Comment repartir après un échec ? Cinq précédents depuis 2002

Publié le 27 août 2021 - Bruno Colombari

On l’oublie les soirs de victoire, mais le football est aussi fait (et majoritairement) de défaites et d’éliminations. Deux mois après l’Euro, retour sur les cinq étés qui ont suivi une phase finale manquée lors des vingt dernières années.

9 minutes de lecture

Le football de sélection vit par cycles de deux ou quatre ans, la distance qui séparent des phases finales de Coupe du monde ou d’Euro. Le report de l’édition 2020 a étiré inhabituellement le dernier intervalle à trois ans, et le prochain d’ici la Coupe du monde ne fera que 16 mois. Autant dire que nous sommes au cœur d’une période très inhabituelle pour les joueurs et les sélectionneurs, sans même parler des supporters.

L’élimination prématurée des Bleus à l’Euro est la sixième du genre depuis le début du 21e siècle, après celles de 2002, 2004, 2008, 2010 et 2012. Par élimination prématurée, j’entends les phases finales où l’équipe de France a soit été sortie dès le premier tour, soit dès le premier match à élimination directe, comme à l’Euro 2012 face à l’Espagne, ou donc en 2021 contre la Suisse. En revanche, la défaite face à l’Allemagne en quart de finale de la Coupe du monde 2014 n’entre pas dans ce cadre, puisqu’elle avait fait suite à une victoire en huitième contre le Nigéria (2-0).

Pour chacun des cinq précédents, je vais regarder les points suivants :
 les circonstances de l’élimination
 le sort du sélectionneur
 le premier match des Bleus qui suit le tournoi
 les débutants lors de ce premier match et leur avenir en sélection

2002 : personne n’a vu la deuxième étoile ?

C’est sans doute la gamelle la moins prévisible de l’histoire de l’équipe de France, d’autant qu’elle suit trois années et demi euphoriques avec un titre mondial en 1998, un championnat d’Europe en 2000 et une Coupe des Confédérations en 2001. Mais justement, dès Le début de 2001 les signaux d’alerte commencent à s’allumer : une défaite en amical en Espagne, une autre contre l’Australie en juin, encore une en septembre au Chili… En mars, c’est Robert Pires qui doit déclarer forfait suite à une blessure au genou avec Arsenal et fin mai, Zidane se claque à la cuisse lors du tout dernier match amical.

Touillez tout ça avec une préparation anémique, un niveau de confiance qui frôle l’arrogance et une malchance crasse lors des trois matchs du premier tour, et vous obtenez la plus invraisemblable des éliminations. Et pas de justesse en plus : 0-1 contre le Sénégal en ouverture, 0-0 à dix contre onze face à l’Uruguay et 0-2 pour finir contre le Danemark qui n’en attendait pas tant. Et cinq tirs sur le poteau ou la barre.

Autant dire qu’avant d’être éliminés par le Sénégal ou le Danemark, les champions du monde et d’Europe se sont battus tous seuls. Incapables d’inscrire le moindre but en quatre heures et demie de jeu en alignant les meilleurs buteurs de Premier League (Henry), de Série A (Trezeguet) et de Ligue 1 (Cissé) et dépourvus de toute capacité de révolte face à la défaillance des cadres (Lebœuf, Desailly, Djorkaeff, Dugarry), les Bleus n’y étaient tout simplement pas.

Conséquence directe pour Roger Lemerre, qui n’avait jamais connu l’échec depuis son arrivée dans le staff tricolore début 1998 : direction la porte, alors qu’il avait été imprudemment prolongé de deux ans avant la compétition. Ça se passe mal, forcément, même si le sélectionneur a sa part de responsabilité dans le naufrage : aucun plan B pour pallier l’absence de Zidane, des remplaçants pas concernés, une préparation défaillante avec un amical mal placé contre la Corée du Sud et la confiance accordée à des cadres sénatorisés.

