Les premiers Bleus : Victor Sergent, une jeunesse anglaise

Publié le 4 octobre 2023 - Pierre Cazal

Né d’une mère anglaise, découvrant le football à Oxford, Victor Bentall-Sergent a perdu la moitié de son patronyme sur sa licence. Défenseur de poids, il comptera cinq sélections et aura beaucoup voyagé, en Afrique du Nord et en Irak pendant la Grande Guerre.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
6 minutes de lecture

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Victor Léon Bentall-Sergent est né le 9 août 1886, identité sous laquelle le joueur figure à l’état-civil de Saint-Raphaël. Ses parents étaient mariés, c’est le père, Léon Sergent, qui a fait la déclaration de naissance à la mairie, mais, contrairement aux usages de l’époque, le nom de la mère, Catherine Bentall, précède celui du père. Mais la licence du joueur ne portera, elle, que le nom de Sergent, et les journaux de sport ne l’ont toujours désigné que sous le nom de Sergent.

La famille des Bentall fabriquait des machines agricoles, et, comme beaucoup de riches Anglais, avait choisi la Côte d’Azur pour villégiature, se faisant construire une villa, sur les plans d’un architecte nommé… Léon Sergent. Lequel avait donc épousé en 1885 Catherine Mary Bentall, qui lui a donné trois garçons, lesquels ont tous joué au football au sein du Stade Raphaëlois, un club créé en 1905. Pour autant, c’est en Angleterre qu’ils ont fait leurs études, et ont goûté au football dans les collèges où ce sport est né, au cours du 19ème siècle, se différenciant du rugby en 1863.

A Oxford, à la Dragon School et au Winchester College

Victor Bentall-Sergent a fréquenté la fameuse « Dragon School » d’Oxford jusqu’à 13 ans, puis le non moins prestigieux Winchester College, un des plus anciens d’Angleterre, avant de revenir en France, mais à Paris, passer son baccalauréat au Lycée Saint-Louis, puis entreprendre des études d’ingénieur à l’Ecole Violet, une école d’Electricité et de Mécanique située dans le 15ème arrondissement, entre 1905 et 1908. A noter qu’il est incorporé en octobre 1908 à Grasse, ce qui aura son importance, comme on le verra par la suite.

Du point de vue du football, Sergent (puisque ses licences ne portent que ce nom) n’apparaît qu’en 1906, dans les rangs du Racing Club de France, tandis qu’au même moment ses frères Raoul (surnommé Dick), né en 1889, et Noël, né en 1890, figurent dans l’équipe du Stade Raphaëlois, ce qui prouve que toute la fratrie a été rapatriée d’Angleterre en même temps. Victor Sergent s’impose très vite à l’arrière au Racing, par sa technique sûre (« D’une grande adresse et d’une sûreté incomparable, il est rare de le voir manquer son coup » — à l’époque, un arrière dégage de volée en touche, comme au rugby) et par sa masse, car s’il mesure 1,75 m, il pèse 80 kg en 1908 et pas moins de 90 en 1912, jusqu’à être lourd (« ne se presse jamais »). Il devient champion de France en 1907, le Racing battant Roubaix 3-2, et sera encore finaliste du championnat de France en 1908, pour une revanche perdue 1-2 face aux Roubaisiens.

France-Belgique, 12 avril 1908. Victor Sergent est debout, le deuxième joueur à gauche (Agence Rol, BNF, Gallica)

Deux victoires consécutives à l’extérieur pour commencer en équipe de France

C’est alors qu’il devient international, contre la Belgique en 1907 d’abord puis la Suisse en 1908, ce qui permet à l’équipe de France de glaner deux victoires consécutives, sur le score de 2-1, une première ! Lors des trois précédents matchs, l’équipe avait concédé la bagatelle de 27 buts. Quelle bonne surprise de voir une défense plus efficace s’imposer, avec un bon gardien, Baton, et des défenseurs puissants comme Verlet et Sergent, ou agressifs comme Moigneu ! Malheureusement, cela ne durera pas, Sergent est du 0-12 concédé sur le sol anglais, et puis c’est une nouvelle défaite face aux Belges, mais sur le score plus acceptable de 1-2, le trio défensif Baton-Sergent-Verlet ayant été reconstitué. Par chance, Sergent échappera au fiasco olympique de Londres, car, quoique dûment sélectionné pour affronter les Danois, son incorporation sous les drapeaux à Grasse l’en dispensera.

