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Quel est le niveau actuel de la sélection colombienne ? Quels sont les joueurs peu connus en Europe et qui pourraient se révéler en Russie ?
PIERRE GERBEAUD : Je pense que le niveau actuel de la sélection est inférieur à celui de 2014. Son parcours en qualification l’a clairement montré. Surtout, elle a beaucoup de mal face aux équipes qui lui sont supérieures sur le continent. Elle n’a battu ni l’Uruguay, ni le Brésil et ni l’Argentine en qualif (2 points sur 18) et a pris deux branlées en Argentine et en Uruguay. Défensivement, le niveau a baissé, avant il y avait Yepes et maintenant il manque donc un patron derrière. Peut-être que Mina et/ou Sánchez le seront mais pas pour le moment.
Zapata ne joue pas au Milan AC ce qui rend aussi les choses assez compliquées (plus encore que pour Mina). Il y a aussi un problème de profondeur d’effectif sur les latéraux, derrière Fabra et Arias c’est le désert. Pékerman a essayé (Medina, Tesillo, Armero) mais personne n’a su saisir sa chance. C’est donc un secteur vulnérable où le niveau peut considérablement baisser si le titulaire a un pépin d’ici juin. Par contre au milieu et devant ce n’est pas le cas, que Pékerman joue en 4-4-2 comme sur les derniers matches ou en 4-2-3-1 comme avant le match face au Pérou, il y a des solutions et les postes sont doublés.
NICOLAS COUGOT : Je pense que c’est d’ailleurs le plus gros souci de cette sélection, son manque de véritable patron en défense. On connaît tous les qualités et le potentiel offensif de cette sélection qui va bien au-delà des « simples » Falcao, James et Cuadrado. Dans ce secteur, on peut ainsi citer des noms bien connus en AmSud, moins en Europe, comme Yimmi Chará, capable de dynamiter une défense par ses percussions (à la condition qu’il soit dans un bon jour) ou encore Miguel Borja qui semble avoir pris ses marques avec Palmeiras et débute 2018 sur un niveau très proche de celui qui l’avait révélé avec l’Atlético Nacional lors de la campagne victorieuse de Libertadores 2016.
« La Colombie a vraiment le choix du roi au milieu »
Sans oublier que certaines surprises peuvent se révéler, je pense par exemple à Juan Otero qui fait de très belles choses en Argentine et qui pourrait peut-être venir frapper à la porte (même s’il faudra une hécatombe je pense pour que Pékerman pense à lui). Un secteur peu connu et qui est important est l’entrejeu. La Colombie a vraiment le choix du roi au milieu comme le dit Pierre. Barrios de Boca est l’une des révélations 2017 et a tout pour éclater en Russie, Matheus Uribe est parfait à l’América, Carlos Sánchez ne déçoit que très rarement en sélection et je ne parle pas de joueurs comme Abel Aguilar… Le sélectionneur a vraiment un sacré vivier dans lequel puiser même si, comme l’écrit Pierre, cette sélection semble un ton en dessous de celle de 2014.
AYMERIC BERNILAR : Aussi, la sélection de Colombie rencontre actuellement trois problèmes de taille. En premier lieu, l’équipe n’est pas épargnée par les blessures puisque ses trois joueurs les plus célèbres sont à l’infirmerie : Falcao, James Rodriguez et Cuadrado. Normalement les deux premiers devraient rejouer rapidement, mais toute la Colombie retient son souffle pour le début de la Coupe du Monde car ils ont tendance à être souvent blessés. Pour que la Colombie fasse un grand parcours, la présence de James paraît indispensable tant le jeu tourne autour de sa personne. Lors de la phase qualificative, il a été décisif et sans lui la Colombie ne se serait probablement pas qualifiée.
Sur le papier Falcao peut paraître moins important en raison des alternatives possibles entre Carlos Bacca, Luis Muriel, Duván Zapata et Miguel Borja. Cependant l’attaquant monégasque conserve un temps d’avance sur la concurrence grâce à un sens du but inégalé. C’est aussi le capitaine, le guide, l’âme de cette équipe depuis la retraite de Mario Yepes. Pour Cuadrado, il y a plus d’inquiétudes. Atteint d’une pubalgie, il est absent des terrains depuis deux mois.
« Yimmi Chará pourrait se révéler contre la France »
En même temps, son absence est certainement la moins préjudiciable des trois. Cuadrado a souvent déçu lors des matchs de qualification et il peut plus facilement être remplacé. Je pense notamment à Yimmi Chará qui joue dans le championnat colombien au Junior de Barranquilla. C’est un joueur explosif, déroutant par ses dribbles et sa vision du jeu. Peu connu en Europe il pourrait se révéler à l’occasion du match contre la France et de la Coupe du Monde.
