En 1919-1920, comment l’équipe de France a redémarré

Publié le 24 avril 2020 - Matthieu Delahais, Pierre Cazal

Après cinq ans d’interruption, dans un pays ravagé par la Grande Guerre, le football français se structure enfin avec la création en avril 1919 de la FFFA. Pendant 18 mois, jusqu’aux JO d’Anvers, l’équipe de France est un chantier permanent. En voici l’histoire.

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Lorsque la guerre se termine le 11 novembre 1918, les Tricolores n’ont plus joué depuis le 31 mai 1914 (Défaite 1-5 face à la Hongrie à Budapest). Le premier match suivant le conflit est joué le 9 mars 1919 (Belgique, 2-2). Les pays vainqueurs organisent également un tournoi interallié (juin 1919) où la France est finaliste. Cette belle réussite incite à l’optimisme et la toute nouvelle FFFA va essayer de relancer l’équipe de France, en se basant sur quelques anciens pour encadrer la jeune génération.

Quatorze joueurs d’avant 14

La Grande Guerre a fait de nombreuses victimes, dont vingt-deux Tricolores. A cela s’ajoutent des joueurs qui ont du mettre un terme à leur carrière sportive pour cause de blessure, comme le gardien Zacharie Baton (4 sélections entre 1906 et 1908) amputé du bras gauche.

Un certain nombre d’autres sont également rattrapés par la limite d’âge. Des joueurs comme Etienne Jourde (né en 1890, 8 sélections) ou Jean Ducret (né en 1887, 20 sélections) auraient sans doute dû avoir une carrière plus riche si la guerre n’avait pas eu lieu.

Seuls 14 joueurs ayant évolué avant la guerre auront le plaisir de retrouver la sélection après le conflit. Cinq d’entre eux ne feront qu’une seule apparition (Maurice Gastiger, Charles Montagne et Gabriel Hanot en 1919, Maurice Mathieu et Marcel Triboulet en 1920). Avec 4 nouvelles capes, Albert Parsys (1920), Emilien Devic (1919-1921) et Albert Jourda (1921-24) travailleront au redémarrage de l’équipe de France, tandis que Albert Gravier (5 nouvelles sélections entre 1923 et 1924) et Juste Brouzes (5 apparitions entre 1923 et 1928) reviendront plus tard sans s’imposer de façon durable.

Les anciens qui seront les acteurs de la relance sont Lucien Gamblin (11 matchs entre 1919 et 1923), Henri Bard (15 rencontres supplémentaires jusqu’en 1923) et surtout Raymond Dubly (24 capes entre 1920 et 1925). Il convient également d’ajouter Pierre Chayriguès, gravement blessé lors de la finale des Jeux interalliés, qui connaîtra les honneurs de la sélection à 10 nouvelles occasions mais ne reviendra qu’en 1923.

1919, porteur d’espoirs

Le 9 mars 1919, les Tricolores (avec un étrange maillot rayé bleu blanc rouge) jouent leur premier match officiel depuis la fin de la guerre. La rencontre ne débouche sur pas grand-chose. Menée 0-2, la France ne doit son salut qu’à un doublé tardif de Hanot (80e et 89e) qui joue là sa dernière rencontre en sélection, tout comme Triboulet et Mathieu. Ce sera aussi la seule apparition pour le gardien, Maurice Frémont, et l’attaquant Paul Faure. Les autres joueurs sont Gamblin, Devic et Bard, déjà présents avant le conflit ainsi que François Hugues et Louis Darques qui débutent en sélection à cette occasion. Ce match est le dernier géré par le CFI (Comité Français Interfédéral). Un mois plus tard, la FFFA (Fédération Française de Football Association) est créée et unie enfin toutes les familles du football français.


 

Au mois de juin, un tournoi interallié est organisé à l’initiative des Américains, au bois de Vincennes où ils ont construit un stade (Pershing). Cette compétition, qui se déroule en même temps que le Traité de Versailles, n’est pas reconnue par la FIFA, ni par FFFA puisque c’est l’armée qui a fait la sélection. Lors de la finale perdue 3-2 contre la Tchécoslovaquie le 29 juin, les Français sont privés de Mathieu, Hugues, Gravelines, Darques et Dubly, tous blessés. Chayriguès défend les buts, protégé par Gamblin et Langenove. Le milieu s’articule autour de Lhermitte, Devic et Pierre Gastiger. Les cinq attaquants sont Lesur, Deydier, Paul Nicolas, Rénier et Maurice Gastiger.

