L’histoire de l’équipe de France n’est pas avare en grands noms, mais la célébration de ceux-ci, parfois excessive, provoque l’effacement d’un grand nombre de joueurs, tout aussi méritants. Le nom de Claude Quittet, par exemple, reste en retrait des grands récits du football français. Le défenseur central franc-comtois a pourtant connu seize sélections en équipe de France, à une époque, il est vrai (de 1967 à 1973), où celle-ci ne constituait pas vraiment un motif de fierté nationale.

D’où l’importance du livre de Thierry Mathey Claude Quittet, au stade des souvenirs et des hommages, paru en 2022 aux éditions Cêtre. Cet ouvrage de plus de cinq cent pages étonne par son volume. Certains footballeurs à la renommée plus évidente auraient probablement apprécié un traitement équivalent pour leur propre carrière. L’auteur s’efforce de combler un vide et le lecteur passionné se prend à rêver que l’exemple soit suivi pour d’autres internationaux.

De Mathay à Mathey

Claude Quittet est issu du FC Sochaux, un club qui était déjà passé, depuis le lendemain de la guerre, du vedettariat à la formation. Le défenseur central né en 1941 à Mathay (Doubs) évolue jusqu’à l’âge de vingt-huit ans dans le club qui l’a formé, avant de tenter l’aventure à Nice, pendant trois ans, puis Monaco le temps d’une saison. Il revient ensuite dans sa région d’origine et apporte son expérience au RCFC Besançon, club pilier de la deuxième division.

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Sa meilleure saison date de 1973 où il termine avec Nice à la deuxième place du championnat. Claude Quittet a par ailleurs disputé deux finales de Coupe de France, toutes deux perdues, mais a remporté deux fois la Coupe Drago avec Sochaux, puis un titre de champion de deuxième division avec l’OGCN agrémenté d’un Challenge des Champions raflé face à l’AS Saint-Etienne.

En dépit d’un palmarès sans véritable titre national, Claude Quittet connaît une belle carrière en équipe de France. Le défenseur sochalien est appelé pour la première fois en 1967 par Louis Dugauguez à l’occasion d’un match amical à Berlin perdu 5-1 contre les vice-champions du monde allemands. Un score identique à Belgrade sanctionne tout aussi durement la fin de parcours des Tricolores en quart de finale de la Coupe d’Europe des nations 1968. Toutefois une humiliation plus forte encore attend les Bleus de l’époque au début des éliminatoires de la Coupe du monde 1970, une défaite (0-1) à Strasbourg face à la modeste Norvège, qui provoque la démission du sélectionneur et la fin de la carrière internationale du défenseur sochalien.

C’est du moins ainsi qu’on l’interprète à l’époque car Claude Quittet n’est plus rappelé en équipe nationale pendant trois ans. En novembre 1971, alors qu’il est devenu Niçois, Claude Quittet est rappelé par Georges Boulogne. A trente ans, le franc-comtois entame une nouvelle carrière internationale qui le verra participer à la Copa Independencia de 1972 au Brésil puis porter le brassard de capitaine à quatre reprises. Mais il est acteur d’un nouvel échec dans les éliminatoires de la Coupe du monde 1974 et se retrouve poussé vers la sortie par les jeunes Marius Trésor et Jean-Pierre Adams.

Huit cents questions et cent trente quatre témoignages

Le livre que Thierry Mathey est né d’une série d’entretiens où l’ancien joueur a été soumis à plus de huit cents questions, lesquelles occupent avec leurs réponses plus de deux cents pages de l’ouvrage. Claude Quittet évoque ainsi Sochaux, Nice, Monaco, Besançon, l’équipe de France, mais aborde aussi des questions d’ordre général sur le football, son métier, son époque et son évolution, allant jusqu’à donner son avis sur la Coupe du monde 2018 qui s’est déroulée pendant la conception du livre.

C’est Michel Vautrot, arbitre international et autre figure du football franc-comtois, qui signe la préface du livre avant que s’ouvre un chapitre biographique sur le footballeur. L’auteur évoque avec force détails, en une centaine de pages, la jeunesse de l’international, son passage dans les différents clubs qu’il a fréquenté et ses aventures en sélections nationales.

Après l’entretien-fleuve qui constitue le tronc de l’ouvrage, l’auteur publie les témoignages des hommes qui ont côtoyé Claude Quittet durant sa carrière. On retrouve pas moins de cent-trente-quatre témoins, coéquipiers, adversaires, entraîneurs, parmi lesquels Aimé Jacquet, Roger Lemerre, Jacques Santini, ainsi que Gérard Houllier, l’instituteur qui suivait déjà de près le football professionnel.

L’ouvrage est complété par des remarques de Quittet lui-même sur ses coéquipiers de l’équipe de France, toujours respectueux malgré la compétition qui opposait souvent les hommes. Suivent des statistiques très complètes de ses saisons club par club, les fiches de tous ses matchs en bleu, une chronologie détaillée de ses buts (il en a mis cinquante-neuf durant sa carrière), un rappel des grandes dates de sa carrière, son palmarès complété par les distinctions personnelles, un abécédaire, un glossaire et une conclusion de l’auteur sur sept pages, des fois que la lecture de l’ouvrage en entier en décourageait certains.

Travail de mémoire

Si l’auteur ne manque pas de bienveillance vis-à-vis du joueur, il n’évite pas certaines critiques, notamment un attachement au FC Sochaux qui a probablement pénalisé la visibilité du joueur sur le plan médiatique. Mais l’intérêt du livre est ailleurs : les propos de Claude Quittet sont un véritable témoignage d’une époque où le football français était au fond du trou et où les joueurs avaient certaines obligations comme le service militaire, étaient liés à leur club jusqu’à ce qu’on instaure le contrat à temps, et devaient se préoccuper sérieusement de l’après-carrière car leur salaire, s’il était confortable, ne suffisait pas pour toute une vie. Plus que la vie d’un footballeur, le livre de Thierry Mathey documente le football d’une époque.

Claude Quittet et ses seize sélections en équipe de France méritaient bien un tel ouvrage et il serait souhaitable que chaque joueur ayant porté le maillot bleu, ne serait-ce qu’une fois, puisse bénéficier d’un tel traitement biographique. Tous les Bleus ne sont pas champions du monde, mais tous ont une histoire, un parcours, un témoignage précieux à livrer aux générations futures. L’exemple de Thierry Mathey et Claude Quittet doit être suivi pour enrichir la mémoire du football national.