Les premiers Bleus : Fernand Desrousseaux, gardien introuvable

Publié le 19 mai 2023 - Pierre Cazal

Longtemps ignoré des archives, puis doté d’un état-civil erroné, Fernand Desrousseaux, sixième gardien de l’équipe de France, méritait bien d’être réhabilité. Il n’hésitait pas en effet à jouer très loin de son but, jusqu’au rond central.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
6 minutes de lecture

Fernand Desrousseaux, qui a gardé les buts de l’équipe de France dite « B » en 1908 face au Danemark (0-9), fait partie de ces Bleus statistiquement problématiques dont il a fallu actualiser les données, et même réactualiser jusque dans cet article, qui va corriger ses dates de naissance et de décès !

Si sa participation aux Jeux olympiques a été mentionnée dans les journaux de 1908, ne laissant aucune place au doute, elle n’a pas été rapportée dans les annuaires fédéraux, de l’USFSA pour commencer, ni de la FFF ensuite, de sorte que, le temps passant, cette sélection a été oubliée. Oubliée de tous les annuaires de la FFF jusqu’en 1960 et même au-delà : il n’y apparaissait qu’un seul Desrousseaux, à savoir Marcel, 2 sélections en 1935 et 1937 ; oubliée des annuaires officieux, comme le célèbre Almanach de Rossini, des années 1930 ; oubliée aussi de Football 54, le Cahier de l’Equipe dressant le premier dictionnaire des internationaux.

Et puis elle réapparaît, de façon inattendue, dans Football 57, qui, le premier, publie les compositions des équipes ayant joué les Jeux olympiques de 1908. Pour quelles raisons ces deux équipes (malheureuses, punies 0-9 et 1-17 par les Danois) ont-elles été systématiquement ostracisées pendant 50 ans, je n’ai pas la réponse, mais le fait est là. Ce sont des statisticiens de L’Equipe qui ont fait l’effort de fouiller les vieux numéros de L’Auto (à l’époque pas numérisés, il fallait tout dépouiller à la main rue du Faubourg-Montmartre, dans un étroit local aveugle, et j’en sais quelque chose, puisque je l’ai encore fait moi-même en 1991…) et qui ont retrouvé les compositions des équipe. Pas totalement exactes, je précise, parce que c’étaient les équipes prévues la veille des matchs, pas celles qui ont effectivement joué, risque dont se méfient les statisticiens chevronnés.

  • L’US Tourcoing le 1er mai 1910/ Fernand Desrousseaux est le deuxième debout en haut à gauche, en costume (agence Rol, BNF Gallica)

Et voilà donc F. Desrousseaux qui vient prendre place aux côtés de Marcel Desrousseaux dans les listings des Bleus. Les annuaires fédéraux, officiels, eux, ne peuvent longtemps ignorer cette trouvaille, et intègrent donc F. Desrousseaux (et les dix autres néophytes également ignorés, dont Albert et Dastarac, dont il a déjà été parlé, et les huit autres, dont il sera parlé plus tard). Et puis, ô surprise, dans les années 1980, F. Desrousseaux devient …François Desrousseaux ! On a retrouvé le prénom ! Qui ? Comment ? Motus. Ce sera donc François.

Entre temps, je commence mes recherches, à la demande de la FFF, et je trouve sans grande peine que François est en fait Fernand, ce prénom apparaît partout dans L’Auto, il ne peut subsister de doute. Je corrige, mais je ne dispose pas des données d’état-civil complètes ; la date de décès est indiquée dans France-Football Officiel, en 1956 (ou plus exactement la date des obsèques, qui se révèlera postérieure de trois jours par rapport au décès).