Ecarté le 5 juillet 2002 et remplacé deux semaines plus tard par Jacques Santini, préféré à René Girard et Raymond Domenech, le champion de France avec Lyon a pour mission de qualifier les Bleus pour l’Euro au Portugal. Et il doit d’abord remplacer ceux qui viennent de quitter la sélection, comme Frank Leboeuf, Alain Boghossian, Christian Karembeu, Christophe Dugarry ou Youri Djorkaeff. Contre la Tunisie le 21 août à Radès, il lance Sidney Govou en attaque aux côtés de Thierry Henry et titularise Grégoy Coupet et Eric Carrière. Parmi les nombreuses rotations après la pause, on aperçoit Bruno Cheyrou ou Jérémie Bréchet (encore un Lyonnais, le quatrième) mais ça ne suffit pas pour gagner le match, puisque à l’ouverture du score par Mikael Silvestre, Ali Zitouni a répondu vingt minutes plus tard (1-1). Avec seulement sept champions du monde (dont quatre titulaires), Santini tente un large renouvellement/ Mais si Govou aura une belle carrière (49 sélections jusqu’en 2008, dont 22 titularisations et 10 buts), Bruno Cheyrou n’ira pas loin (3 capes), pas plus que Jérémie Bréchet (3) ou Philippe Christanval (5). C’est avec une large ossature de 1998-2000 que Jacques Santini atteindra le quart de finale de l’Euro 2004 : sept champions du monde titulaires (Barthez, Thuram, Lizarazu, Zidane, Pirès, Henry et Trezeguet) et quatre autres dont Gallas, qu’il a lancé, et Silvestre, Makélélé et Dacourt, qui étaient là avant lui.

2004 : le troisième homme et la reconstruction manquée

Il y a eu un précédent à 2021, c’est l’Euro 2004. Champions d’Europe en titre, vainqueurs des deux dernières Coupes des Confédérations, les Bleus ont encore les fesses rougies par la déroute coréenne de 2002, mais ils sortent d’une année 2003 brillante avec 13 victoires consécutives, un record de buts marqués (40 en 14 matchs, pour seulement 6 encaissés), une masterclass en novembre à Gelsenkirchen contre l’Allemagne en amical (3-0) et une série impressionnante de 11 matchs consécutifs sans encaisser le moindre but. Tout le monde est là, y compris Pirès et Zidane qui ont beaucoup manqué deux ans plus tôt, et on va voir ce qu’on va voir.

Le meilleur est au début, comme en 2021, donc. Menés par une belle équipe d’Angleterre (but de Lampard), les Bleus frôlent le gouffre (pénalty de Beckham repoussé par Barthez) et arrachent la victoire dans le temps additionnel par un doublé de Zidane (coup franc, puis pénalty). La cote des Bleus, déjà haute, monte en flèche mais dès le match suivant face à la Croatie, tout se grippe. Le nul (2-2) est même chanceux (contrôle de la main de Trezeguet sur le but de l’égalisation) et signe la fin de carrière internationale d’un Marcel Desailly dépassé. L’équipe de France bat la Suisse (3-1) et se qualifie mais chute en quart de finale contre une équipe grecque que personne n’avait vu venir, et à qui un seul but suffit (tête de Charisteas) pour verrouiller le match et éliminer les tenants du titre.

Jacques Santini quitte son poste de sélectionneur, mais c’était déjà prévu avant : contrarié de ne pas avoir reçu d’offre de prolongation de son contrat avant le tournoi, Santini avait annoncé avoir signé à Tottenham, sapant ainsi toute autorité sur une équipe en autogestion.

Dès le tournoi terminé, la lutte pour la succession est ouverte. Jean Tigana est sur les rangs, Laurent Blanc aussi. Mais, appuyé par Aimé Jacquet, c’est un troisième homme que Claude Simonet, le président de la FFF, sort du chapeau le 12 juillet. Raymond Domenech, sélectionneur des Espoirs depuis 1993, est promu chez les A. C’est une surprise car lui-même, candidat recalé en 2002, avait affirmé ne plus l’être en 2004.

Contre la Bosnie à Rennes le 18 août, en l’absence de Desailly, Lizarazu, Thuram, Makelele et Zidane qui ont annoncé la fin de leur carrière internationale, Domenech innove en titularisant quatre nouveaux (Squillaci, Abidal, Mavuba et Evra), Givet entrant en deuxième période. Le match n’est pas convaincant : les Bleus ouvrent rapidement le score par Luyindula mais se font rejoindre une demi-heure plus tard, alors que dans l’intervalle Henry a manqué un pénalty.

