Irlande 2009, Ukraine 2013, deux scénarios d’aller-retour

Publié le 27 février 2025 - Bruno Colombari - 2

Les deux matchs contre la Croatie en mars n’auront sans doute pas l’intensité des barrages qualificatifs pour la Coupe du monde, en 2009 et 2013. Dont les scénarios ont divergé malgré une issue identique.

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En sélection, les qualifications en aller-retour sont une exception. Les Bleus en ont joué une dans les années 1940 (en 1949 contre la Yougoslavie pour la Coupe du monde au Brésil) et cinq dans les années 1960, en Championnat d’Europe (avec des seizièmes, des huitièmes et des quarts de finale). Plus récemment, elle en a joué deux en barrages pour les Coupes du monde 2010 et 2014. Avec le même résultat (qualification) mais deux scénarios très différents.

2009 : comment dit-on karma en gaélique ?

A l’automne 2009, les Bleus de Raymond Domenech n’y arrivent pas. Le groupe 7 semblait pourtant abordable un an plus tôt, avec la Roumanie, l’Autriche, la Serbie, la Lituanie et les Féroé. Mais seul le premier se qualifie directement pour la Coupe du monde en Afrique du Sud, et après un Euro raté dans les grandes largeurs, l’équipe de France n’a toujours pas digéré l’après-Zidane. A Vienne, en septembre 2008, elle prend l’eau contre l’Autriche (1-3) avant de réagir face à la Serbie quatre jours plus tard (2-1) dans ce qui aurait pu être un match couperet pour un Raymond Domenech qui ne maîtrise plus rien. En octobre, la Roumanie marche sur les Bleus avec deux buts marqués en un peu plus d’un quart d’heure, et le nul final (2-2) inquiète plus qu’il ne rassure.

Les deux victoires étriquées sur la Lituanie au printemps 2009 (1-0, 1-0) arrivent dans un climat lugubre, accentué par une défaite cinglante en amical à Marseille contre l’Argentine de Messi (0-2). Après un pénible 1-0 au Féroé en août, il faudrait un sans faute pour récupérer la première place du groupe aux Serbes, mais c’est hors de portée des Bleus qui enchaînent deux nuls contre la Roumanie et la Serbie (avec une expulsion de Lloris après 9 minutes) et terminent par deux victoires insuffisantes en octobre, contre les Féroé (5-0) et l’Autriche (3-1). Trop peu, trop tard pour éviter la deuxième place et les barrages, une première depuis 1961.

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C’est la République d’Irlande qui se présente, et on se dit que c’est toujours mieux que le Portugal, l’Ukraine ou la Russie. D’autant que l’affaire semble plutôt bien engagée après le match aller à Dublin le 14 novembre, où dans un Croke Park en fusion, les Bleus souffrent et Lloris, brillant, est sollicité plusieurs fois. Mais les Irlandais butent sur un pied, un genou français ou ne cadrent pas leurs tentatives. Et les Bleus s’en sortent comme en 2005, avec un but signé Nicolas Anelka à la 72e (1-0) sur un tir dévié par Sean St Ledger et qui touche l’intérieur du poteau. On ne le sait pas encore, mais c’est son 14e et dernier en sélection, et c’est sans doute celui-là qui va convaincre Raymond Domenech d’en faire son avant-centre à la Coupe du monde. L’ironie de l’histoire est que le passeur décisif est Yoann Gourcuff. Quant à Franck Ribéry, victime d’une tendinite au genou gauche, il est absent pour les deux rencontres.

Le compte à rebours sud-africain est commencé

Quatre jours plus tard à Saint-Denis, le moral est au beau fixe. Raymond Domenech reconduit la même équipe, hormis Abidal remplacé par Escudé. Les deux Diarra (Alou et Lassana) sont placés en sentinelle dans un milieu à trois dont Gourcuff est la pointe haute, avec une attaque composée de trois joueurs plutôt axiaux, Anelka, Gignac et Henry. Mais rien en se passe comme prévu, et en un peu plus d’une demi-heure, le but d’avance des Bleus est effacé par Robbie Keane (33e, 0-1) sur un débordement de Damian Duff qui a transpercé une défense à la rue depuis le début du match.

Dès lors, les Bleus jouent la peur au ventre, comme un avant-goût de ce qui les attend sept mois plus tard en Afrique du Sud. Il faut une sortie autoritaire de Lloris face à Duff à la 61e pour éviter un désastre, alors que Keane évite la sortie du gardien français mais ne peut redresser la balle (73e). La prolongation n’est finalement pas une mauvaise affaire. Anelka se heure à Shay Given dans la surface irlandaise (98e). Pénalty ? Non.

Arrive alors la 103e minute. Florent Malouda, qui a remplacé Gourcuff, met un coup franc lointain au second poteau, où se trouve Henry qui contrôle la balle, centre pour Gallas qui marque de la tête sur la ligne de but. Les Irlandais protestent, et ils sont raison : sur le centre, Henry touche le ballon du bras, puis de la main, avant de servir Gallas. Mais il n’y a pas de VAR en 2009, et Martin Hansson, après avoir consulté son assistant qui n’a rien vu, lui non plus, valide le but (1-1).

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Les Bleus sont qualifiés mais c’est une victoire à la Pyrrhus. La presse se déchaîne, la Fédération irlandaise demande que le résultat soit annulé, L’Equipe titre sur « la main de Dieu », les journaux irlandais répliquent par « la main du Diable ». La ministre des sports, Roselyne Bachelot, parle « de lâche soulagement et de grande inquiétude » alors que sa secrétaire d’Etat, Rama Yade, affirme « qu’on ne peut pas parler de triche ». C’était le dernier match de compétition en France des Bleus de Raymond Domenech. Il valait mieux.