Et puis je découvre, sur Wikipedia, ce qui s’y trouve encore : 3 janvier 1885 à Constantine (Algérie) pour la naissance, 18 octobre 1956, sans indication de lieu, pour le décès ; en général, il y a un lien vers les documents d’état-civil, sur Wikipedia ; là, pas. Admettons…

Eh bien non, on a tort d’admettre ! Fernand Desrousseaux n’est pas né en 1885, et encore moins en Algérie (il faut dire que c’était quand même curieux, et je ne suis pas le seul à m’en être étonné, d’autant qu’il était impossible d’en trouver la preuve), et, s’il est bien mort en 1956, ce n’est pas en octobre, mais… en août, ce à quoi il fallait s’attendre, puisque la date des obsèques indiquée par FFO était le 29 août !

L’art et la méthode des recherches d’état-civil

Avant de vous révéler les dates exactes (et vérifiées à l’état-civil) — il faut bien un peu de suspens ! — une petite digression pour expliquer le problème statistique posé par les Bleus de l’époque amateur, 1904-1932. J’en conviens, les lacunes et les erreurs (j’en ai moi-même relayées il y a 30 ans) donnent une impression de « pas sérieux » ; il faut constamment remettre en question, enquêter, corriger, et c’est ce que je fais actuellement. Alors que je travaille depuis plus de 30 ans sur ce sujet, j’en viens encore à découvrir de nouvelles données… comme c’est le cas pour Fernand Desrousseaux.

Le péché est en fait originel : l’USFSA publiait certes un annuaire, mais où il manquait les trois premiers matchs des Bleus, plus les deux matchs des JO 1908, soit 5 matchs sur 12 ! Et pas question d’indiquer les prénoms des joueurs ; ils devaient figurer sur les licences, de même que les dates de naissance, mais aucun registre n’en a été conservé, l’indifférence est totale par rapport à ces données statistiques. Quand on pense qu’il a fallu attendre 1954 pour qu’un dictionnaire statistique des Internationaux paraisse, on mesure à quel point le souci de mémoire était faible, tant du côté fédéral que de la presse.

Le résultat, c’est l’oubli, et, en corollaire, la difficulté de retrouver ces informations quand on se met enfin à les rechercher, 50 ans plus tard. A titre d’exemple révélateur, le Dictionnaire de Football 54, qui portait sur 414 Bleus, comporte, tout d’abord, sept « faux » internationaux, qui n’ont jamais connu de sélection (pour les mordus : Andoire, Cordon, Cremer, P. Gastiger, Haas, Jourdan, Ottavis) et en oublie sept « vrais ». Côté prénoms, il en manque 72 pour les 123 Bleus d’avant la Guerre de 1914, plus 89 autres pour ceux d’avant 1940 (environ 200 de plus). A peine 8 dates de naissance pour ceux d’avant 1914, 58 pour ceux d’avant 1940.

Il a donc fallu en retrouver le maximum, ce qui était très ardu avant Internet et la numérisation croissante des archives, tant de presse que d’état-civil, plus aisé aujourd’hui, ce qui explique les corrections incessantes des ouvrages actuels. En effet, on parvient à trouver en 2023 des informations inaccessibles auparavant. Les lecteurs fidèles de Chroniques bleues savent que je l’ai fait pour les Du Rhéart, Dhur, Berg, entre autres, et je continue ici pour Desrousseaux le Bleu oublié jusqu’en 1957, qui ne se prénommait pas François et n’était pas né à Constantine en 1885 !

Dans l’état-civil de Tourcoing

C’est un article paru dans L’Auto, en 1907, présentant l’équipe de l’US Tourcoing, qui m’a conduit sur la bonne piste. Il y est écrit : « Desrousseaux Fernand, qui a 28 ans, est le doyen des footballeurs du Nord, jouant en équipe première depuis la fondation de l’UST en 1898 ». 1907 moins 28, ça ne fait pas 1885, mais 1879, il fallait donc chercher à l’état-civil de Tourcoing cette année-là. Et en effet : Fernand Louis Adolphe Desrousseaux est né le 23 octobre 1879.

Mieux, l’acte comporte la mention marginale du décès, survenu le 26 août 1956 à Tourcoing également ; or, cette date est compatible avec celle des obsèques signalée dans FFO, comme étant le 29 août, à l’église Saint-Christophe de Tourcoing. Cela authentifie, s’il en était besoin, l’identification de ce Fernand Desrousseaux comme étant bien l’ancien international.

