Les premiers Bleus : la courte et tumultueuse vie de Zacharie Baton

Publié le 1er mars 2023 - Pierre Cazal

Le troisième gardien de l’histoire de l’équipe de France est mort à seulement 38 ans, mais sa vie aura été bien remplie. A la fin de sa carrière, il s’est reconverti joueur de champ, puis a combattu à la Grande Guerre où il a perdu son bras gauche avant d’intégrer le ministère des Finances.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Si l’on effectue une recherche sur Internet, on trouve deux Zacharie Baton, tous deux nés à Arras, l’un en 1851, et l’autre en 1886, et tous deux décédés à Paris, dans le 9ème arrondissement, en 1925. L’un est un peintre, dont la cote, si elle n’atteint pas celle de van Gogh, est cependant avérée, et dont on peut sans peine découvrir sur internet, par exemple, les plus belles toiles. L’autre, est le footballeur international qui fait l’objet de cet article.

Question évidente : sont-ils père et fils ? La réponse est non. L’acte de naissance de Zacharie Théodore Baton, né le 20 septembre 1886, indique que son père était serrurier et s’appelait Alphonse Charles Zacharie. Le peintre, lui, se prénomme Zacharie Constant Théodore, il n’est pas le père, mais un oncle. Dans la famille, tout le monde porte, peu ou prou, le prénom de Zacharie !

Le peintre et le footballeur disparaissent à un mois d’intervalle

Malgré la différence d’âge, tous deux sont bien décédés en 1925, l’un, le peintre, en janvier et à Paris 9ème, et l’autre, notre footballeur, le 21 février, mais pas à Paris, contrairement à ce qui est écrit partout. Si on consulte les registres d’état-civil du 9ème, en effet, on ne trouvera pas trace de son acte de décès, alors qu’on trouve celui du peintre, le mois précédent. Il faut chercher sur les sites de généalogie connus, pour trouver que notre footballeur est mort à Lompnas, un village de l’Ain, situé à 50 km environ de Lyon. Pourquoi s’y était-il retiré ? Mystère, sachant que notre Zacharie Baton était domicilié, en 1923, à Ivry-sur-Seine.

  • La vie sportive du Nord de la France, 20 décembre 1913 (BNF Gallica)

Remontons maintenant le temps : la famille Baton comporte de nombreux membres à Arras, et le jeune Zacharie y fait ses études. Il raconte lui-même, dans la Vie Sportive du Nord (dont, au passage, il est un des rédacteurs), ses débuts en football. Selon lui, le dirigeant bien connu de Lille, et de la Commission d’association de l’USFSA, André Billy, s’était déplacé de Lille en 1903 pour convaincre ses parents, ainsi que le directeur du collège où le jeune Zacharie, 15 ans, était interne, de le laisser venir chaque fin de semaine à Lille pour garder les buts de l’Olympique Lillois, le club que Billy avait fondé en mars 1902. Ce qui fut fait.

L’OL (oui, les mêmes initiales que le club lyonnais) n’était pas le meilleur club du Nord, loin de là, en dépit des ambitions de Billy. C’était, à l’époque, le Racing de Roubaix qui trustait les titres de champion du Nord, et même de champion de France, devant l’US Tourquennoise, et ces clubs avaient été fondés avant 1900. Lille, et Billy, essayaient de les challenger, sans y parvenir. Le jeune Baton était un atout, mais pas question d’être titulaire encore.

Zacharie fait parler de lui, sur le plan national, en 1905, lors d’un match pourtant nettement perdu par l’OL face au Racing, de Paris celui-là (ou plutôt, de France : c’était le RCF), 0-4. On lit, dans l’Auto : « Baton a simplement été merveilleux, son but a littéralement été bombardé. »

Un gardien qui se sert de préférence de ses mains

Quand on épluche L’Auto, les années suivantes, on ne relève que des compliments longs comme le bras au sujet de Baton, et pas une fois : cinq, dix fois. Jamais l’ombre d’une critique, le joueur fait l’unanimité, et cela mérite d’être noté. Florilège : « Notre gardien de but Baton est un joueur de classe, adroit et ayant beaucoup de décision » ; ou encore : « Baton, un gardien de but extraordinaire, d’une belle taille, souple comme un chat, adroit comme un singe, ses longs bras sont partout où vient le ballon, et avec cela un sang-froid imperturbable », en 1908 ; « Baton, dans les buts, sauva des situations bien dangereuses, c’est un homme de grande classe, ayant beaucoup de sang-froid et possédant un coup d’œil remarquable », en 1909. En 1906, le journaliste Ernest Weber avait remarqué : « Se sert de préférence de ses mains, grande qualité pour un gardien de but ».