Des quinze joueurs utilisés, sept seulement iront à la Coupe du monde deux ans plus tard. Et ils iront après le retour en grande pompe de Zidane, accompagné à sa demande de Thuram et Makélélé en août 2005. Dès cet instant, les bases du mandat de Domenech, qui allait durer cinq ans de plus, étaient sapées.

2008 : plus dure sera la chute

Comment le conseil fédéral a-t-il pu penser que conserver Raymond Domenech après le fiasco de l’Euro 2008 serait une bonne idée ? L’après Coupe du monde 2006 n’a été qu’une inexorable glissade, la belle victoire contre l’Italie en septembre (3-1, doublé de Govou) ayant joué le rôle de l’arbre cachant la forêt.

Privé de Zidane et Barthez, Domenech tente de rajeunir l’effectif en y intégrant la fameuse génération 1987 en commençant par Karim Benzema et Samir Nasri (en mars 2007) puis Hatem Ben Arfa (octobre). C’est peu dire qu’il sera déçu. Mais l’essentiel est acquis, à savoir un billet pour l’Euro 2008. Là, les Bleus jouent clairement de malchance en tirant le groupe de la mort (Roumanie, Pays-Bas, Italie). Trezeguet est écarté, Henry boude, Vieira est blessé et Thuram au bout du rouleau. Résultat, une élimination sèche (avec un cuisant 1-4 contre les Néerlandais) et un sélectionneur qui demande sa compagne en mariage plutôt que de chercher des raisons à l’échec.

Soutenu contre toute attente par le président de la FFF Jean-Pierre Escalettes, le vice-président Noël Le Graët et le DTN Gérard Houllier, Raymond Domenech est maintenu à son poste par le conseil fédéral avec 18 voix pour et une absention le 3 juillet 2008.

Le 20 août, c’est donc reparti pour un tour (le dernier) avec un amical à Göteborg contre la Suède. Après les arrêts de Thuram, Coupet et Makélélé, Domenech fait dans le classique en ne lançant qu’un seul débutant, Yoann Gourcuff (dans le temps additionnel). Mandanda est titulaire, Mexès retrouve une place en défense centrale et Lassana Diarra, remplaçant à l’Euro, est de retour. Les Bleus l’emportent (3-2) grâce à un doublé de Govou.

Mais là encore, comme en septembre 2006, ce n’est qu’illusion. Les Bleus souffrent le martyr pour arracher une qualification peu honorable en sortant l’Irlande en barrages (avec la fameuse main de Henry sur le but égalisateur de Gallas au retour) et l’équipe se déchire autour de conflits personnels dont Gourcuff est la cible.

2010 : un président à la rescousse

On ne reviendra pas sur l’espèce de krach sportif et moral que représente Knysna. Comme l’a dit Raymond Domenech, qui a vécu ça presque en spectateur (voire en assistant, quand il a lu le communiqué des joueurs en grève), « c’est le seul moment où ils ont vraiment joué collectif ». Mauvais choix sur les hommes (Henry qui voulait y aller et qui n’a rien fait, Anelka qui ne voulait pas et qui a torpillé le groupe, incompatibilité entre Gourcuff, Ribéry et Malouda, Evra capitaine en perdition…), absence de capacité de réaction de l’encadrement fédéral en situation de crise, politiques qui s’en mêlent (Yade, Bachelot, Sarkozy) : tout était réuni pour un épouvantable vaudeville, une sorte de France-Bulgarie 1993 au cube.

Cette fois, évidemment, Raymond Domenech s’en va (il était de toute façon en fin de contrat) et pour le remplacer, c’est Laurent Blanc qui est appelé. Auréolé de son statut de président (son surnom à l’époque de 1998), d’une carrière brillante en club et de débuts fulgurants comme entraîneur (champion de France 2009 avec Bordeaux), Blanc semble être le profil idéal pour redonner un peu de dignité à une équipe de France à la dérive.

Blanc sélectionneur, c’est une idée qui vient de loin : en 2002, alors qu’il jouait encore, Domenech voulait en faire son adjoint. En 2004, il est candidat, mais perd son duel avec Tigana au profit de Domenech, justement. Le 2 juillet 2010, son heure est venue. Mais très vite il sait que pour son premier match sur le banc contre la Norvège en août, il devra se passer de tous ceux qui étaient sur la liste de l’Afrique du Sud.

