Histoires de tirs au but (3/5) : rivalités franco-italiennes

Publié le 13 février 2024 - Matthieu Delahais

Le chemin vers le premier titre de champion du monde est passé par une séance de tirs au but face aux Italiens en 1998. Huit ans plus tard, ce sont ces mêmes Italiens qui privent la France d’une deuxième étoile en finale.

5 minutes de lecture
Cet article est le troisième d’une série de 5 : Le temps des chefs d’oeuvre (1/5), Voyage au bout de l’ennui (2/5), Le temps des échecs (4/5) et Malédiction ou mal français ?

3 juillet 1998 : France-Italie 4-3, quart de finale de la Coupe du monde

Deux ans après l’Euro anglais et des matchs à élimination directe finis aux tirs au but, au terme d’un match fermé, Français et Italiens auraient pu se séparer bons amis (0-0), mais il faut impérativement un vainqueur. L’épreuve des tirs a buts est à nouveau nécessaire. Par rapport à l’Euro 1996, Fabien Barthez est devenu titulaire dans les cages. Quant à Vincent Guérin, il ne fait pas partie de l’aventure. Au moment de choisir les tireurs, Youri Djorkaeff, qui évolue à l’Inter Milan aux côtés du portier italien Gianluca Pagliuca contre lequel il a peu de réussite à l’entraînement, préfère laisser sa place. Ce sont donc David Trezeguet et Thierry Henry qui se portent volontaires avec Zinédine Zidane, Bixente Lizarazu et Laurent Blanc.

Lizarazu, qui avait marqué lors des deux séances de tirs au but lors de l’Euro anglais, échoue dans sa tentative. « C’est un moment très dur, mais ça n’a pas duré longtemps, car derrière il y a un péno manqué par l’Italie. (...) Après, lors d’une séance de pénaltys, ce que je dis toujours c’est que, déjà, il y a ceux qui tirent et ceux qui ne tirent pas. Et ça, c’est très important de le dire, car il faut respecter ceux qui prennent la responsabilité de tirer. » Le défenseur français reconnaît toutefois avoir assez mal tiré son penalty, avec une frappe manquant de conviction. Il n’est cependant pas resté sur cet échec, puisqu’il a transformé un nouveau tir au but trois ans plus tard en finale de la Ligue des champions « J’ai mis une mine, je vous jure ! Je pensais tellement à ce penalty-là, manqué contre l’Italie, que j’ai mis la plus grosse mine que je pouvais. Si Canizares, le gardien de Valence, avait été sur la trajectoire, je pense qu’il serait rentré dans son but (rire). C’est comme ça que j’aurais dû frapper contre l’Italie, mais j’ai réglé mes comptes avec moi-même, trois ans après... Et je dis bien avec moi-même... » [1]

Heureusement, Barthez arrête le tir de Demetrio Albertini juste derrière, ce qui permet aux Bleus de ne pas se faire distancer. De son côté, à l’approche de son tour, Henry se sent de moins en moins confiant. Il raconte « Puis c’est arrivé. OK, c’est à moi. Lors de mes deux premiers pas, je me suis dit : Oh putain, qu’est-ce que tu fais là ? Mais après le deuxième pas, c’était passé, j’étais en mode guerrier. Et je l’ai mis. Pourtant, ça ne m’a pas empêché d’avoir été traversé par la peur à un moment. Les deux premiers pas… » [2]

Le mot de la fin revient aux deux portiers. Blanc donne l’avantage à la France (4-3) et Luigi Di Biagio a la survie de l’Italie au bout du pied. Il envoie une frappe violente sur la barre, la France est qualifiée. Le gardien italien, Pagliuca, n’est pas vraiment étonné (« J’ai senti qu’il pouvait le manquer »), au contraire de son homologue français qui n’a pas compris que le match est terminé. Il explique « En fait, sur le coup, je n´ai rien éprouvé. Je m’apprêtais à repartir dans mon coin car je croyais qu’il restait encore des tirs à venir. Je n’ai compris notre qualification que lorsque j’ai vu les autres courir vers moi. Laurent Blanc, qui venait de tirer juste avant, a eu le même étonnement que moi. Lui non plus n´a pas réalisé... »

Barthez tient toutefois à mettre ses coéquipiers qui ont tiré en avant : « Je pense qu’il faut surtout féliciter les joueurs de champ. Les héros, ce soir, ce sont eux. Dans ce genre d’exercice, la pression n’est pas sur le gardien de but mais sur ceux qui vont tirer. Alors, je le répète, il faut dire bravo aux joueurs. »

La décontraction du gardien français lors de cette séance impressionne. Même s’il n’est pas spécialiste de ce genre d’exercice, il est hilare avant son commencement. Il déclare même à un coéquipier « J’ai la gigitte. Les poils du cul qui s’agitent. » Mais le portier se concentre vite sur son sujet, refusant même les conseils de ses coéquipiers, notamment ceux jouant en Italie. « Avant les tirs, je déteste parler. Je sais ce qui se passe en général, les gars sont là qui te lancent des « Allez, allez Fabien ! » J´aime pas trop ça. Je sais ce que j´ai à faire. Il y en a deux ou trois qui ont essayé mais je leur ai vite fait comprendre. » [3]