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2013 : le renversement ukrainien

Quatre ans plus tard, Didier Deschamps a remplacé Laurent Blanc au poste de sélectionneur, et sa première saison, celle des qualifications pour la Coupe du monde 2014, est laborieuse. Après deux victoires en Finlande (1-0) et contre la Biélorussie (3-1) et un bon match nul en Espagne (1-1), la première place directement qualificative échappe aux Bleus après une défaite à Saint-Denis contre les doubles champions d’Europe (et champions du monde) espagnols (0-1) qui ouvre un cycle de cinq matchs sans victoire et sans but. Comme en 2009, les deux dernières victoires à l’automne en Biélorussie (4-2) et contre la Finlande (3-0) ne donnent accès qu’aux barrages, à jouer en novembre face à l’Ukraine. Un tirage jugé encore une fois favorable, puisque la Croatie et surtout le Portugal sont évités.

Mais contrairement à 2009, le match aller à Kiev est complètement raté, avec notamment une défense centrale Koscielny-Abidal dépassée et un Samir Nasri inoffensif en meneur de jeu. Il vient de jouer pour la 41e et dernière fois en équipe de France. En première mi-temps, les Bleus ont la possession mais n’en font rien et à l’heure de jeu, c’est Roman Zozulya, trouvé par Edmar Galovskyi qui passe entre Koscielny et Debuchy et bat Lloris à six mètres (1-0). Nasri vendange une balle d’égalisation quatre minutes plus tard, une tête de Koscielny sur corner n’est pas cadrée (80e) et comme décidément, rien ne va, le même Koscielny accroche dans sa surface Zozulya (82e). Andryi Yarmolenko transforme le pénalty, Koscielny est expulsé dans le temps additionnel, Kucher aussi et les affaires des Bleus sont au plus mal.

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Il reste quatre jours pour renverser la table et Didier Deschamps joue son va-tout. Il sait très bien qu’en cas d’échec, il connaîtra le même sort que Gérard Houllier vingt ans plus tôt. Il décide alors de prendre tous les risques en changeant sa charnière centrale, qui sera formée du duo Raphaël Varane-Mamadou Sakho. Le premier, forfait à l’aller en raison d’une inflammation à son genou droit, a 20 ans et 6 mois et seulement 4 sélections dans les jambes, le second 23 ans et 16 capes. Nasri, Rémy et Giroud sont également écartés au profit de Cabaye, Valbuena et Benzema. Ce qui fait donc cinq changements entre l’aller et le retour !

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Une vague bleue qui balaie le sable

Dans une ambiance enfin digne d’un stade de foot, les Bleus emballent la partie d’entrée et les corners s’accumulent sur les buts de Pyatov. A la 22e, suite à un coup franc de Valbuena mal repoussé, Ribéry frappe dans l’axe, Pyatov repousse mais Sakho est le premier sur le ballon et ouvre le score (1-0). C’est l’étincelle qu’il fallait pour embraser le match. Quelques minutes après, un centre de Ribéry est poussé dans le but par Benzema au second poteau. Hors-jeu signalé, mais le ralenti montre que l’attaquant des Bleus était couvert. Les Ukrainiens sont au bord de la rupture et craquent enfin à la 34e sur un but de près de Benzema, qui pour le coup était bien hors-jeu… Mais celui-ci est validé. 2-0, et une petite heure à jouer.

Au retour des vestiaires, leu jeu a repris depuis une minute quand Ribéry s’échappe côté gauche avant d’être séché par Kacheridi, déjà averti à la 45e. Les Ukrainiens vont finir à dix. Mais il manque encore un but pour éviter les prolongations. Ribéry et Debuchy ne cadrent pas leur tentative. A la 72e, un centre de Debuchy est repoussé par la défense sur Matuidi qui frappe. Pyatov repousse, Pogba remet le ballon devant la cage et qui surgit pour marquer du genou ? Mamadou Sakho encore. 3-0, et qualification pour le Brésil.

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Le soulagement de Didier Deschamps et de Guy Stéphan est immense. Ils ne savent pas qu’ils joueront non pas une, mais deux, trois et peut-être quatre Coupes du monde et qu’ils gagneront la deuxième. Quatre des champions du monde 2018 étaient titulaires ce soir-là (Lloris, Varane, Matuidi et Pogba), un cinquième est entré en jeu (Giroud) et un sixième est resté sur le banc (Mandanda). Mais le 19 novembre 2013 marque véritablement l’acte de naissance de l’équipe de France de Didier Deschamps, comme la victoire de Bucarest en octobre 1995 avait accouché de celle de Jacquet, ou comme celle face aux Pays-Bas en novembre 1981 avait mis celle d’Hidalgo sur les rails.

Cette double confrontation contre l’Ukraine marque la fin de la carrière internationale de Samir Nasri (26 ans, 41 sélections), de Eric Abidal (34 ans, 67 sélections) et le match retour est le dernier de Franck Ribéry (30 ans, 80 sélections) en compétition en Bleu : on ne le reverra qu’une seule fois, en mars 2014 face aux Pays-Bas en amical, pour les débuts d’Antoine Griezmann. Les deux buts de Mamadou Sakho seront les seuls qu’il marquera en équipe de France, en 29 sélections. Il aura fait comme avant lui Jean-François Domergue (doublé face au Portugal à l’Euro 1984) et Lilian Thuram (doublé contre la Croatie à la Coupe du monde 1998).

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