Les troisièmes matchs à l’Euro : ça passe, ça casse ou on gère

Publié le 23 juin 2021 - Bruno Colombari

Arrivez-vous à vous souvenir d’un seul des huit troisièmes matchs des Bleus à l’Euro depuis 1984 ? S’il y a des purges (2016), des échecs (1992, 2008), il y a eu aussi au moins deux belles rencontres, en 1984 et en 2000. Récit.

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Il y a des matchs comme ça qui n’ont pas la cote. Le troisième d’une phase finale, par exemple. S’il est le temps fort du tournoi, c’est généralement mauvais signe : soit parce qu’il a été fatal aux Bleus, soit parce qu’il leur a permis d’arracher la qualification, mais qu’ils ne sont pas allés bien loin après. L’idéal c’est qu’il se fasse oublier, quitte à provoquer de légères somnolences ou une plongée dans un sommeil réparateur. Dans ce cas, c’est qu’il a joué son rôle : ménager les troupes avant d’aborder les MAED, les matchs à élimination directe, avec des huitièmes de finale en forme de couperet (comme le Paraguay en 1998 ou l’Irlande en 2016, sans parler de l’Argentine en 2018).

Les huit précédents troisièmes matchs de l’Euro peuvent se répartir en trois catégories, ce qui en fait une de plus que dans Le bon, la brute et le truand (Sergio Leone, 1966) où il y en avait deux [ [Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses.]].

Déjà qualifiés, on gère : Yougoslavie 1984, Pays-Bas 2000, Ukraine 2012, Suisse 2016

La première est celle dans laquelle on classera le Portugal-France de 2021, puisque les Bleus ont déjà leur billet pour les huitièmes grâce aux résultats des autres groupes, avec au moins deux troisièmes à trois points. Et, curieusement, ce n’est pas la pire, loin de là, en terme de spectacle et d’intensité. Il faut dire qu’à côté du France-Suisse de 2016 à Lille (0-0), beaucoup de matchs auraient l’air trépidants. On se souvient vaguement de deux tirs sur la barre de Pogba et Payet, d’une prestation correcte (et sans lendemain) de Yohan Cabaye et de maillots suisses en papier mâché, qui se déchiraient au premier contact. Pour le reste, vraiment pas grand chose.

Quatre ans plus tôt à Kiev, des Bleus moyennement convaincants contre l’Angleterre (1-1) et l’Ukraine (2-0) jouent sans pression face à la Suède, déjà éliminée. Quel que soit le résultat d’Angleterre-Ukraine, la France est assurée de finir au minimum deuxième et d’accéder aux quarts de finale. Et c’est une chance, car le match contre la Suède n’envoie que des signaux inquiétants. Pas d’engagement, placement aléatoire, médiocrité des coups de pied arrêtés, aucun leadership, aucune révolte. Et donc défaite méritée (0-2) qui donne le ton de ce que sera le quart de finale à venir contre une Espagne autrement plus forte.

Rien à voir avec le France-Yougoslavie 1984 à Saint-Etienne (3-2). Bien entendu, il reste largement en dessous des niveaux himalayesques du match précédent contre la Belgique à Nantes (5-0) ou du suivant face au Portugal à Marseille (3-2) où les Bleus avaient tutoyé les cieux. Mais les Yougoslaves de Susic, déjà éliminés mais joueurs, avaient eu la bonne idée de casser la série d’invincibilité de Bats dès la demi-heure de jeu, amenant Michel Hidalgo à revoir son organisation à la pause, en sortant Rocheteau pour faire entrer Tusseau et repasser à une défense à 4 (au lieu du 3-5-2 très offensif initial).

C’est alors que Michel Platini, qui a passé trois saisons à Saint-Etienne, enflamme Geoffroy-Guichard avec un vrai hat-trick, qui plus est en seulement 17 minutes. Comme à Nantes trois jours plus tôt, il marque du gauche, puis de la tête, puis du droit (sur coup franc). Et les Yougoslaves ayant eu l’élégance de revenir dans le match juste après (pénalty de Stojkovic), les dix dernières minutes seront animées, mais le score en restera à 3-2.

Et que dire du Pays-Bas-France 2000 ? Après deux journées, Néerlandais et Français ont fait le ménage et comptent tous deux six points, le Danemark et la République tchèque étant éliminés. Mais comme les Bleus ont un nombre de buts supérieur (cinq contre quatre), ils peuvent finir premiers s’ils font match nul… Ce qui ne les arrange pas. En terminant deuxièmes, ils restent en Belgique, à Bruges pour le quart de finale et à Bruxelles pour la demi. S’ils finissent premiers, ils joueront à Rotterdam et à Amsterdam.