Son service militaire accompli, Victor Sergent restera sur la Côte d’Azur au sein de sa famille, et prendra donc une licence au Stade Raphaëlois, pour y rejoindre ses deux frères. Le club a une teinte très anglaise, car aux côtés des trois frères Sergent (tous formés dans des collèges anglais) évoluent 4 autres joueurs anglais, qui vont faire de ce club récent le meilleur de tout le Sud-Est, s’imposant face à l’OM, par exemple, ou au Stade Helvétique marseillais, un club d’émigrés suisses, qui avait gagné le championnat de France en 1911.

Champion de France avec le Stade Raphaëlois

En 1912, le Stade Raphaëlois, qui avait été éliminé l’année précédente du championnat de France par le Stade helvétique (9-0 !), prend sa revanche et sort les Suisses de Marseille (2-2, 2-1) : la route est alors libre, le FC Lyon (2-0), l’US Tourcoing (2-0) et enfin, en finale, l’AS Française, de Paris (2-1), sont battus, le Stade Raphaëlois réussit l’exploit de remporter le championnat de France à la surprise générale. Ce sont deux Anglais, Frank MacLaren et Walter Rushforth, qui ont marqué les buts, mais Victor Sergent impose en défense sa masse et son énergie aux attaquants parisiens, il est « admirable d’adresse, toutes les attaques échouent sur lui », et, capitaine de son équipe, « il a sur ses coéquipiers un ascendant énorme, tous obéissent à leur capitaine ».

L’exploit de Saint-Raphaël vaut à Victor Sergent sa cinquième et ultime sélection en février 1913, dans des circonstances particulières plaisamment évoquées sur l’Auto dans son édition du 24 janvier. Il faut savoir que les joueurs affiliés à l’USFSA sont redevenus éligibles pour l’équipe de France, cinq années après la rupture de leur fédération avec la FIFA : au début du mois de janvier 1913, l’USFSA, qui avait tenté de torpiller la FIFA en créant une fédération internationale rivale, l’UIAFA, jette l’éponge et fait marche arrière. Elle intègre donc le CFI, qui l’accueille sans rancune, et fournit trois délégués à la commission de sélection de l’équipe de France, qui en compte alors…douze !

On imagine l’ambiance, chacune des 4 composantes du CFI (FGSPF, FCAF, LFA et USFSA, tous ces sigles donnent le vertige !) cherchant à tirer la couverture à elle. L’Auto ironise : « Douze respectables sportsmen représentant 4 vénérables fédérations vont choisir 11 valeureux joueurs de ballon rond » et prévoit une réunion d’au moins 3 heures pour y parvenir ! En fait, la FCAF est désormais tellement affaiblie par la désertion de ses clubs (comme le CA Vitry) qu’elle n’a plus de joueur de valeur internationale à proposer ; la FGSPF (le patronages catholiques) en est presqu’au même point et n’a plus qu’un joueur de l’Etoile des deux Lacs à pousser (Ducret – et encore, il passera à « l’ennemi » dès la saison suivante, parce au l’amateurisme marron gangrène le football français) ; de sorte que la sélection est l’affaire de la LFA ( Ligue de Football-Association, composée de clubs de l’USFSA dissidents, qui s’en sont détachés en 1910)…et désormais de l’USFSA, qui arrache 4 titulaires pour affronter la Belgique.

