Étienne Mattler, le lion de Belfort

Publié le 26 septembre 2025 - Richard Coudrais

Footballeur international puis héros de la résistance, Étienne Mattler incarne une figure positive des années 1930 jusqu’à 1945.

7 minutes de lecture

Étienne Mattler fut le capitaine de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 1938 et ce statut le classe parmi les footballeurs français les plus réputés de l’histoire. Recordman des sélections, il a disputé l’ensemble des rencontres de l’équipe nationale lors des trois premières Coupes du monde de 1930 à 1938. Défenseur rugueux et patriote indéfectible, son nom est empreint d’héroïsme, d’une part pour sa capacité à poursuivre le match même lorsqu’il est blessé, d’autre part pour sa participation active à la Résistance et aux combats pour la libération.

L’aventure commence à Montevideo

Alors qu’ils sont convoqués en équipe de France pour aller disputer la première Coupe du monde organisée en juillet 1930 dans le lointain Uruguay, certains joueurs doivent déclarer forfait à la demande de leurs employeurs, peu emballés à l’idée de leur donner deux mois de congés, même sans solde. C’est le cas du défenseur Manuel Anatol, qui a dû décliner l’invitation au voyage sous la pression de son patron.

Ce désistement fait le bonheur de Étienne Mattler, un défenseur de vingt-quatre ans qui se fait un nom du côté du FC Sochaux qu’il a rejoint en 1929. Le club doubiste, qui construit une équipe en recrutant sur tout le territoire français et même hors des frontières, est ravi d’accueillir un joueur local susceptible de recueillir les faveurs du public. Étienne Mattler est en effet né à Belfort, à une quinzaine de kilomètres de Sochaux, le jour de Noël 1905.

Faute de pouvoir les payer (le professionnalisme n’étant pas encore admis), le FC Sochaux propose à ses joueurs un poste dans les usines Peugeot tout en leur aménageant les horaires pour les matchs et l’entraînement. La marque automobile, véritable patronne du club sochalien, est en outre ravie de voir ses meilleurs éléments briller en équipe nationale, quitte à les laisser partir deux mois dans des contrées lointaines.

Étienne Mattler a connu une première convocation en équipe de France B pour une rencontre disputée contre l’équipe de Tunisie (5-0). Mais c’est bien le 25 mai 1930, à l’occasion d’un Belgique-France disputé à Ougrée, que le Belfortain devient, à vingt-quatre ans, le 245e joueur de l’histoire de l’équipe de France.

Plâtre brisé

A l’époque, les joueurs les plus techniques occupent les postes offensifs, reléguant les plus costauds dans l’arrière-garde. Étienne Mattler est un joueur athlétique, 1,80 mètre pour 85 kg, ce qui, à l’époque, en impose. Dans sa jeunesse, il a pratiqué l’athlétisme et la boxe, en même temps que le football avec les copains de l’US Belfortaine.

En juin 1930, le Lion de Belfort, comme on aimait le surnommer, embarque à bord du Conte Verde qui emmène les équipes européennes en Uruguay. Le Sochalien participe aux trois rencontres de l’équipe de France : le match initial contre le Mexique (4-1) et les deux matchs suivants, perdus contre l’Argentine (0-1) et le Chili (0-1).

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Le périple se poursuit avec une tournée improvisée en Uruguay puis au Brésil, où les Tricolores affrontent des clubs locaux ainsi que la sélection brésilienne, première confrontation de l’histoire entre les deux pays, malheureusement effacée des listes de la FFF. Durant le mondial uruguayen, Étienne Mattler, gaucher positionné à droite, est associé au Racingman Marcel Capelle, droitier positionné à gauche. A son retour d’Uruguay, l’association est menacée par les retours de Manuel Anatol et du Sétois André Chardar.

En novembre 1931, Étienne Mattler connaît l’une des pires après-midi de sa carrière. A Colombes, les Pays-Bas s’imposent 4-3, avec trois buts inscrits en moins d’un quart d’heure par Wim Lagendaal, le joueur que le Sochalien est chargé de surveiller. Blessé à un poignet, Mattler a brisé son plâtre juste avant le match mais les rudes contacts durant la partie ont réveillé la douleur. Mattler joue avec la crainte de tomber, ce dont profite goulûment l’attaquant néerlandais.

L’heure des pros

Étienne Mattler est écarté aussitôt après cette dixième sélection. Les sélectionneurs lui préfèrent Anatol et Chardar puis, lors de la tournée des Balkans de juin 1932, Chardar et son coéquipier de Sète Jacques Mairesse. Ce n’est qu’en mars 1933 que le Sochalien fait son retour en équipe de France. Le football français vient de faire sa révolution en organisant son premier championnat officiellement professionnel. Mattler et ses coéquipiers ne sont plus tenus d’effectuer quelques heures en atelier : ils sont désormais payés pour jouer au football.