C’est la meilleure performance d’une équipe de France, même s’il ne s’agit pas de l’équipe officielle. L’organisation militaire de ce tournoi explique cette réussite. Les joueurs ont été rassemblés 15 jours avant le début de la compétition. Ils ont pu suivre une préparation athlétique. Les anciens, comme Dubly et Lesur, restés prisonniers de guerre pendant 4 ans et libérés lors de l’armistice, ou Gamblin, qui a passé quatre années au front et n’a jamais participé aux France-Belgique pendant la guerre, en profitent pour retrouver la forme. Gravelines, Chayriguès, Poullain, Devic et Gastiger, tous internationaux avant la guerre, font aussi leur retour et encadrent la jeune génération (Darques, Hugues, Rénier, Langenove, Nicolas). Louis Darques, âgé de tout juste 21 ans, avait défendu les couleurs nationales à trois reprises (1915, 1916 et 1918) lors de matchs non officiels joués contre la Belgique pendant la guerre, tout comme Paul Nicolas en 1917. L’amalgame entre ces quelques cadres et ces jeunes prometteurs semble ouvrir de belles perspectives pour l’équipe de France.

La relance de 1920

Quatre rencontres sont prévues au cours des premiers mois de 1920 : l’Italie en janvier, la Suisse en février, la Belgique fin mars et l’Angleterre début avril. Le 25 décembre 1919, un match entre les Probables et les Possibles est organisé pour préparer au mieux le déplacement en Italie. Une troisième équipe, qualifiée de Remplaçants, est même convoquée. Pourtant, avant même le match, de nombreux joueurs se déclarent indisponibles, et seuls 20 seront présents sur les 33 invités. Le retour à la vie civile pour de nombreux joueurs et ce premier Noël à passer en famille expliquent sans doute ce grand nombre de défections. L’organisation n’est pas non plus à la hauteur, puisque le coup d’envoi est retardé de 45 minutes. De plus, il n’y avait pas assez de maillots prévus. Ce match, où les équipes sont contraintes d’évoluer à 10 en 2-2-5 puisqu’il n’y a que 20 joueurs présents, voit la victoire des Probables 2-0. Elle permet au défenseur Pierre Mony de se mettre en évidence, tout comme les demis François Hugues et Maurice Gravelines (même s’ils n’étaient que deux pour occuper les trois places en milieu de terrain) et les attaquants Henri Bard et Raymond Dubly.

Les matchs face aux voisins européens ont apporté des résultats mitigés : défaites face à l’Italie (4-9) et l’Angleterre (0-5), victoires face à la Suisse (2-0) et la Belgique (2-1). Le principal point positif est la constitution d’une ligne d’attaque cohérente, autour de Jules Devaquez (1 but), Paul Nicolas (4 buts), Raymond Dubly (1 but) et Henri Bard (2 buts). Ils participent tous aux quatre rencontres, sauf Bard, non appelé lors du dernier match pour raison de famille (le match s’est déroulé le lundi de Pâques). Par contre, les choses sont plus compliquées derrière avec de nombreux changements. Le poste de gardien, où Pierre Charyriguès auraient dû prétendre au poste de titulaire sans sa blessure, se partage entre Maurice Cottenet (titulaire contre l’Italie et l’Angleterre) et Albert Parsys (retenu face à la Suisse et la Belgique).

Trois paires d’arrières sont testés : les frères Mony (Pierre et Alexis) face à l’Italie, Alfred Roth (appelé pour suppléer Maurice Mathieu forfait de dernière minute) et Edouard Baumann (qui remplace Gamblin retenu pour des obligations professionnelles) face à la Suisse et enfin Marcel Vanco et Lucien Gamblin pour les deux dernières rencontres. 8 joueurs sont testés au milieu, dont Emilien Devic face à l’Italie qui sera également testé en pointe lors de la rencontre face aux Anglais, mais François Hugues est le seul à participer à trois rencontres. Bref, si l’attaque semble trouver ses marques, les lignes arrières restent dans le flou le plus complet.