Le deuxième sujet de préoccupation vient du manque de temps de jeu de certains joueurs. Le gardien David Ospina est remplaçant avec Arsenal. Habituellement très bon en sélection, il a montré des signes de faiblesse lors des derniers matchs, en particulier lors de la défaite de la Colombie contre le Paraguay (1-2) le 5 octobre, qui aurait pu coûter sa qualification à la Colombie. Au niveau de la défense centrale, Cristián Zapata joue peu avec le Milan AC, tandis que Yerry Mina est le quatrième choix de Valverde derrière Umtiti, Piqué et Vermaelen depuis son arrivé au FC Barcelona lors du mercato d’hiver.
Cependant dans ce secteur de jeu, Pékerman a du choix, avec notamment Dávinson Sánchez, titulaire indiscutable avec Tottenham. Le problème sera surtout de pouvoir trouver de la stabilité et de trancher. La bonne nouvelle pour la sélection colombienne, c’est le temps de jeu retrouvé par Carlos Sánchez depuis son transfert de la Fiorentina à l’Espanyol Barcelone. Au sein du 4-2-3-1 ou du 4-4-2, les deux schémas préférentiels de Pékerman, il constitue une pièce essentielle, d’autant qu’à ses côtés, aucun milieu défensif ne s’impose entre Abel Aguilar, Mateus Uribe et Wilmar Barrios.
« Un dilemme entre l’éthique et les intérêts sportifs »
Enfin le troisième problème pour Pékerman est d’ordre extra-sportif. En janvier, trois joueurs colombiens de Boca Juniors (Wilmar Barrios, Frank Fabra et Edwin Cardona) ont été accusés de coups et d’agression sexuelle. L’affaire n’est pas très claire, puisque jusqu’ici la victime n’a pas porté plainte et les choses semblent se régler à coups de gros sous dans le cadre d’une procédure de conciliation. Des trois joueurs, c’est Barrios, habituel remplaçant en sélection qui semble être le plus impliqué dans cette histoire.
Pour Pékerman, le casse-tête concerne surtout Fabra et Cardona. Le premier est titulaire indiscutable au poste d’arrière gauche, tandis que Cardona est régulièrement aligné comme ailier gauche. En l’absence de plainte, Pékerman va probablement maintenir sa confiance en Fabra. Le cas Cardona est plus complexe car celui-ci a déjà été suspendu cinq matches par la FIFA pour un geste raciste lors du match amical entre la Colombie et la Corée du Sud en novembre.
Pékerman se trouve donc face à un dilemme entre respect de l’éthique et prise en compte des intérêts sportifs. Mais il devra également bien mesurer l’état de l’opinion publique et la position de son groupe. En France, avec l’affaire Zahia et de la vidéo de Valbuena nous sommes bien placés pour savoir à quel point ce genre d’affaires peuvent empoisonner la vie d’une sélection. Le pire pour Pékerman serait de se retrouver face à de nouveaux rebondissements au moment du mondial.
José Pékerman va disputer sa troisième Coupe du monde après celle de 2006 avec l’Argentine et celle de 2014. Il a la double nationalité argentine et colombienne. Comment est-il perçu en Colombie ? Qu’a-t-il apporté à la sélection ?
PIERRE GERBEAUD : Evidemment, il a une excellente cote en Colombie. Pas grand monde ne dira du mal de lui. Il est d’autant plus apprécié qu’il a remis la Colombie dans le sens de la marche puisque la sélection ne s’était pas qualifiée pour les Coupes du monde 2002, 2006 et 2010. Il a donc déjà apporté sur le plan des résutlats mais aussi une certaine qualité de jeu.
Quand il est arrivé, la Colombie avait joué trois matches de qualification à la Coupe du monde 2014 (une victoire en Bolivie, un nul face au Venezuela à la maison et une défaite à la maison face à l’Argentine). Dès son arrivée, il a donné un nouveau souffle (avec une victoire au Pérou), et surtout le potentiel offensif de l’équipe a explosé : on a vu des cartons contre la Bolivie et l’Uruguay notamment. Le reste de la campagne qualificative a été de très haut niveau.
« Pékerman devrait quitter son poste après la Russie, et ce, qu’importe le résultat »
Il a aussi apporté une rigueur qui va jusqu’en dehors du terrain. Cela a toujours été une marque de fabrique chez lui, lorsqu’il a pris les commandes de la sélection espoir argentine en 1994, celle-ci était exclue des compétitions internationales et continentales. Pour la remettre dans le bon sens, il avait notamment imposé une charte de comportement sur et en dehors du terrain. Il l’applique toujours.