Fondateur de l’US Tourquennoise en 1898

Il est temps, maintenant, d’évoquer plus en détail Fernand Desrousseaux. Comme pas moins de cinq autres Bleus, il a été initié au football au Lycée de Tourcoing par un professeur d’anglais, Achille Beltette (1864-1932), qui a créé l’équipe scolaire de la « Jeune France » et, son baccalauréat en poche, il a créé un club non scolaire, avec un surveillant du même lycée, Albert Fromentin : l’US Tourquennoise, en mai 1898 (Achille Beltette n’en est pas le premier président, mais il le deviendra plus tard).

Ce club a joué le championnat du Nord, avec l’Iris Club de Lille, et le Racing Club de Roubaix, dès 1899. Fernand Desrousseaux y jouait les utilités, tout en s’orientant également vers l’arbitrage, jusqu’à ce que, en 1905, le club ait soudainement besoin d’un gardien de but. En raison, peut-être, de sa grande taille (1m76, soit 13 centimètres de plus que la taille moyenne à l’époque), de sa corpulence et de son sens du commandement, de sa voix forte, Fernand Desrousseaux prend le poste.

Pas de formation spécifique alors : on se débrouille ! Il a 26 ans, est considéré alors comme un vétéran (Robert-Guérin, président un temps de la FIFA, avait créé un club de « Vieux Débris » -sic- à Paris, pour les joueurs de plus de 25 ans…), mais il dépanne et donne même satisfaction, puisqu’il gardera le poste jusqu’en 1909, pour le céder ensuite à un plus jeune, Albert Parsys.

Un gardien qui avance jusqu’au milieu de terrain

En avril 1909, on peut lire la notation suivante, sur L’Auto : « Desrousseaux inaugure un nouveau genre de goal-keeping, en gardant son but de la moitié du terrain, c’est une façon élégante, mais dangereuse. » Novateur, Desrousseaux : Manuel Neuer n’a donc rien inventé ! Ou atypique, si l’on préfère. Gardien avancé (il a joué dans le champ), mais pas « volant », le plongeon est encore rare, en France : le gardien est en fait considéré comme un arrière qui a le droit de se servir de ses mains.

Comment Fernand Desrousseaux s’est-il retrouvé sélectionné ? En fait, par défaut. Il n’a jamais été retenu avant les Jeux olympiques de 1908 : Baton, Tilliette, Renaux, Vinche, Beau sont devant lui, mais les forfaits sont nombreux, et Desrousseaux est disponible et volontaire, donc, il va dépanner, encore une fois ! Le résultat sera catastrophique, mais son rival nordiste Tilliette fera pire dans les cages de l’équipe A : il laisse passer 17 buts, contre à peine 9 pour Fernand ! Pas sûr qu’il en ait été traumatisé, puisque la presse anglais note, horrifiée, que les Français grillent une cigarette pendant la pause, au bord du terrain !

Fernand Desrousseaux laisse donc sa place à Parsys dans les cages de l’UST en 1910, pour en prendre la vice-présidence, il assistera du banc de touche au grand succès de son club en 1910, la victoire en Championnat de France, face aux Suisses de Marseille. La petite histoire veut que, à l’instar du Sétois Georges Bayrou, il ne pouvait pas regarder son club jouer et préférait attendre la fin des matchs dans un café voisin ! Ingénieur, il restera un dirigeant important de l’UST, sans jamais en briguer cependant la présidence, préférant une fonction de manager, ainsi qu’un des pionniers du football nordiste.

Le seul match de Fernand Desrousseaux avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 JO 19/10/1908 Londres Danemark 0-9 90 premier match de compétition

pour finir...

Merci à Frédéric Humbert qui, sur Twitter, a réussi a déchiffrer la mention marginale du lieu de décès (« Tourcoing ») sur l’état-civil.

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