Paris contre le Nord, l’Est opposé au Midi

Cette campagne est marquée par de nombreux déboires, qui montrent un manque de professionnalisme (encore inexistant à cette époque), aussi bien des joueurs que de l’encadrement. Les déplacements en Suisse et surtout en Italie sont très mal gérés. Le 20 janvier, les joueurs n’arrivent à Milan qu’une heure et demie avant le début du match et après un interminable voyage en train. De nombreux forfaits et absences sont à déplorer (Parsys, Langenove et Darques contre l’Italie, Mathieu, Gamblin et Gravier contre la Suisse, Darques contre la Belgique et enfin Cousinard, Gravelines et Gastiger contre l’Angleterre). Certaines sont dues à des raisons professionnelles, puisque les joueurs restent amateurs, d’autres à des raisons personnelles, notamment pour la rencontre face à l’Angleterre jouée le lundi de Pâques.

En parallèle, des matchs avec équipes régionales ont été organisés, mais sans que cela ne donne de résultats. D’abord, le 15 février, deux rencontres sont prévues. L’une oppose Paris au Nord, la seconde voit une autre sélection parisienne se déplacer en Normandie. L’opposition entre Paris et le Nord divise les forces de la sélection, puisque tous les joueurs ayant joué les 4 matchs de début 1920 viennent de ces régions à deux exceptions près : Albert Rénier (Le Havre, titulaire contre l’Italie) et Alfertd Roth (Strasbourg, supplément de dernière minute face à la Suisse). On trouve du côté parisien Gamblin, Mistral, Hugues, Triboulet, Bard, Nicolas, Darques et Devaquez, tandis que Parsys, Mony, Montagne, Gravelines ou encore Dubly défendent les couleurs nordistes. Dans la seconde rencontre, des seconds couteaux (Baumann, Gravier, Bonnardel, Batmale et Gastiger) sont présents dans l’équipe parisienne tandis qu’aucun normand ne sort du lot.

A la mi-mai, deux autres rencontres sont organisées. En effet, tous les joueurs de l’équipe de France viennent de la région parisienne ou de clubs nordistes (Olympique Lillois, Racing Club de Roubaix). La FFFA espère donc mettre en valeur de nouveaux talents en faisant monter sur Paris les meilleurs joueurs des régions françaises qu’il est habituellement plus difficile de superviser en raison de l’éloignement géographique. Le premier match voit la victoire de l’Est sur le Midi (2-1). Seul Roth est apparu un jour en équipe de France (équipe de l’Est). Dans le second match, l’équipe de France écrase l’Ouest (8-2). L’objectif louable de superviser de nouveaux joueurs est donc un échec, puisqu’aucun nouveau talent n’a pu se révéler au cours de ces deux matchs.

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La déception des JO d’Anvers

Lors des Jeux olympiques, la France est éliminée en demi-finale par la Tchécoslovaquie (1-4) le 31 août 1920, après avoir battu l’Italie en quart (3-1) deux jours plus tôt. Au premier tour, la France bénéficie du forfait de la Suisse et « gagne sans mal son match éliminatoire » comme le fait remarquer non sans humour Armand Massard, journaliste à l’Auto.

Les Français alignent deux fois la même équipe. Parsys dans les buts, Huot et Baumann en défense, Batmale, Hugues et Petit au milieu, Devaquez, Boyer, Nicolas, Bard et Dubly en attaque. Il est troublant de remarquer que la ligne arrière n’a jamais été testée précédemment et que Huot a débuté en sélection lors du match face à l’Italie (il était toutefois présent dans la sélection de l’Ouest lors des rencontres de la mi-mai).

Au milieu, Petit est également novice, mais il évolue en Espagne (Real Union Irun) et avait pris une licence dans un club français pour pouvoir participer aux Jeux. Ses deux comparses de l’entre jeu (Batmale et surtout Hugues) avaient participé en partie aux matchs de début d’année. Enfin, la ligne d’attaque est composée du quatuor qui avait ses preuves, complétée par un petit nouveau, Jean Boyer, qui allait devenir un membre régulier du club France (15 sélections et 7 buts jusqu’en 1929).

Le travail de début d’année et la revue d’effectif ne sont donc pas couronnés de succès lors de ces Jeux. Les certitudes offensives sont contrebalancées par les incertitudes sur les lignes arrières. L’état d’esprit de l’équipe laisse aussi à désirer, puisque les Français ne joueront le match de classement pour la troisième place, beaucoup de joueurs étant repartis à l’issue de la demi-finale.

