Depuis la fin des Jeux olympiques, les sélectionneurs de l’équipe de France ont procédé à un rajeunissement des cadres mais celui-ci s’est soldé par un échec. Chaque sortie des Tricolores a été sanctionnée par une défaite. Pire, les Français n’inscrivent plus de buts : 0-3 contre les Belges, 0-7 contre les Italiens, 0-4 contre l’Autriche, c’en est trop pour la presse et les observateurs qui réclament le retour des anciens mis sur la touche.
Le retour des grands noms
C’est ainsi que le 21 mai 1925 sont rappelés Pierre Chayriguès, Jean Boyer, Raymond Dubly, Jules Devaquez et Marcel Domergue. Les trois premiers n’avaient plus été convoqués depuis le France-Uruguay des Jeux olympiques et les deux autres depuis l’amical France-Hongrie disputé trois jours plus tard au Havre. A ces grands noms s’ajoute celui de Paul Nicolas, rappelé lors du récent France-Autriche alors qu’il n’avait plus joué depuis France-Uruguay.

L’adversaire que la France reçoit à Colombes ce jeudi de l’Ascension justifie que l’on présente la meilleure équipe possible. L’équipe d’Angleterre, même si elle n’est plus invincible, reste une référence. Les Britanniques ont toujours en travers de la gorge la défaite de Pershing (2-1) en mai 1921, et ils envoient désormais des joueurs professionnels pour corriger les Français lorsqu’ils leur rendent visite à chaque printemps ou presque, comme en 1923 (4-1) et 1924 (3-1).
L’équipe anglaise qui débarque à Colombes est composée de neuf professionnels. Seuls deux joueurs du Clapton Football Club, William Bryant et Vivian Gibbins, sont des amateurs. Ils sont alignés aux côtés de joueurs provenant de Manchester, Sheffield, Southampton, Birmingham, Derby, le seul autre londonien étant Frederick Fox, le gardien de Millwall. Face à cette armada, l’équipe de France aligne six anciens qui ont participé à la victoire historique de 1921 : Dubly, Boyer, Nicolas, Devaquez, Bonnardel et Hugues.
Holidays in France
D’entrée, les Anglais tentent d’écraser les Français en occupant le terrain et en frappant au but, mais Chayriguès fait bonne garde. Côté Français, les rares attaques sont arrêtées par le positionnement des défenseurs anglais qui mettent les attaquants tricolores hors jeu. Cette règle du hors-jeu est d’ailleurs de plus en plus pénalisante pour le spectacle et l’International Board ne va pas tarder à proposer une réforme qui va considérablement bouleverser l’histoire du jeu.
En attendant, les Français souffrent face à des Britanniques largement supérieurs, mais qui jouent avec un certain flegme. Les spectateurs sont un peu déçus par le manque de volonté des Anglais, dont la saison est terminée depuis trois semaines et qui auraient probablement préféré goûter à quelques vacances après une saison éprouvante.
Après vingt minutes de jeu, le défenseur Thomas Parker relance de son camp. Il envoie la balle à Bryant lequel transmet à son coéquipier Gibbins. Celui-ci se débarrasse de Marcel Vignoli et, alors que Marcel Domergue cherche à intervenir, frappe au but. Chayriguès est battu.
L’Angleterre à dix
Les Anglais restent dominateurs face à des Français débordés. Mais le buteur Gibbins fait un faux mouvement et se tord le genou. Il est contraint de sortir à dix minutes de la mi-temps. Réduits à dix, les Anglais n’en poursuivent pas moins leur domination.
Toutefois les Français, en surnombre, parviennent à trouver des espaces. Une action de Dubly est relayée par Nicolas qui adresse le ballon à Boyer. La frappe du Marseillais est captée par le gardien Frederick Fox, dont c’est le premier arrêt de la rencontre. Les Français réalisent une bonne fin de première mi-temps.
En seconde période, Gibbins a définitivement déclaré forfait et ses coéquipiers doivent poursuivre à dix. Ceux-ci se montrent toutefois supérieurs, d’autant qu’ils marquent rapidement. Une frappe de William Walker est détournée par le tibia de Philippe Bonnardel, ce qui trompe Chayriguès.
Cinq minutes plus tard, sur un centre de de George Thornewell, l’attaquant Arthur Dorrell reprend le ballon et marque, malgré l’intervention du jeune Robert Dauphin, qui a essayé de repousser de la main. L’Angleterre mène 3-0 après cinquante minutes de jeu et peut voir venir.