Qualité qui nous paraît évidente, mais ne l’était pas autour de 1900 : beaucoup de gardiens renvoyaient les balles au pied, ou au poing, en les boxant. Baton est capable de se détendre, et on note, en 1907 : « Baton arrête de justesse dans le haut du but ». Il est donc capable de couvrir la totalité de son but (il mesure 1,76 mètre, soit 13 centimètres de plus que la moyenne de l’époque), peut-être pas de « plonger », au sens actuel, c’est-à-dire de se détendre latéralement jusqu’au sol, cela ne se fait encore pas, mais au moins d’aller chercher les ballons loin de lui-même, sur sa ligne, étant entendu qu’un gardien de 1900 ne quitte pas sa ligne, ne s’avançant que rarement aux 6 mètres, qui tracent les limites de « sa » surface.

L’équipe de France contre la Belgique le 12 avril 1908. Debout de gauche à droite : Wilkes, Sergent, Allemane, Baton (avec la casquette), Verlet, Moigneu. Assis : Sartorius, Royet, Jenicot, Mathaux, Hanot.

Quinze buts encaissés pour sa première sélection contre l’Angleterre

Sa première sélection, en 1906, à 20 ans, il la doit à « son » président, André Billy, qui a pris en main l’équipe de France après le retrait de Clément Robert, plus connu sous son nom de plume, Robert-Guérin (avec un trait d’union). C’est ce dernier qui, en 1904, a créé la FIFA et relancé l’équipe de France, mais, en guerre avec les dirigeants anglais, et désavoué par l’USFSA, il a claqué la porte en novembre 1905. Le nordiste Billy a pris la place, et, du coup, « déparisianisé » la sélection, en y incluant des joueurs du Nord, dont « son » gardien de but, de l’Olympique Lillois, Zacharie Baton.

Une première difficile, car elle se solde par la bagatelle de 15 buts encaissés des pieds des Anglais. Mais nul n’en tient rigueur à Baton : il est resélectionné et parvient même à sauver ses buts, permettant à la France de battre la Belgique en avril 1907 (2-1), puis la Suisse en 1908 (2-1). Sa dernière sélection officielle se solde par une défaite, mais honorable, concédée face aux Belges (1-2), toujours en 1908. Mais à l’époque, Baton accomplit son service militaire, et n’est pas toujours disponible, il ratera donc quelques râclées mémorables, comme le 0-12 infligé par les Anglais, et surtout, le 1-17 des jeux Olympiques, dû aux Danois.

  • L’Auto du 2 novembre 1906 (BNF Gallica)

Il aura droit à une dernière sélection en 1909, officieuse celle-ci, car l’USFSA avait quitté la FIFA, mais jouait des matches internationaux quand même, au sein de l’éphémère fédération internationale rivale montée par Billy, et intitulée UIAFA. C’est donc une équipe anglaise dissidente, estampillée AFA (Amateur Football Association, pour se distinguer de la FA, Football-Association, créée en 1863 et affiliée à la FIFA, elle, la présidant, même, à l’époque) que Baton affronta, le score étant de 0-8, ce qui n’étonnait personne, tant la supériorité anglaise était alors considérable… pour quelques années encore.

Il se reconvertit en milieu de terrain

Son service militaire terminé, en septembre 1909, Baton quitta Lille, et l’OL, pour revenir sur ses terres, et à son club d’enfance, le Racing Club d’Arras. Mais, ce qui est très intéressant, c’est que Baton céda bientôt sa place dans les cages à son « élève » (il est clairement dit que c’est lui qui l’a formé), Louis Bournonville, pour jouer dans le champ, au poste de demi-centre, qui était alors la plaque tournante d’une équipe de 2-3-5, le seul poste à la fois défensif et offensif. On le retrouve même capitaine de l’équipe, jusqu’en 1914. C’est une figure majeure du club, et, comme il est instruit, Baton fait partie du comité de rédaction de la Vie Sportive du Nord, où l’on peut retrouver de nombreux articles qu’il a signés.

Mobilisé, il est envoyé en septembre 1915 sur le front des Dardanelles (de même que Gaston Barreau, au passage), et c’est là que les choses se gâtent. Précision, car le fait est mal connu : la Serbie s’étant rangée aux côtés des Alliés, un corps expéditionnaire franco-anglais avait débarqué à Salonique, avec pour mission de dégager les troupes serbes en difficulté un peu plus au nord face aux Bulgares (eux-mêmes dans le camp allemand et austro-hongrois). Hélas, les combats qui se déroulèrent à Stroumitsa (frontière serbo-bulgare) et dans la vallée du Vardar tournèrent à l’échec.

