Les premiers Bleus : Louis Mesnier, un Didi bien avant Titi

Publié le 31 mai 2020 - Matthieu Delahais - 1

Mais pourquoi l’appelait-on Didi dans la presse de 1904 ? Matthieu Delahais met en cause la raison laquelle le premier buteur de l’histoire des Bleus aurait requis l’anonymat. Et rappelle que Louis Mesnier a détenu, en 1912, le double record des buts et des sélections. Personne n’a fait mieux depuis.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
5 minutes de lecture

Si le nom de Louis Mesnier est connu en tant que premier buteur de l’histoire l’équipe de France, un certain mystère entoure le surnom dont le journal L’Auto l’a affublé lors du Belgique-France de 1904. Sa carrière internationale, qui aurait pu être plus riche sans les conflits entre l’USFSA et le CFI, lui a aussi permis de détenir le temps d’un match un double record : celui de sélections mais aussi de buts marqués.

Quand Didi remplace Mesnier

Dans son édition du 26 avril 1904, L’Auto, par l’intermédiaire d’Ernest Weber, donne la liste des joueurs retenus pour le match Belgique France du 1er mai. Parmi eux se trouve l’attaquant du Football Club de Paris Louis Mesnier. Mais le 29 avril, il a disparu, remplacé par un certain Dédé. Les 1er et 2 mai, on en parle sous le nom de Didi. Aucune justification à ce changement de nom n’est donnée dans la presse de l’époque, mais il a été suggéré depuis que ce changement avait été fait pour cacher l’identité réelle de ces joueurs dont les employeurs n’appréciaient pas forcément leur passion pour le football. Cette explication est pourtant fausse !

D’après les sources que nous avons pu trouver, ce serait Jean-Philippe Rethacker qui le premier aurait avancé une hypothèse sur le sujet de ce surnom. Dans son livre L’équipe de France de Football édité en 1974, il propose l’explication suivante : « L’équipe de France a aligné deux joueurs aux noms mystérieux, l’arrière droit Fernand et l’ailier droit Didi. Il s’agit en réalité de Canelle et de Mesnier. Mais on suppose que tous deux ont cherché à cacher leur nom véritable pour ne pas mécontenter leurs employeurs. On est vraiment amateurs en 1904, et les congés sont difficiles à obtenir quand on pratique ce sport bizarre qu’est le football ».

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Quatre ans plus tard, dans une nouvelle édition de cet ouvrage, l’explication a un peu évolué. Il est dit « Dans la troupe des joueurs qui se retrouvent la veille au soir vers 11 heures, au rendez-vous de la Gare du Nord, quelques anonymes dont les employeurs n’apprécient guère les frasques sportives et les retards ou absences... Un certain Didi et un dénommé Fernand dont on saura plus tard qu’ils s’appellent en réalité Mesnier et Canelle, Mesnier auteur du premier but français à Bruxelles (3-3) entrant dans l’histoire comme le premier buteur de la longue épopée tricolore... »

Mesnier et Canelle étaient militaires en 1904

Dans l’édition de 1974, Rethacker fait la supposition que les joueurs ne veulent pas être reconnus par leurs employeurs. Il met en avance la difficulté à obtenir des congés, ce qui ne tient pas la route au moins pour ce match, puisque la rencontre a lieu un dimanche. En 1978, il explique que Mesnier et Canelle essaient de se fondre anonymement dans l’équipe pour ne pas s’attirer de reproches de leurs employeurs. Mais Louis Mesnier tout comme Fernand Canelle étaient à cette date sous les drapeaux et ne dépendaient donc d’aucun employeur. Mesnier était engagé volontaire depuis le 1er mars 1904 pour une durée de 3 ans. La supposition avancée par Rethacker est donc fausse. Elle a pourtant été régulièrement reprise lors de l’évocation de ce match que ce soit dans la presse écrite ou sur Internet.

Pour quelle raison Ernest Weber a décidé de rendre la présence de l’attaquant parisien plus discrète ? On peut avancer l’hypothèse que Mesnier ne souhaitait pas que l’armée sache ce qu’il faisait pendant ses permissions. Ce n’est pas le cas. En effet, le 16 avril un match de préparation avait été joué contre les Corinthians (victoire 11-4 de l’équipe anglaise) auquel Mesnier participait. Dans l’édition du 17 avril de L’Auto, le compte-rendu du match se terminait avec des remerciements aux militaires qui avaient permis à Allemane et Mesnier de jouer la partie. « Il faut garder reconnaissance aux officiers Allemane et Mesnier qui ont bien voulu permettre à leurs hommes de disputer ce match. Un toast a été porté en leur honneur, encore qu’il n’y ait là qu’une preuve de plus, et non une exception, de leur bon esprit. »

L’hypothèse d’un problème de permission vis-à-vis de l’armée ne semble à première vue pas crédible. L’explication est peut-être que ce Belgique-France s’est joué à Bruxelles, et non sur le territoire français comme ce fut le cas pour le match face aux Corinthians. L’armée accordait apparemment des permissions de 48 heures à ses soldats, mais cela n’incluait peut-être pas le franchissement des frontières. Cela ne reste bien sûr qu’une hypothèse [1]

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L’équipe de France le 1er mai 1904. Louis Mesnier est le premier assis à gauche.


