/4/2001, no 2872 bis, p36.

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