L’équipe de France se qualifie pour la Coupe du monde 1934 qui se dispute dans l’Italie mussolinienne. A Turin, les Tricolores sont opposés à la grande équipe d’Autriche avec qui ils font jeu égal, au point de pousser les Sindelar et autres Hiden aux prolongations. Bien que vaincue (3-2), l’équipe de France sort avec les honneurs. Les joueurs ne sont pas insensibles au parcours des Tchécoslovaques qui parviennent en finale. La France a joué deux parties amicales contre cette solide équipe et Mattler lui-même a le souvenir de combats épiques avec le redoutable attaquant Frantisek Svoboda. L’Italie, qui a battu les Tchèques en finale et donc remporté le titre mondial, deviendra également un adversaire régulier des Tricolores.

Au lendemain de la Coupe du monde italienne, Étienne Mattler garnit enfin son palmarès grâce au titre de champion de France 1935 remporté par Sochaux. Il reste un titulaire de l’équipe de France jusqu’au début de l’année 1936, où le sélectionneur Gaston Barreau teste plusieurs hommes et plusieurs formules sans parvenir à un résultat concret. Sa défense se montre notamment très friable.

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Capitaine courage

Lorsque l’équipe de France reçoit la Suisse en octobre 1937, le sélectionneur décide de rappeler Mattler et de privilégier les automatismes en l’associant à son compère sochalien Hector Cazenave. La défense tricolore retrouve une certaine assise et les deux hommes sont systématiquement appelés jusqu’à la Coupe du monde 1938. Celle-ci doit se dérouler en France et en attendant, l’équipe nationale, qualifiée d’office, ne dispute que des matchs amicaux. Ceux-ci ne manquent toutefois pas d’intensité. Le 5 décembre 1937, les Français livrent au Parc des Princes une rencontre homérique face aux champions du monde italiens. Victime d’une entorse à la cheville gauche, Étienne Mattler reste malgré tout sur le terrain, participant à l’héroïque 0-0 obtenu contre les Transalpins. Le défenseur sochalien entre aux vestiaires en boitant bas, sa cheville ayant doublé de volume.

Au début de l’année 1938, alors que se profile la troisième Coupe du monde organisée dans l’hexagone, l’équipe de France reçoit la Belgique au Parc des Princes. Étienne Mattler hérite en l’absence d’Edmond Delfour du brassard de capitaine. Malgré le retour du Roubaisien en sélection, le Sochalien conserve le capitanat durant la Coupe du monde.

Comme Delfour, mais également comme Émile Veinante, Étienne Mattler dispute sa troisième Coupe du monde consécutive. Seuls cinq joueurs sont alors dans ce cas : les trois Français ainsi que le Belge Bernard Voorhoof et le Roumain Nicolae Kovacs. Victorieuse des rivaux belges au premier tour (3-1), l’équipe de France s’incline (1-3) en quart de finale contre l’Italie lancée à la conquête de son deuxième titre mondial consécutif.

Une Marseillaise au restaurant

Bien que largement battus, les Français n’ont pas digéré la défaite face à des joueurs qui affichent ouvertement les valeurs mussoliniennes. Les deux équipes se retrouvent à Naples six mois plus tard pour une rencontre amicale sous haute tension. Les Tricolores refusent d’effectuer le salut romain alors que leur hymne est conspué par la foule fanatisée. Le match est très violent et malgré une belle résistance française, l’Italie s’impose 1-0. Le soir venu, la délégation tricolore dîne dans un restaurant napolitain, où les autres clients manifestent leur hostilité. Alors mû par son patriotisme, Étienne Mattler monte sur la table et entonne “La Marseillaise” devant une assemblée estomaquée.

En janvier 1939, Étienne Mattler dispute face à la Pologne son quarante-deuxième match avec l’équipe de France. Le Sochalien s’empare alors du record de sélections, codétenu par Edmond Delfour et Jules Devaquez. Il atteint le cap des quarante-six sélections en janvier 1940 durant la drôle de guerre, alors que le pays est occupé par les Nazis. L’équipe de France reçoit le Portugal au Parc des Princes et les joueurs pénètrent sur la pelouse dans leur uniforme de soldat.

En février 1940, l’équipe de France dispute au Parc une rencontre face à une sélection de Grande Bretagne. L’équipe est dite militaire alors qu’elle est composée des mêmes joueurs qui ont affronté le Portugal deux semaines plus tôt. Après deux ans de sommeil, en janvier 1942, le sélectionneur Gaston Barreau organise une rencontre d’entraînement entre sélectionnables. Etienne Mattler, âgé de trente-sept ans, ne s’y montre pas à son avantage. Il ne sera pas appelé pour les rencontres prévues contre la Suisse et l’Espagne en mars 1942. Cette rencontre d’entrainement est son dernier rendez-vous avec la sélection.

Recordman des sélections et capitaine de l’équipe de France, Étienne Mattler est une figure populaire du sport français, à la fois pionnier du professionnalisme et des Coupes du monde de football. A sa renommée de footballeur, le Lion de Belfort ajoutera une dimension héroïque durant l’Occupation. Participant activement à la Résistance, il est arrêté en février 1944 puis emprisonné en Allemagne. Il parvient à s’évader après plus de trois mois de détention. Revenu en France, il prend ensuite les armes pour participer à la libération de Belfort et de l’Alsace. Un acte qui en fera une figure de légende.