D’où une compo parfaitement baroque avec six débutants titulaires et deux autres entrés en jeu, dans une équipe où Samir Nasri (16 sélections) et Philippe Mexès (14) faisaient office de vétérans. Il y avait quand même un futur champion du monde dans le lot (Adil Rami) mais aussi d’autres qui ne feront que passer, comme Guillaume Hoarau, Charles N’Zogbia ou Aly Cissokho. De toutes façons, dès le match suivant contre la Biélorussie, Blanc en revient à du classique, hormis Ribéry et Anelka, suspendus pour des durées plus ou moins longues (5 matchs pour le premier, 18 pour le second).

Après des débuts ratés (deux défaites pour les deux premiers matchs), les Bleus de Blancs enchaînent une série d’invincibilité conséquente qui les mènera jusqu’à l’Euro 2012.

2012 : alors essayons un autre champion du monde !

Perdre en quart de finale de l’Euro contre le champion du monde et d’Europe en titre, ce n’est pas déshonorant, surtout pour une équipe qui restait sur deux échecs consécutifs au premier tour. Mais une victoire contre l’Ukraine ne suffit pas à effacer la médiocrité du match initial face aux Anglais (1-1) ou la défaite contre la Suède de Zlatan (0-2). Surtout, l’élimination par l’Espagne laisse un goût désagréable de résignation, d’absence de combativité (Malouda qui se replie en marchant sur le premier but espagnol) et d’erreurs tactiques (deux arrières droits alignés l’un devant l’autre).

Laurent Blanc n’est donc pas maintenu à son poste par Noël Le Graët qui a succédé à Jean-Pierre Escalettes à la tête de la FFF. C’est Didier Deschamps qui lui succède, convoqué par Le Graët le lendemain même de la démission de Blanc. Après une semaine de réflexion, il donne son accord et débute le 15 août 2012 au Havre contre l’Uruguay (0-0), un match que tout le monde a oublié. Sauf sans doute Mapou Yanga-Mbiwa, débutant titulaire dans l’axe de la défense, et les remplaçants Christophe Jallet et Etienne Capoue, sélectionnés eux aussi pour la première fois. Deux futurs champions du monde sont là : le gardien Hugo Lloris et l’avant-centre Olivier Giroud, qui retrouveront l’Uruguay six ans plus tard sur la route de la deuxième étoile.

Avec le recul, on mesure évidemment à quel point ce choix a été le bon, mais il a fallu attendre une quinzaine de mois avant de commencer à s’en douter : le temps que les Bleus se sortent d’une année 2013 mal embarquée : quatre défaites, cinq matchs consécutifs sans but marqué et un barrage aller raté dans les grandes largeurs à Kiev contre l’Ukraine (0-2). C’est dans la gestion du match retour, quatre jours plus tard, que Deschamps retourne le grand public et embarque son équipe dans une aventure par paliers (quart de finale en 2014, finale en 2016, victoire en 2018) si belle qu’on l’a crue comparable à celle de la génération 1998-2000, quand il était capitaine.

2021 : et maintenant, on fait quoi ?

Le sixième échec des Bleus au 21e siècle n’aura pas coûté sa place à Didier Deschamps, dont le seul précédent dans la période récente est donc Raymond Domenech à l’été 2008. On lui souhaite évidemment une fin plus heureuse, d’autant que l’échéance est proche, puisque la Coupe du monde 2022 aura lieu dans seulement quinze mois.

Mais les tensions apparues en juin dernier à l’Euro entre Mbappé et Giroud (qui ont entraîné la mise à l’écart de ce dernier), entre Lloris et Deschamps, entre Pogba et Rabiot ont fissuré l’image d’un groupe solide et uni, malgré le retour plutôt réussi de Karim Benzema, auteur de quatre buts à l’Euro.

Les prochains matchs diront justement si ce retour est le début d’une ère nouvelle ou si c’était finalement une mauvaise idée qui a contribué à déstabiliser le groupe plutôt que de le renforcer.

pour finir...

Merci à Karim Hameg pour avoir signalé deux erreurs concernant Lassana Diarra en 2008 et Roger Lemerre en 2002.

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