Une carrière en pointillés

Lors du Belgique-France du 1er mai 1904, Louis Mesnier joue au poste d’ailier droit. C’est lui qui égalise pour la France à la 12e minute et devient donc à jamais le premier buteur de l’histoire. Sa réalisation est décrite avec ces termes dans la presse « A 5h. 7, Didi égalise d’un de ces shoots foudroyants dont il a le secret ». Il participe aux trois matches suivants avant de rentrer progressivement dans le rang. Lors du cinquième match de l’histoire (1er novembre 1906, Angleterre 0-15), il n’est que remplaçant avant de disparaître des listes pour ne revenir qu’en mai 1908 face à la Hollande. Il va alors être absent de la sélection pendant près de trois ans.

Il fait son retour sous le maillot national le 23 mars 1911 face aux Anglais. Il fête à cette occasion sa 6e sélection et sera de toutes les rencontres de l’équipe de France jusqu’au 12 janvier 1913, alignant 9 matches de rang. A cette époque, seul Jean Rigal avait fait mieux (10 rencontres de suite entre le Belgique-France du 9 mai 1909 et celui du 30 avril 1911). Louis Mesnier termine son aventure internationale sur une victoire face à l’Italie. Avec 14 sélections, il est alors le recordman des matches joués.

Louis Mesnier s’empare du record de sélections lors du match face au Luxembourg du 29 octobre 1911. Il fête alors sa 10e cape et rejoint le joueur le plus capé de l’époque, Jean Rigal absent lors de ce match. Les deux hommes seront de la partie suivante (score de parité face à la Belgique 1-1, le 28 janvier 1912), mais Rigal ne sera plus appelé par la suite. Mesnier devient donc recordman unique des matches joués en équipe de France le 18 février 1912 lors d’une belle victoire contre la Suisse (4-1) et porte son total à 14 un an plus tard.

Le 29 octobre 1911, jour où Mesnier égale et partage le record de sélections avec Rigal, il réalise un doublé. Cela porte son total à 4 buts, ce qui en fait également le recordman du genre au côté du premier grand buteur de l’histoire de l’équipe France Eugène Maës. Ce dernier marquera dès le match suivant et prendra rapidement le large. Mais Louis Mesnier est le dernier joueur à avoir été à la fois détenteur du record de sélections et de buts marqués en équipe de France.

Le graphique ci-dessous mets en perspective l’évolution du record de sélections et de buts par rapport à la carrière de Louis Mesnier en équipe de France. La ligne pointillée jaune représente le match où il a détenu simultanément les deux records.

Un total qui aurait pu être meilleur

Ce graphique souligne l’absence de l’ailier droit entre les matches 11 et 18. Ce trou s’explique par le conflit qui a opposé l’USFSA (Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques) au CFI (Comité Français Interfédéral).

Louis Mesnier n’a connu que deux clubs dans sa carrière. Après des débuts au FC Paris (où il connaît ses deux premières sélections), il rejoint en 1905 le Cercle Athlétique de Paris. Son club est affilié à l’USFSA, unique organisme français reconnu par la FIFA et seul habilité à organiser des rencontres internationales. L’USFSA avait donc en charge l’équipe de France, mais aussi celui d’autoriser les clubs à jouer des matches face à des équipes étrangères.

Cependant, un conflit éclate en 1908 avec la FIFA qui se termine par le retrait de l’USFSA de l’organisation internationale. Tous les clubs affiliés à l’Union sont donc privés de rencontres internationales et leurs joueurs ne sont plus sélectionnables en équipe de France. Louis Mesnier en fait donc les frais. Le CFI s’engouffre dans la brèche et devient le nouvel organisme français reconnu par la FIFA et en charge des matches internationaux.

A la fin de l’été 1910, quatre clubs français, dont le CA Paris de Louis Mesnier, font scission et fondent la LFA (Ligue de Football Association). Ces clubs reprochent à l’USFSA de ne pas se rapprocher du CFI, ce qui les empêchent de disputer des rencontres internationales. L’une des premières initiatives de la LFA est de demander son adhésion au CFI. Les joueurs des clubs affiliés à la Ligue deviennent de fait sélectionnables. Le 1er janvier 1911, lors du premier match suivant l’adhésion de la LFA au CFI, la Ligue obtient que 7 des ses joueurs soient retenus. Mesnier n’est pas du nombre, mais il disputera les 9 rencontres suivantes.

pour finir...

Merci à Pierre Cazal qui a suggéré cet article et a découvert que le surnom Didi ne servait pas à cacher l’identité de Mesnier à son employeur puisqu’il était sous les drapeaux.

[1Fernand Canelle et Pierre Allemane, tous les deux militaires au moment de ce match, ont connu la même situation. Initialement convoqués sous leurs vrais noms (L’Auto du 26 avril), ils deviennent Fernand et Pierre par la suite (dès l’édition du 29 avril). Le fait que les trois militaires de l’équipe aient été anonymisés rend l’hypothèse d’une certaine confidentialité vis-à-vis de l’armée crédible...

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Vos commentaires

  • Le 28 mars 2022 à 20:17, par Patrick Baragiola En réponse à : Louis Mesnier, un Didi bien avant Titi

    Le mystère s’épaissit encore un plus plus. Dans la Vie Sportive, le journal belge,mais aussi l’organe officiel de la fédé belge, on indique, le 4 mai, que, parmi les journalistes français présents, il y a Opigez du journal le Vélo. Dans le compte rendu de la VS des 4 etb 11 mai, on cite Canelle et Mesnier avec leur vrai nom. D’ailleurs Opigez, dans le compte rendu paru dans le Vélo du 3 mai p. 2, cite égalementn les deux joueurs avec leur vrai nom. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle ils n’auraient pas déclaré un séjour à l’étranger aux autorités militaires me semble la plus plausible.

    Patrick

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