Deschamps, saison 3

Publié le 5 août 2015 - Bruno Colombari

La troisième année de sélectionneur de Didier Deschamps s’est terminée dans la morosité, avec deux défaites préoccupantes et un projet de jeu qui ne tient pas ses promesses. Il reste cependant du temps avant l’Euro.

5 minutes de lecture

Il vient d’achever sa troisième saison comme sélectionneur et il sait déjà que la suivante sera décisive. En juillet 2016, en cas de succès, il pourra enrichir d’une ligne supplémentaire le plus beau palmarès du football français aussi bien comme joueur [1] que comme entraîneur [2].

Il y a plusieurs façons d’évaluer ses trois premières années. Les enthousiastes diront qu’il a redonné une cohérence et une crédibilité à une équipe qui en manquait sérieusement depuis 2006. Qu’il a fait quasiment jeu égal avec les futurs champions du monde et qu’il a battu les champions d’Europe sortants. Qu’il a fait émerger une génération de jeunes talents (Varane, Pogba, Griezmann) comme on n’en avait pas vu depuis vingt ans. Qu’il a géré avec finesse et psychologie le départ de Ribéry et la mise à l’écart de Gourcuff et Nasri.

Les sceptiques rétorqueront que le parcours de Deschamps sélectionneur est moins linéaire que ce qu’on aurait pu espérer. A l’été 2012, il a repris une équipe nationale en chantier après un Euro décevant. Il a atteint au forceps (et en barrage) son premier objectif, la qualification pour la coupe du monde, et n’a pas dépassé son second, atteindre les quarts de finale de ladite compétition. Sa troisième saison avait plutôt bien commencé avant de caler nettement entre mars et juin. Une chose entraînant l’autre, la chute au classement Fifa a accouché d’un groupe qualificatif relevé pour la coupe du monde 2018. Enfin, de nombreuses interrogations se font jour sur le niveau réel des cadres comme Lloris, Sakho, Varane ou Griezmann, ainsi que de l’absence d’un vrai numéro 6 devant la défense.

A tous, on peut répondre que l’Euro est encore loin et qu’il ne sert à rien de tirer des conclusions sur le niveau de l’équipe un an avant, comme le montrent les précédents de 1983 ou de 1997 [3]. Les Bleus ont encore dix matches sans enjeu pour trouver la formule gagnante, sachant qu’il arrive que celle-ci n’émerge que pendant la compétition (carré magique contre l’Irlande du Nord en 1982, Petit au milieu en 1998, Vieira titulaire en 2000...)

Un bilan plutôt moyen

Didier Deschamps est désormais cinquième au nombre de matches dirigés (37) devant Henri Michel, mais encore loin derrière le duo Jacquet-Lemerre (53), qu’il pourrait dépasser l’an prochain à condition d’atteindre la finale de l’Euro, ce qui semble mal parti [4].

Avec Deschamps sur le banc, les Bleus ont perdu trois fois en compétition (Espagne 2013, Ukraine 2013, Allemagne 2014) et sept fois en amical (Japon 2012, Allemagne, Uruguay et Brésil en 2013, Brésil, Belgique et Albanie en 2015).

En 37 matches (15 en compétition et 22 en amical), les Bleus comptent 19 victoires, 8 nuls et donc 10 défaites. On notera au passage que le bilan est bien meilleur en compétition (9 victoires et 3 défaites sur 15 matches joués) qu’en amical (10 victoires et 7 défaites sur 22 rencontres).

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Dix défaites, c’est beaucoup, d’autant que le calendrier des Bleus d’ici mars 2016 est gratiné, avec des matches contre le Portugal (septembre), l’Angleterre et l’Allemagne (novembre) et les Pays-Bas (mars), tous à l’extérieur. Ce dernier point est plutôt positif : depuis trois ans, l’équipe de France s’en est mieux sortie loin de ses bases contre des adversaires de haut niveau (Espagne et Italie 2012, Belgique 2013) qu’à domicile (Espagne 2013, Brésil et Belgique 2015). Sur dix défaites elle n’en compte que quatre sur terrain adverse (Uruguay, Brésil et Ukraine 2013, Albanie 2015) contre cinq à domicile (Japon 2012, Allemagne et Espagne 2013, Brésil et Belgique 2015). Le problème, c’est que l’Euro l’an prochain aura lieu en France.

Solides, mais pas très réactifs

Pour mesurer la solidité et la réactivité d’une équipe, il est intéressant de regarder ce qui s’est passé quand elle a ouvert le score ou, au contraire, quand elle a concédé le premier but. Sur les 22 fois où l’équipe de France a marqué la première, elle a gagné 18 fois. Elle a été rejointe deux fois (par le Paraguay et la Serbie en 2014) et deux autres fois, le score a été renversé par l’adversaire (l’Allemagne en 2013 et le Brésil en 2015), les deux fois sur des matches sans enjeu et à domicile.

Les Bleus ont concédé le premier but du match 11 fois. Une seule fois ils l’ont emporté (en Biélorussie en 2013). Ils ont obtenu un nul deux fois (en Espagne en 2012 et contre l’Albanie en 2014) et se sont inclinés à huit reprises (contre le Japon en 2012, l’Espagne, l’Uruguay, le Brésil et l’Ukraine en 2013, l’Allemagne en 2014, la Belgique et l’Albanie en 2015).

