Les premiers Bleus : Pol Morel, l’instituteur fils de garde-barrière

Publié le 3 mai 2024 - Pierre Cazal

Cas probablement unique d’enseignant parmi les internationaux français en activité, Pol-Gaston Morel fait partie des Bleus tués lors de la Première Guerre mondiale, à seulement 25 ans. Il compte deux sélections en 1911.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
4 minutes de lecture

JPEG - 236.3 kio

Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Pol Morel présente la particularité d’être, à ma connaissance, le seul international qui ait été instituteur ! Car le football et l’école, c’est bien connu, ont rarement fait bon ménage. Pas besoin, à l’époque, d’avoir un master pour être professeur des écoles (puisqu’on ne parle plus aujourd’hui d’instituteurs), il suffisait d’un brevet élémentaire et d’un certificat de capacité, qui permettaient d’enseigner à 18 ans.

Ce fut sans doute le cas de Morel puisque sa fiche militaire à 20 ans porte déjà mention de sa profession d’instituteur (et on remarquera, au passage, que tous les « premiers Bleus » dont il a été question jusqu’ici exerçaient une profession à 20 ans : pas d’études à rallonge…), et « il sait, aux moments de loisirs, apprendre à ses élèves les bienfaits des sports de plein air », dit la revue… Le Plein Air !

Un Ardennais au Red Star

Il est né le 5 mars 1890 à Mohon, dans les Ardennes, où son père était garde-barrière. Le jeune Pol Gaston a donc vu le jour à quelques mètres des rails, puisqu’alors, toutes les mères accouchaient à domicile, assistées seulement d’une sage-femme, au mieux ! Il s’est retrouvé parisien à l’occasion d’une mutation paternelle et n’a en fait connu que Paris avant la Guerre. Question football, il a débuté au Club Athlétique du 14e arrondissement, avant d’être sollicité par le Red Star en 1910.

Le Red Star (qui jouait en bleu et blanc avec une étoile rouge) fut le premier club théoriquement amateur à lancer une campagne de recrutement (on disait alors péjorativement racoler) en attirant les bons joueurs… des autres clubs. Les Julien Du Rhéart, Eugène Nicolaï, Alfred Gindrat, Lucien Gamblin, Eugène Maës, Jules Verbrugge, Pierre Chayriguès, et donc Morel signèrent au moment où le club se détachait de l’USFSA, pour fonder un petit groupement autonome, la LFA (Ligue de Football-Association), avec une poignée d’autres clubs parisiens, et s’affilier au CFI, ce qui rouvrit les portes de l’Equipe de France à ses joueurs.

Un ailier pur sprinteur

Pol Morel, 1,65 mètre, se distinguait par ses qualités athlétiques : Le Plein Air, en 1913, le décrit ainsi : « se fit remarquer par sa grande vitesse dans les descentes, sa faculté de se servir indifféremment du pied droit ou du pied gauche. Ayant un contrôle du ballon assez effectif, très vite au démarrage, il se démarque très intelligemment ; lorsqu’il aura appris la science du crochetage et soigné la précision de ses centres, ce sera un ailier parfait, genre Dubly. ».

Comprendre que Morel est un ailier de débordement, un pur sprinter, mais pas un dribbleur, et que sa technique est encore approximative. Une autre de ses qualités est de « suivre le ballon », c’est-à-dire, lorsque l’attaque se développe sur l’autre aile, de se positionner, souvent à la limite du hors-jeu (ce qui lui sera reproché) et en se « rabattant », pour récupérer un centre et tirer au but.

Le CFI fait très vite appel aux joueurs de la LFA pour renforcer son équipe nationale, qui ne connaît, depuis sa création en 1909, que des défaites. Pour affronter les redoutables Hongrois, il bouleverse donc son équipe et appelle pas moins de neuf joueurs de la LFA, dont cinq du Red Star. En attaque, Morel se retrouve en compagnie de ses coéquipiers de club Maës, et Verbrugge. Il ne subsiste que deux joueurs des Patronages (Henri Bellocq et Jean Rigal) et un seul de la FCAF (Simon Sollier). Ce mixage improvisé ne donnera guère de résultats : Morel connaît lui aussi la défaite lors de ses deux sélections, en janvier 1911 contre la Hongrie, puis en mars contre l’Angleterre, sur le même score de 0-3.

Le Red Star le 11 janvier 1911. Pol Morel est accroupi, le premier à gauche (photo agence Rol, BNF, Gallica).

Un but refusé pour hors-jeu contre la Hongrie

Ce n’est pas une humiliation, mais c’est quand même décevant. Même avec le renfort d’ex-joueurs de l’USFSA, le fossé qui sépare le football français de celui des meilleurs européens reste large. Pour sa part, Morel a marqué un but, dans les dernières minutes du match contre la Hongrie, mais il a été refusé pour hors-jeu. On dit de lui qu’il a été « souvent maladroit », qu’il « aurait dû servir le centre mieux qu’il ne le fit », et même qu’« il manque un peu de tête », qu’ « il hésite encore un peu », comprendre qu’ à certains moments, il ne sait pas quoi faire du ballon.

Résultat, il est écarté pour jouer contre l’Italie, la presse (L’Auto) daigne le regretter, qualifiant son remplacement à l’aile droite de « peu nécessaire », mais le fait est que son remplaçant, Louis Mesnier, un briscard qui a joué en 1914 contre la Belgique, et n’est pas un ailier, mais un inter, fait merveille et que le match se termine sur un résultat nul (2-2), qui tranche avec toutes les défaites accumulées précédemment ! Du coup, Morel ne sera pas resélectionné.

Tué à 25 ans par un éclat d’obus

De toutes façons, il est sous les drapeaux, pour effectuer son service militaire, en octobre 1911, et peu disponible pendant deux ans. Lorsqu’il est libéré, Morel rejoue pour son club, le Red Star, mais il n’est plus question pour lui d’équipe nationale. Et il doit bien vite reprendre l’uniforme, puisque la Guerre est déjà là. Il est lieutenant mitrailleur et est cité en 1915 : « Vient encore de se signaler pendant l’attaque du 9 mai, pour laquelle le commandement de cinq sections lui avait été confié. A puissamment contribué à arrêter les contre-attaques ennemies, et facilité dans une large mesure la prise définitive de la position ennemie ». Malheureusement, Pol-Gaston Morel devait être tué le 28 septembre 1915 par un éclat d’obus à Grand Servins (Pas-de-Calais). Il avait 25 ans.

JPEG - 122.1 kio
Fiche militaire de Pol Morel (Mémoire des hommes)

Les 2 matchs de Pol Morel avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 01/01/1911 Charentonneau Hongrie 0-3 90
2 Amical 23/03/1911 Saint-Ouen Angleterre 0-3 90
Vous êtes plusieurs milliers chaque jour à venir sur Chroniques bleues. Nous vous en sommes reconnaissants et nous aimerions en savoir plus sur vous. Avec, en cadeau, trois articles inédits au format pdf à télécharger !

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vos articles inédits