Quand Roubaix accueillait le premier championnat d’Europe, en 1911

Publié le 9 avril 2020 - Matthieu Delahais - 1

Près de cinquante ans avant le premier championnat d’Europe des Nations, l’UIAFA organise un grand tournoi européen de football à Roubaix, avec quatre équipes dont l’Angleterre, la France et la Bohème, qui remporte la compétition.

5 minutes de lecture

Le premier Euro s’est disputé en 1960. Mais ce n’était pas la première compétition regroupant des équipes européennes. Il y a par exemple eu la Coupe Intercontinentale, qui entre 1927 et 1960, regroupaient des équipes d’Europe centrale (Italie, Autriche, Tchécoslovaquie, Hongrie, Suisse), mais aussi la Coupe d’Europe centrale pour amateurs (deux éditions entre 1929 et 1934, avec la Hongrie, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, la Pologne et la Roumanie). Cependant, il faut remonter en 1911 pour trouver les traces d’un premier tournoi continental…

De la FIFA à l’UIAFA

En 1904, la FIFA est créée. Le règlement stipule que seul un organisme par pays peut représenter la sélection nationale. En France, c’est l’USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques) qui tient ce rôle. Mais 4 ans plus tard, l’Union quitte la FIFA par solidarité avec l’AFA (Amateur Football Association) qui n’a pu obtenir son affiliation. En effet, c’est la FA (Football Association) qui représente déjà l’Angleterre. Le CFI (Comité Français Interfédéral) s’engouffre dans la brèche et devient le nouveau représentant de l’équipe de France, ce qui de fait exclut l’Union de toute rencontre internationale.

André Billy, qui préside la section football de l’USFSA, démissionne en 1909. Avec l’aide de Fevez, président de l’AFA, et de Victor Schneider (Suisse), il fonde l’UIAFA (Union Internationale Amateur de Football Association) dont l’objectif premier est de défendre les valeurs de l’amateurisme. Des associations non reconnues par la FIFA sont accueillies au sein de cet organisme. En 1911, en marge de l’exposition internationale de Roubaix [1], l’UIAFA organise une compétition dénommée « Grand Tournoi européen de football association » qui peut être assimilé au tout premier championnat d’Europe des nations.

Le stadium de Roubaix

Un stade est construit pour l’exposition internationale ainsi que de nombreuses autres installations. L’une des dernières subsistantes à ce jour est l’Hôtel de Ville de Roubaix. Le stade est situé à l’emplacement de l’actuel boulevard du Général de Gaulle sur la commune de Croix. Les sportmen roubaisiens espéraient qu’il deviendrait un stade municipal, mais il leur faudra attendre 20 ans pour qu’ils puissent bénéficier d’un tel équipement (Vélodrome, situé à l’autre bout de la ville).

Le stadium de Roubaix est inauguré le 7 mai à l’occasion d’une opposition entre l’équipe du Nord et celle des Old Malvernians suivi par 5 000 spectateurs. Les Nordistes s’imposent 3-1 au cours d’un match où Raymond Dubly, Paul Chandelier et Albert Eloy sont parmi les meilleurs joueurs. Une semaine plus tard Roubaix s’impose par la plus petite des marges face au Lyford Football Club devant un public plus restreint (1 000 spectateurs). Seules les qualités du gardien londonien ont empêché les Roubaisiens de s’imposer plus largement.
Pour ce second match, le prix des places variait de 50 centimes (gradins) à 2 francs (tribunes d’honneur). Pour le tournoi, les prix sont revus à la hausse. Il passe à 4 francs en tribunes d’honneur, 2 en tribunes (contre 1 franc au match précédent), mais reste à 50 centimes pour les gradins. Il est toutefois possible de prendre un abonnement pour les trois journées, moyennant 8 francs, 4 francs ou 1 franc [2].

Les équipes en lice

Quatre nations doivent participer à ce tournoi : la France, représentée par l’USFSA, l’Angleterre, représentée par l’AFA, la Bohème [3] et la Suisse. Les joueurs Français viennent essentiellement de clubs parisiens (Racing Club de France, Stade Français, Union Sportive de Clichy, Association Sportive Française) même si la ligne d’attaque est composée de joueurs de l’Olympique Lillois. Victor Denis (1 sélection en 1908) et Emile Sartorius (5 sélections entre 1906 et 1908) sont les seuls vrais internationaux A de cette équipe. Denis devra déclarer forfait et sera remplacé par Henri Moigneu, international à 8 reprises entre 1905 et 1908.

Suite à des tiraillements entre les Alémaniques et les Romands, les Suisses renoncent. Le Comité d’organisation décide d’accorder la place vacante aux Nordistes. C’est donc un groupe composé de joueurs de l’US Tourquennoise, du Stade Roubaisien et du Racing Club de Roubaix, auxquels s’ajoute la ligne d’attaque de l’Olympique Lillois, dont les joueurs sont également retenus dans la première équipe de France (Albert Eloy, Bacrot, Paul Chandelier et Paul Voyeux).