Autrement dit, si l’équipe de France sait plutôt bien gérer une avance, elle a beaucoup de mal à retourner le cours d’un match mal engagé. Et ça, c’est plutôt mauvais signe. En 1984 (contre le Portugal, 1-2 puis 3-2), en 1998 (face à la Croatie, 0-1 puis 2-1) en 2000 (contre le Portugal et l’Italie, 0-1 puis 2-1) et en 2006 (contre l’Espagne, 0-1 puis 3-1), les Bleus ont toujours su renverser la table. Dans une phase finale, une équipe incapable de gagner un match après avoir encaissé le premier but ne peut espérer aller loin, à moins bien sûr d’avoir une défense parfaitement étanche lors des matches décisifs, comme la Grèce en 2004 ou l’Espagne en 2008, 2010 et 2012.

L’équipe-type est (presque) en place

Dans une année impaire sans matches de compétition, les résultats sont secondaires. Le plus important est le projet de jeu et la mise en place d’un groupe de deux niveaux : les titulaires et les remplaçants qui formeront la liste des 23. Où en est-on ?

Depuis le retour contre l’Ukraine en novembre 2013, puis au Brésil en juin 2014, une équipe-type s’était dessinée avec Lloris dans les buts, une défense Debuchy-Varane-Sakho-Evra, un milieu Cabaye-Matuidi-Pogba et une attaque Valbuena-Benzema-Griezmann. Rien n’a vraiment bougé de ce côté-là. Malgré ses 33 ans et son statut de vétéran, Patrice Evra est toujours là et sa bonne saison avec la Juve plaide pour lui. Le statut de Yohan Cabaye, intermittent du spectacle au PSG qu’il a quitté cet été, est plus délicat, de même que celui de Mamadou Sakho, longtemps indisponible à Liverpool et toujours aussi peu utilisé (27 matches la saison dernière).

C’est autour de cette base-là que ça a (un peu) bougé. Côté gardiens, Benoît Costil a décroché le statut de numéro quatre, mais les positions de Mandanda et de Ruffier se sont rapprochées de celle de Lloris, dont les prestations du mois de juin ont été moyennes, sans plus. Dans les couloirs, le sélectionneur n’a toujours pas trouvé la formule miracle. Jallet et Sagna n’ont pas convaincu à droite et Kurzawa et Digne n’ont pas saisi leur chance à gauche, où Trémoulinas a gâché en juin une belle opportunité de mettre tout le monde d’accord. Dans l’axe, Koscielny n’offre pas toutes les garanties alors que le sélectionneur ne semble pas accorder sa confiance à Mangala.

Au milieu, Morgan Schneiderlin (qui va devoir se faire une place à Manchester United) et Moussa Sissoko sont les plus proches du trio de titulaires. On ne peut pas en dire autant de Joshua Guilavogui ou Maxime Gonalons, qui plafonnent nettement au niveau international. Geoffrey Kondogbia est en net progrès et mérite d’être revu, à condition qu’il joue à l’Inter. Clément Grenier semble bien parti pour prendre la succession de Yoann Gourcuff dans l’infirmerie de Lyon. Enfin, Dimitri Payet a encore une fois déçu, même placé en numéro 10 axial. Son départ à Swansea ne devrait pas l’aider.

En attaque, Giroud et Griezmann ont épuisé en quelques mois une grande partie du crédit qu’ils avaient accumulé l’an dernier. Lacazette a fait un bon match contre le Danemark, mais c’est bien peu et c’est insuffisant compte tenu de sa belle saison lyonnaise. Les bonnes nouvelles, et elles sont rares, viennent des derniers arrivés Paul-Georges Ntep et Nabil Fekir. Il est trop tôt pour savoir si ces deux-là iront loin avec les Bleus, mais ils ont pris de l’avance sur Gignac, Gomis et Rémy.

Et pour compléter, des nouveaux ou des revenants ?

Un an avant l’Euro, reste-t-il des places pour la liste des 23 ? Jamais une telle liste n’a été verrouillée à cette époque [5]. Parmi les candidats potentiels, on pense évidemment au Stéphanois Loïc Perrin, qui pourrait apporter sa maîtrise technique (et son excellent jeu de tête) à une défense centrale un peu tendre, ou à Jérémy Mathieu. Sur les côtés, on aimerait voir Sébastien Corchia dans le couloir droit. Il faudrait aussi un vrai numéro six, mais là, les postulants ne se bousculent pas. A moins que Lassana Diarra retrouve à l’OM son niveau du Real Madrid, auquel cas il pourrait être un candidat sérieux.

Rayon anciens en pièces détachées, on peut aussi évoquer Abou Diaby, dont le secteur de jeu (milieu relayeur ou offensif) est toutefois très encombré, et bien entendu Yoann Gourcuff, s’il retrouve un club et un environnement propice à son talent. Pour ces deux-là, c’est un peu l’opération de la dernière chance, mais qui sait ? On a vu des choses bien plus improbables.

Compte tenu de la cure de rajeunissement opérée par Deschamps depuis 2012, il est probable qu’il fasse appel si nécessaire plutôt à des joueurs expérimentés qu’à des novices, ce qui semble fermer la porte à Benjamin Stambouli (sauf s’il s’impose au PSG, ce qui est loin d’être fait), à Anthony Martial ou à Adrien Rabiot.

[1Champion du monde, champion d’Europe, vainqueur de la coupe intercontinentale (Juventus) et de deux Ligues des champions (avec l’OM et la Juventus), champion de France (deux fois avec l’OM) et d’Italie (trois fois avec la Juventus), vainqueur de la coupe d’Angleterre (Chelsea) et d’Italie (Juventus).

[2Champion de France et triple vainqueur de la coupe de la Ligue avec l’OM, vainqueur de la coupe de la Ligue avec Monaco et champion de Série B avec la Juventus.

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