Donc Roger Lemerre fait tourner son effectif dans de telles proportions que l’équipe qu’il aligne contre le pays organisateur tient plus de la PlayStation que de la haute compétition : Karembeu arrière droit, un milieu Pirès-Vieira-Micoud et une attaque Dugarry-Trezeguet-Wiltord. Tout ça est certes sympathique, mais penche furieusement vers l’avant. En tout cas, les coiffeurs ont envie de jouer, mènent 1-0 (Dugarry) puis 2-1 (Trezeguet), et ont deux balles de break manquées par Dugarry puis par Trezeguet en deuxième mi-temps. Heureusement que ça flotte derrière, ce dont profitent Frank de Boer et Boudewijn Zenden pour donner l’avantage aux Oranje. 2-3, mission accomplie, mais il y avait la place de faire mieux.

Ça passe : Bulgarie 1996, 2004, Suisse 2004

Jouer sa qualifications contre la Bulgarie, l’équipe de France a payé pour voir : une trentaine de mois avant l’Euro 1996 en Angleterre, les Bleus ont connu une des pires désillusions de leur histoire au Parc sur un doublé de Kostanidov (1-2) qui les a privé d’une Coupe du monde américaine qui leur tendait pourtant les bras. Mais après une victoire arrachée à la Roumanie (1-0) et un nul contre l’Espagne (1-1), il faut finir le travail à Newcastle : un nul ne qualifierait pas les Bleus à coup sûr si l’Espagne bat la Roumanie. L’affaire est bien engagée quand Blanc ouvre le score, et le but de Penev contre son camp après l’heure de jeu donne de l’air à la France, mais Stoïchkov qui passait par là réduit le score et fait courir des frissons aux Français. Il y a bien un but dans le temps additionnel, mais heureusement c’est Loko qui le marque (3-1).

Même configuration huit ans plus tard au Portugal et même score face à la Suisse, après une victoire spectaculaire contre l’Angleterre (2-1, doublé de Zidane dans le temps additionnel) et un nul face aux Croates (2-2). Il s’agit de ne pas perdre face à une Suisse qui a besoin d’une victoire pour se qualifier. Quand Zidane ouvre le score à la 20e, on se dit que l’affaire est pliée, mais comme face à la Croatie quatre jours plus tôt, les Bleus perdent le fil et se font reprendre dans la foulée par Johan Vonlanthen. Le match se décante suite à l’entrée de Louis Saha à la place de David Trezeguet avec un doublé final de Henry (76e et 84e) qui offre aux Bleus la première place du groupe et un quart de finale contre la Grèce qui semble gagné d’avance.

Ça casse : Danemark 1992, Italie 2008

Si l’équipe de France n’a jamais été éliminée de l’Euro après le deuxième match, il y a eu deux fois où elle était en danger de mort. La première remonte à 1992. Arrivés en Suède un peu trop confiants après une phase de qualifications parfaite (six victoires sur six), les Bleus se cassent les dents d’entrée contre le pays organisateur (1-1) et livrent une production indigne face à l’Angleterre (0-0). Pour autant, rien n’est perdu, et il est même encore possible de se qualifier avec un nul, à condition qu’Anglais et Suédois n’en fassent pas de même. Face à des Danois venus à l’Euro littéralement en touristes [ [La Yougoslavie a été exclue en raison de l’état de guerre dix jours avant le début de la compétition]], ça semble largement faisable, et pourtant rien ne va. Larsen ouvre le score dès la 8e minute et on se dit que ça part mal, même si Papin égalise à l’heure de jeu. Mais une erreur d’alignement de Boli permet à Elstrup de battre Martini de près à la 78e, et qualifie le Danemark qui gagnera le tournoi.

C’est encore plus désespéré en juin 2008 : les vice-champions du monde ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes sans Zidane et Barthez, et après un nul poussif contre la Roumanie (0-0), ils ont explosé en vol face aux Pays-Bas (1-4). Pour jouer son va-tout contre une Italie qui ne lui a jamais réussi, Raymond Domenech écarte Lilian Thuram et Willy Sagnol et associe Karim Benzema et Thierry Henry devant. Une victoire est indispensable pour accéder aux quarts de finale, à condition que la Roumanie ne batte pas les Néerlandais.

Mais très vite, tout déraille : Ribéry se blesse à la 8e minute, puis Abidal commet une faute sur Luca Toni en position de dernier défenseur : expulsion + pénalty, transformé par Pirlo. A 0-1 après 24 minutes et à 10 contre 11, c’est mission impossible. Pour ne pas avoir de regrets, un coup franc de De Rossi est dévié par Henry qui trompe Coupet (0-2). Les cartons jaunes pleuvent (quatre côté français, trois côté italien), Anelka rentre pour la forme et c’est fini. Dans le couloir des vestiaires, Raymond Domenech demande Estelle Denis en mariage, laquelle doit enchaîner son émission sur M6 dans la foulée. C’est ce qui s’appelle une grande journée.


 

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