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9 juillet 2006 : Italie-France 5-3, finale de la Coupe du monde

En 2006, lors de la finale à Berlin six Français déjà présents en 1998 sont encore là (Fabien Barthez, Lilian Thuram, Patrick Vieira, Zinédine Zidane, Thierry Henry et David Trezeguet). Deux d’entre eux participent à la séance de tirs au but qui va désigner le futur champion du monde. L’un, Barthez le gardien, n’arrête aucune tentative italienne. Et tout en comme en 1998, le divin chauve refuse d’écouter les conseils de ses partenaires, notamment Thuram qui évolue en Italie [4].

L’autre, Trezeguet est le seul joueur à ne pas transformer sa tentative, ce qui offre une quatrième couronne mondiale aux Italiens. « Jusque là, ça n’avait pas été une Coupe du monde très amusante pour moi », relate le buteur français. Il n’est en effet entré qu’en toute fin de partie face à la Corée du Sud et a joué l’intégralité du match face au Togo au premier tour, puis est entré en cours de prolongations face à l’Italie en finale. « J’ai pris mes responsabilités. Chaque penalty a son histoire. Celui face à Buffon, je l’avais bien tiré. Mais malheureusement, c’est comme ça. Ces difficultés m’ont rendu plus fort et plus costaud mentalement. » [5]

Après la finale, Trezeguet est désespéré au point de penser arrêter sa carrière en Bleu, mais Diego Maradona le remet sur pied. Présent dans les tribunes, le génie argentin prend le temps de discuter avec le numéro 20 français après la rencontre. Trezeguet raconte : « C’est un moment extraordinaire. Après la finale perdue contre l’Italie, on rentre à l’hôtel. J’étais au fond du trou, la défaite, mon tir manqué, je m’en voulais. Arrivé à l’hôtel, ma mère me dit que quelqu’un veut me voir. C’était Maradona. On a passé la nuit à discuter. C’était la première fois qu’on se parlait. Il me réconfortait, me disait que lui aussi avait vécu des moments difficiles. Ça m’a redonné l’espoir et l’énergie, et il m’en fallait, car la suite a été compliquée avec la relégation de la Juve et ma décision de rester en Serie B. » [6]

Le joueur regrette aussi le manque de soutien de son sélectionneur dans ce moment difficile « Domenech n’est pas venu m’adresser un mot. » [7] Il semble que le sélectionneur lui ait tenu rigueur de cet échec, puisque l’attaquant ne joue plus que cinq matchs avec l’équipe de France par la suite.

La défaite laisse des traces dans les esprits de certains joueurs. Ainsi, William Gallas, prévu comme cinquième tireur mais qui n’aura pas à s’exécuter puisque les Italiens l’emportent avant, n’hésite pas à raconter que certains de ses coéquipiers se sont dérobés au moment fatidique. Il explique en 2016 que « dès qu’il y a eu la séance de tirs aux buts, des joueurs ont enlevé leurs chaussures. » [8]

Deux ans plus tôt, c’est Michaël Landreau, gardien spécialiste des tirs au but, qui avait jeté un peu d’huile sur le feu en expliquant que Raymond Domenech aurait pu le faire entrer pour cette séance s’il avait encore disposé de possibilité de remplacement. « On l’avait évoqué pendant la Coupe du monde 2006 lors de la séance de tirs au but contre l’Italie. Quand les matches à élimination directe avaient commencé Domenech m’avait lancé une brèche : « Fais attention, si jamais il y a une séance et que je n’ai pas fait tous mes changements je pourrais te faire rentrer ». Mais je ne suis pas sûr qu’il aurait été jusqu’au bout, Fabien (Barthez) aurait été un peu déçu. » [9]

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Quelques chiffres pour finir

Fabien Barthez est le portier lors de ces deux matchs. En 1998, il stoppe le tir de Demetrio Albertini, puis est aidé par la transversale qui repousse la tentative de Luigi Di Baggio. Côté tireurs, Zinédine Zidane, David Trezeguet, Thierry Henry et Laurent marquent en 1998. Sylvain Wiltord, Willy Sagnol et Eric Abidal font aussi bien en 2006. Si Bixente Lizarazu est mis en échec par Gianluca Pagliuca en 1998, c’est la barre qui repousse la frappe de Trezeguet, seul tireur français à avoir participé aux deux séries, huit ans plus tard.

[2François Kulawik, L’immense frayeur des Bleus, sports.fr, 6 décembre 2022.

[3Didier Romain, Barthez : Le héros c´est celui qui tire le peno, leparisien.fr, 4 juillet 1998.

[4David Opoczynski, Le supplice des tirs au but, le parisien.fr, 10 juillet 2006.

[6 Maradona a consolé Trezeguet en 2006, sofoot.com, 16 février 2016.

[7Dossier : Trezeguet est-il vraiment français ?, demivolee.com, 22 janvier 2020.

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