Parmi eux se trouvent trois futurs internationaux. Si Eloy (2 sélections en 1913 et 1914) et Chandelier (3 sélections en 1913 et 1914) ne feront que passer sous le maillot de l’équipe de France, Raymond Dubly y fera une belle carrière (31 sélections entre 1913 et 1925).

Le calendrier du tournoi est organisé comme suit. Le 25 mai, à 5 heures (17 heures), l’équipe du Nord défiera l’Angleterre dans la première demi-finale après l’arrivée de la course cycliste Paris-Roubaix. Le 28, à 4 heures (16 heures), la France est la Bohème se disputeront le second billet pour la finale qui se jouera le lendemain à 5 heures et demi (17h30).

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Equipe du Nord-Angleterre, 1-2

L’équipe du Nord est la même que celle qui avait brillamment battu Lyford FC une dizaine de jours plus tôt. En dépit de cette belle victoire, la presse française ne croit pas aux chances de l’équipe régionale. Desmarets, qui relate l’épreuve dans l’Auto prophétise : « La lutte s’annonce donc sévère, mais, malgré toute leur valeur, les Nordistes devront s’incliner devant la belle équipe de l’AFA »

La première mi-temps est copieusement dominée par les Anglais qui marquent une fois. Mais en seconde période, les choses changent. Les Nordistes égalisent dès la reprise et mènent les débats. Malheureusement pour eux, l’avant-centre anglais marque en toute fin de partie le but de la victoire (2-1). Battus, les Nordistes n’ont cependant pas à rougir de cette défaite.

France–Bohème : 1-4

Pour ce match aussi, selon le correspondant de l’Auto, la défaite est le résultat attendue. Les succès de l’équipe bohémienne sont relatées avec précision, dont une victoire contre les Ecossais d’Aberdeen (3-2). Si les qualités de la défense française et la valeur de l’attaque (à un homme près celle de l’Olympique Lillois) sont mises en avant, l’absence de Denis au milieu est déplorée. Le manque d’entraînement de cette équipe est mis en avant, et c’est pour Desmarets, ce qui « causera notre défaite ».

Dès le début de la partie, la Bohème se crée des occasions et De Gastyne, le portier français, s’illustre. La France, sur une combinaison entre Voyeux et Chandelier est à deux doigts d’ouvrir le score, mais c’est Belka qui marque le premier but de la partie à la 15e minutes pour les Bohémiens. Les Français tentent d’égaliser tout de suite par l’intermédiaire d’une tentative de Nicol. Le gardien adverse s’interpose et sur sa relance, Kosek, pourtant marqué de près, double la mise. Qu’à cela ne tiennent, Chandelier marque à son tour d’un beau tir de 25 mètres. Voyeux et Eloy se démènent mais sans succès. Pire, les Bohémiens ajoutent deux buts avant la mi-temps (Belka et Medek). La seconde partie du match se joue sur un rythme plus lent, la chaleur et la fatigue se faisant ressentir des deux côtés. Malgré quelques tentatives non cadrées d’Eloy et Dubly, les Français ne parviennent pas à marquer et s’inclinent donc 1-4.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’article est cliquable : sur le site de Gallica, vous pouvez zoomer dans la page ou la télécharger.


 

Bohème-Angleterre : 2-1

Au terme des demi-finales, la Bohème est présentée comme la favorite du tournoi. Le match est suivi par 3 000 spectateurs. La première mi-temps est à l’avantage des anglais, qui font étalage de leur jeu de passes et dribles. Les Bohémiens n’arrivent qu’à opposer un jeu dur à leur adverse, et se font rappeler à l’ordre par l’arbitre à plusieurs reprises. C’est sur un score nul et vierge que la mi-temps est sifflée.

C’est la Bohème qui prend les choses en main en début de seconde période, mais les Anglais ouvrent le score un peu contre le cours du jeu. Cela ne décourage par leur adversaire, qui égalise par Belka dans la foulée et prend même l’avantage quelques minutes plus tard, toujours par Belka (2-1). Les Anglais attaquent alors avec 7 joueurs, mais leur adverses répondent par une organisation en 4-3-3 qui tient le choc. En toute fin de match, les Anglais ont une occasion en or d’égaliser suite à l’obtention d’un penalty. Mais celui-ci est raté et les Bohémiens remportent le titre.

pour finir...

Merci à Pierre Cazal pour son aide précieuse dans la recherche des sources pour l’écriture de cet article, ainsi qu’à François da Rocha Carneiro pour les informations sur le stadium de Roubaix.

[1Pour en savoir plus sur cette exposition, voir le site roubaix1911 et celui de la Médiathèque de Roubaix.

[2A titre de comparaison, un kilo de pain valait 39 centimes en 1911

[3Lire l’article Autriche-Hongrie : Habsbourg toujours sur le site des Cahiers du football.

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