Blessé, prisonnier, évadé, blessé encore et amputé

En ce qui concerne personnellement Zacharie Baton, alors lieutenant, on dispose des citations qui lui valurent la Croix de Guerre, en voici deux qui permettent de bien cerner la situation :
« A été blessé de 4 balles et d’un coup de baïonnette à l’attaque d’un village par les Bulgares ; ramassé sur le champ de bataille par ceux-ci, est soigné à Uskub (Skopje aujourd’hui, en Macédoine du Nord) et en bonne voie de guérison. » Mais cet optimisme est vite corrigé par la citation suivante : « Blessé une première fois, puis fait prisonnier, a cherché à s’évader. Blessé de nouveau, cette fois grièvement, est tombé aux mains de l’ennemi. Amputé du bras gauche et rapatrié comme grand blessé. »

On se souvient que, gardien de but, le sang-froid et l’esprit de décision de Zacharie Baton étaient soulignés : ces qualités, il en a fait preuve aussi sous l’uniforme. Blessé à de multiples reprises, il aurait pu se contenter de rester sagement dans son camp de prisonniers et d’attendre la fin des hostilités ; mais son tempérament l’a poussé à s’évader et à tenter le tout pour le tout. Amputé du bras gauche, dans son tiers supérieur, il a été transféré d’abord dans un camp de prisonniers en Bulgarie, à Philippopoli, disent les documents militaires, mais Philippopoli, c’est Plovdiv.

Rapatrié par la Croix Rouge et mobilisé à nouveau

Ce camp a été inspecté par la Croix Rouge suisse, il existe même un rapport de visite en date du 9 mai 1917, qu’on peut consulter sur Internet. Il nous apprend que, sur 7647 prisonniers, il y avait 278 Français, dont 9 officiers, Baton étant l’un d’entre eux. Ils étaient logés dans des baraques à deux étages, dormaient sur des paillasses, et travaillaient aux champs, pour les valides, ce qui n’était pas le cas de Baton. « Le camp de Philippopoli est sans doute le meilleur de Bulgarie », conclut le rapport…

Zacharie Baton fut rapatrié le 28 août 1917, très certainement en rapport avec cette inspection du camp, car il est précisé, dans son dossier militaire, qu’il fut rapatrié par les Suisses. Mais, ce qui est extraordinaire, c’est que Baton, bien que manchot, demanda à servir quand même, la guerre n’étant pas finie ! Affecté à un service d’artillerie (mais pas au front), il fut dans un second temps détaché au Contrôle télégraphique de Brest, jusqu’à l’Armistice !
En tant que grand mutilé de guerre, Zacharie Baton fut attaché au ministère des Finances à Paris en 1919, et on trouve sa trace à Ivry-sur-Seine en juin 1923.

Le mystère de Lompnas

Le hasard a voulu que son oncle, le peintre, Zacharie Constant Théodore Baton, qui résidait dans le 9ème arrondissement de Paris soit décédé en janvier 1925, d’où la confusion qui mène la plupart des sites à donner Zacharie Théodore Baton, le footballeur, pour mort à Paris, parce que sa mort a suivi celle de son oncle d’un mois à peine, le 21 février.

Il m’a été impossible de savoir pourquoi, et quand, Zacharie Théodore Baton avait quitté Ivry pour s’installer à Lompnas, peut-être même n’y faisait-il qu’un court séjour. Aucun des grands journaux de sport n’a signalé sa mort à seulement 38 ans, et j’ignore s’il a été inhumé à Lompnas ou rapatrié à Arras. Je sais juste qu’en 1928, il existait à Arras un challenge Zacharie Baton (d’athlétisme, car notre footballeur pratiquait aussi assidûment l’athlétisme en été, comme beaucoup de footballeurs à l’époque), ce qui prouve qu’il n’était pas (encore) oublié à Arras.

On a coutume de dire que Chayriguès a été le premier gardien de but français de classe : c’est occulter ceux qui l’ont précédé, et il n’est pas injuste, je crois, de faire revivre le temps de cet article la mémoire de Zacharie Baton.

pour finir...

[COMPLÉMENT D’INFORMATION] : la richesse de Chroniques bleues, c’est sa rédaction. Suite à l’article de Pierre Cazal, François da Rocha Carneiro a apporté une précision importante, que j’ajoute donc ici :
« Zacharie Baton n’est pas décédé à Lompnas mais à Lompnes (Hauteville-Lompnes), où se trouve... un grand sanatorium. Voilà, me semble-t-il, la clé du mystère de son émigration finale : la tuberculose (ou une autre maladie nécessitant cette mise au grand air). Néanmoins, il est déclaré Mort pour la France, ce qui laisse penser qu’il a rapporté sa maladie en même temps que sa blessure de guerre. »
Merci François (et merci Pierre, évidemment)
BC

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