Étienne Mattler est mort le 23 mars 1986 à l’âge de quatre-vingt ans.

Trois Coupes du monde, 46 sélections officielles dont 13 comme capitaine

Sel.MatchDateLieuAdversaireScoreTpsJeuNotes
1 Amical 25/05/1930 Ougrée Belgique 2-1 90
2 CM 1930 13/07/1930 Montevideo Mexique 4-1 90
3 CM 1930 15/07/1930 Montevideo Argentine 0-1 90
4 CM 1930 19/07/1930 Montevideo Chili 0-1 90
Tournée 25/07/1930 Montevideo Nacional (Uruguay) 3-2 90
Tournée 30/07/1930 Sao Paulo Santos FC (Brésil) 1-6 90
Tournée 01/08/1930 Rio de Janeiro Brésil 2-3 90
5 Amical 07/12/1930 Montrouge Belgique 2-2 90
6 Amical 25/01/1931 Bologne Italie 0-5 90
7 Amical 15/02/1931 Colombes Tchécoslovaquie 1-2 90
8 Amical 15/03/1931 Colombes Allemagne 1-0 90
9 Amical 14/05/1931 Colombes Angleterre 5-2 90
10 Amical 29/11/1931 Colombes Pays-Bas 3-4 90
11 Amical 19/03/1933 Berlin Allemagne 3-3 90
12 Amical 26/03/1933 Colombes Belgique 3-0 90
13 Amical 23/04/1933 Colombes Espagne 1-0 90
14 Amical 25/05/1933 Colombes Pays de Galles 1-1 90
15 Amical 10/06/1933 Prague Tchécoslovaquie 0-4 90
16 Amical 06/12/1933 Londres Angleterre 1-4 90
17 Amical 21/01/1934 Bruxelles Belgique 3-2 90 (cap)
18 Amical 11/03/1934 Paris (Parc) Suisse 0-1 90
19 Amical 25/03/1934 Colombes Tchécoslovaquie 1-2 90
20 QCM 1934 15/04/1934 Luxembourg Luxembourg 6-1 90
21 Amical 10/05/1934 Amsterdam Pays-Bas 5-4 90
22 CM 1934 27/05/1934 Turin* Autriche 2-3 (prol) 120
23 Amical 16/12/1934 Paris (Parc) Yougoslavie 3-2 90
24 Amical 24/01/1935 Madrid Espagne 0-2 90
25 Amical 17/02/1935 Rome Italie 1-2 90 (cap)
26 Amical 17/03/1935 Paris (Parc) Allemagne 1-3 90
27 Amical 14/04/1935 Bruxelles Belgique 1-1 90
28 Amical 19/05/1935 Colombes Hongrie 2-0 90
29 Amical 27/10/1935 Genève Suisse 1-2 90
30 Amical 10/11/1935 Paris (Parc) Suède 2-0 90
31 Amical 12/01/1936 Paris (Parc) Pays-Bas 1-6 90
32 Amical 09/02/1936 Paris (Parc) Tchécoslovaquie 0-3 90
33 Amical 10/10/1937 Paris (Parc) Suisse 2-1 90
34 Amical 31/10/1937 Amsterdam Pays-Bas 3-2 90
35 Amical 05/12/1937 Paris (Parc) Italie 0-0 90
36 Amical 30/01/1938 Paris (Parc) Belgique 5-3 90 (cap)
37 Amical 24/03/1938 Paris (Parc) Bulgarie 6-1 90 (cap)
38 Amical 26/05/1938 Colombes Angleterre 2-4 90 (cap)
39 CM 1938 05/06/1938 Colombes Belgique 3-1 90 (cap)
40 CM 1938 12/06/1938 Colombes Italie 1-3 90 (cap)
41 Amical 04/12/1938 Naples Italie 0-1 90 (cap)
42 Amical 22/01/1939 Paris (Parc) Pologne 4-0 90 (cap)
43 Amical 16/03/1939 Paris (Parc) Hongrie 2-2 90 (cap)
44 Amical 18/05/1939 Bruxelles Belgique 3-1 90 (cap)
45 Amical 21/05/1939 Colombes Pays de Galles 2-1 90 (cap)
46 Amical 28/01/1940 Paris (Parc) Portugal 3-2 90 (cap)
Amical 11/02/1940 Paris (Parc) Grande Bretagne militaire 1-1 90 (cap)

pour finir...

La rédaction de cet article a nécessité la consultation des sites selectiona.free.fr, RSSSF, Gallica, FFF, Wikipédia, la relecture d’anciens exemplaires de France-Football, L’Équipe, Les Cahiers de L’Équipe, ainsi que des ouvrages « Le brassard » de Luc Briand (Plein Jour, 2022), « Le maillot de la discorde » de Arnaud Ramsay et Etienne Oburie (Steinkis, 2024), « La fabuleuse histoire du football » de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker (Nathan, 1990), « L’intégrale de l’équipe de France de football » de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia (First édition, 1998), « Les 1000 joueurs de l’équipe de France » de Jérôme Bergot (Talent Sport, 2021).

Mots-clés

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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