L'équipe de France aux JO de 1920.
L’équipe de France aux JO de 1920.
Debout, de gauche à droite : Huot, Baumann, Batmale, Parsys, Barreau (sélectionneur), Petit, Hugues. Accroupis : Devaquez, Boyer, P.Nicolas, Bard, Dubly.

Un exemple du travail du comité de sélection : le choix du demi-centre

Dans le système du 2-3-5, le poste de demi-centre est la clé de voûte du jeu défensif et offensif. Aussi, examiner la façon dont le comité de sélection de la FFFA a choisi son demi-centre en janvier 1920 est un bon révélateur de sa méthode d’ensemble pour rebâtir une équipe à l’issue de la césure de près de 6 années depuis mai 1914.

Le titulaire indiscuté d’avant-guerre, Jean-Baptiste Ducret (1887-1975), 20 sélections sur 21 possibles de 1910 à 1914, est toujours disponible. Mais il a dépassé 32 ans en janvier 1920, et son amateurisme marron affiché agace. Il a encore joué contre la Belgique en 1918 (2-5), mais, démobilisé dès avril 1919 (il était détaché à l’usine Clerget-Blin de Levallois qui fabriquait des moteurs d’avion), il n’a pas joué le tournoi Interallié, n’étant plus sous les drapeaux. Les sélectionneurs décident de se passer de lui.

Sa doublure depuis 1913 était René Lhermitte (1892-1945). Plus brouillon que Ducret, mais inépuisable, Lhermitte a profité de l’absence de Ducret pour jouer les 4 matchs du tournoi Interallié avec brio. Mais il n’est pas retenu. Son départ de Paris (et du CAP) pour Roubaix (et le Stade Roubaisien) est-il à l’origine de cette disgrâce ? On ne le sait, mais la carrière en bleu de Lhermitte s’arrête avant d’avoir commencé !

Les sélectionneurs lui préfèrent le vétéran Louis Olagnier (1889-1964) pour aller affronter les Italiens à Milan. Néophyte de plus de 30 ans, sans aucune expérience internationale, Olagnier, bon joueur d’un modeste club (le CA 14ème, puis le Gallia) est lent : il est dépassé par le rythme échevelé d’un match où 13 buts seront inscrits (4-9) ! Pire, mécontent des conditions du voyage, il trouve le moyen de fomenter un mouvement de grève, vite étouffé ! La conséquence en est qu’il sera blacklisté.

François Hugues et la concurrence de René Petit

Faute de grives, les sélectionneurs se tournent alors vers François Hugues (1896-1965), qui est un demi-aile. Rapide et endurant, il a plus le profil de Lhermitte que celui de Ducret, mais Paul Nicolas est là avec Henri Bard pour distribuer le jeu. Pilote de chasse, fait prisonnier en juillet 1918 après avoir réussi à poser son appareil malgré une balle dans la jambe, Croix de guerre, Hugues est un élément dynamique. Il sera retenu à l’aile aux côtés de Lhermitte lors des matchs du tournoi Interallié, et le duo n’est sans doute pas pour rien dans le fait que 19 buts ont été marqués et 3 seulement encaissés, contre les Tchèques en finale et dans des conditions particulières (épaule fracturée de Chayriguès).

Il est placé au centre en 1920 contre la Suisse, la Belgique et l’Angleterre, sans démériter, mais les sélectionneurs ayant récupéré une pépite, René Petit, il est renvoyé à son poste d’origine de demi-aile lors des jeux d’Anvers. Petit reparti en Espagne, sans espoir de retour (son cas sera analysé à part dans un article ultérieur), les sélectionneurs se retrouvent gros Jean comme devant, et relancent la solution Hugues demi-centre, faute de mieux. Celui-ci s’affirmera au Red Star à ce poste bien que n’étant pas un meneur de jeu , mais plutôt un défenseur-relanceur. Il le conservera durablement (24 sélections jusqu’en 1927), mais sans égaler l’influence exercée sur le jeu par Ducret, qui reste le modèle du poste.

En conclusion, le choix du comité de sélection de tourner le dos aux éléments de qualité expérimentés se retourna contre eux. L’analyse pourrait être répétée pour tout le secteur défensif, qui sera le maillon faible de l’équipe de France des années 20.

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