500 minutes sans marquer
Les Français ne se découragent pas. Devaquez envoie un tir sur le poteau de Fox, puis voit une autre tentative échouer de peu. Après l’heure de jeu, Guillaume Lieb donne la ballon à Paul Nicolas, qui s’avance vers la surface anglaise. Il glisse le ballon à Boyer qui se retrouve sans opposition, sinon celle du gardien Fox qui s’avance vers lui. Le Français dribble habilement le goal-keeper anglais et glisse le ballon dans les filets.
C’est le premier but français depuis 354 jours, soit onze mois et vingt jours. Le précédent était signé Paul Nicolas à la 12e minute du quart de finale contre l’Uruguay (5-1), soient cinq-cent minutes sans marquer (on ne tient compte ici que des rencontres officielles contre d’autres nations. Les rencontres contres les clubs sont exclues). Les Français continuent à se battre courageusement contre des Anglais qui se contentent d’expédier les affaires courantes. Le gardien Fox a désormais autant de travail que son vis-à-vis Chayriguès.
Vient alors l’entrée du dernier quart d’heure. Dubly déborde et centre pour Lieb dont le tir est difficilement arrêté par Fox. Devaquez surgit, charge le gardien et l’envoie au fond de la cage, comme le permet alors le règlement. Les Français inscrivent ainsi leur deuxième but et s’en félicitent alors que le malheureux gardien anglais reste au sol. Les médecins accourent et le sortent du terrain alors qu’il reste à demi inconscient. C’est son coéquipier Frank Roberts qui prend sa place.
La der de Chayriguès et Dubly
Les Anglais ne sont plus que neuf et le public de Colombes encourage les siens à profiter de cet avantage numérique. Les Anglais ne s’en laissent pas compter et font circuler le ballon tandis que les Français s’époumonent à courir après.
L’arbitre belge Théo Van Zwieteren siffle la fin du match et entérine la victoire anglaise (3-2). C’est la sixième défaite consécutive pour les Français, mais le public reconnaît qu’ils ont livré leur meilleure prestation depuis bien longtemps.
Les journaux sont unanimes : Devaquez a réussi un bon retour même s’il n’est plus aussi brillant que pendant ses belles années. Jean Boyer en revanche confirme ses qualités, tout comme Paul Nicolas et le vétéran Raymond Dubly. Ce dernier ne sera plus rappelé à l’avenir, tout comme le prometteur Marcel Vignoli dont c’était seulement la deuxième sélection.
Quant à Pierre Chayriguès, il reste selon la presse le meilleur gardien de France malgré un corps meurtri par les blessures. A 33 ans et 19 jours, il devient le joueur le plus âgé sélectionné en équipe de France, dépassant l’illustre Lucien Gamblin. Ce sera la dernière apparition du gardien du Red Star chez les Tricolores.

Angleterre bat France 3-2
Buts : Gibbins (23’), Bonnardel (46’ csc), Dorrell (50’) pour l’Angleterre, Boyer (62’) et Devaquez (75’)
FRANCE : Chayriguès - Domergue, Vignoli - Dauphin, Hugues, Bonnardel - Devaquez, Lieb, Nicolas (cap.), Boyer, Dubly.
ANGLETERRE : Fox - Parker, Felton - Magee, Bryant, Green - Thornewell, Roberts, Gibbins, Walker, Dorrell.
Arbitre : Théo Van Zwieteren (Belgique)
30.000 spectateurs.
Joueur | Âge | Poste | Sélections | Club |
---|---|---|---|---|
Pierre Chayriguès | 33 ans | Gardien | 21/21 | Red Star |
Marcel Domergue | 24 ans | Arrière | 8/20 | SC Nîmes |
Marcel Vignoli | 27 ans | Arrière | 2/2 | Olympique de Paris |
Robert Dauphin | 20 ans | Demi | 2/15 | Stade Français |
François Hugues | 29 ans | Demi | 22/24 | Red Star |
Philippe Bonnardel | 26 ans | Demi | 22/23 | Red Star |
Jules Devaquez | 26 ans | Avant | 23/41 | Olympique Marseille |
Guillaume Lieb | 21 ans | Avant | 2/15 | FC Bischwiller |
Paul Nicolas (Cap) | 26 ans | Avant | 19/35 | Red Star |
Jean Boyer | 24 ans | Avant | 13/15 | Olympique Marseille |
Raymond Dubly | 32 ans | Avant | 31/31 | RC Roubaix |