A Colombes avec le Stade Raphaëlois le 28 avril 1912. Victor Sergent est le premier joueur debout à gauche (Agence Rom, BNF Gallica)

Seize heures de train pour honorer sa cinquième cape

Victor Sergent est de ceux-là, valorisé encore huit mois après par le triomphe de son club, le Stade Raphaëlois, dans le championnat de France (USFSA, chaque fédération a le sien !) 1912. Il a d’ailleurs du mérite, car il doit voyager en train pas moins de seize heures pour rejoindre ses coéquipiers à Paris, puis Bruxelles ! Hélas, cinq années après (et même huit mois après…), Sergent n’est plus le défenseur dominant qu’il était, il est pris de vitesse par les attaquants belges et a une grosse part de responsabilité dans la défaite, 0-3, comme le précise le sélectionneur Barnoll dans le journal qu’il dirige (et écrit quasiment à lui tout seul), Football (sur papier bleu, et à ne pas confondre avec l’autre hebdo intitulé Football, celui de Rossini, dans les années 1930).

Voici son verdict : « Sergent a confirmé le proverbe qui dit que l’on ne peut pas être et avoir été. L’homme a toujours un coup de pied très précis, mais son manque total de vitesse et de souplesse le rend très inférieur devant les rapides avants belges. Son jeu de tête n’existe d’ailleurs pas et là encore, il fut nettement battu. » Il faut convenir que les photos nous montrent un Sergent très enveloppé…

Il s’engage dans la British Army en 1914, considéré déserteur en France

Il met fin à sa carrière à la fin de la saison, voyage en Algérie et en Tunisie, puis regagne Heybridge, dans l’Essex, au début de l’année 1914, car, excepté son frère cadet Noël, qui joue encore en 1914 pour le Stade Raphaëlois, toute la famille Bentall-Sergent s’est repliée en Angleterre, peut-être parce qu’elle sent la guerre imminente. C’est là en tous cas que la déclaration de guerre le surprend, et, étonnamment, alors qu’il est mobilisé en France, Victor Sergent décide de s’engager dans la British Army, au point qu’il sera porté déserteur en France (le 9 septembre 1914…) jusqu’en août 1920, où cette mention infâmante sera rayée de sa fiche militaire, « ayant été reconnu mobilisé dans l’Armée anglaise du 28 septembre 1914 au 6 septembre 1919 ».

Curieux, quand même, car il n’était pas né sur le sol anglais, ne possédait pas de papiers d’identité anglais (on sait que la carte d’identité n’existe pas au Royaume-Uni), mais il faut croire que son ascendance maternelle a suffi ! Il fut envoyé en Irak (à Bassora), où les forces anglaises repoussaient les Turcs qui colonisaient la région, remontant jusqu’à la mer Caspienne, et ne combattit donc pas sur le sol français.

Le sol français, il le retrouve après 1920, et rejoint sa famille dans le Jura, à Arlay, où son père a acheté une ferme qu’il a retapée en y ajoutant une tour et des fenêtres à meneaux qu’on peut voir sur les photos et affublée du nom ronflant de château de Proby (à ne pas confondre avec le château d’Arlay, un domaine viticole toujours florissant actuellement, même si ce dernier est situé route de Proby…). Là, son frère Dick a créé une entreprise de transports (et c’est au volant de l’un de ses autocars que le malheureux décèdera d’une crise cardiaque en 1924) et Victor travaille à ses côtés, n’ayant jamais exploité son diplôme d’ingénieur. Une pneumonie brutale l’emporte en quelques jours, le 23 décembre 1923.

Les 5 matchs de Victor Sergent avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 2-1 90 première victoire à l’extérieur
2 Amical 08/03/1908 Genève Suisse 2-1 90
3 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90
4 Amical 12/04/1908 Colombes Belgique 1-2 90
5 Amical 16/02/1913 Bruxelles Belgique 0-3 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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