Les premiers Bleus : à la recherche de Maurice Guichard

Publié le 7 juillet 2023 - Pierre Cazal

Avec un état-civil erroné jusqu’à aujourd’hui, le tout premier gardien de l’équipe de France (deux sélections en 1904 et 1905) a d’abord joué arrière, puis a été arbitre après sa brève carrière.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
5 minutes de lecture

Maurice Guichard fait partie de ces internationaux dont l’identification, à l’état-civil, pose problème. Pourquoi ? Parce que les licences délivrées par l’USFSA, où figuraient nom, prénom, date de naissance, n’ont pas été conservées – et il en va de même de celles du CFI, du reste ! Du coup, il a fallu rechercher ces informations a posteriori, ce qui a causé beaucoup d’erreurs.

Guichard en est la preuve : tant sur Wikipedia, que sur quantité d’autres sources (qu’il ne faut surtout pas accabler, tant la tâche est ardue), le joueur est donné pour être né en 1884 et décédé en 1915, au front. Or, c’est faux !

Je suis aujourd’hui en mesure de rectifier cette erreur et de proposer une identification du joueur avec 100% de certitude, à la suite d’une recherche dont je vais vous exposer les étapes. Tout d’abord, il fallait s’assurer du prénom du joueur — car Guichard est un nom très répandu ; et je rappelle que, sur les annuaires de la FFF (par exemple celui de 1986), on trouve le prénom de Louis ! C’est seulement en 1992, dans l’Intégrale de l’Equipe de France, ouvrage auquel j’ai contribué avec mon frère et Michel Oreggia, qu’a été pour la première fois avancé le prénom de Maurice.

Identifié à partir du décès de son beau-père

Sur quelles bases, allez-vous me demander ? Eh bien tout simplement en se fondant sur ce qu’écrit à de multiples reprises L’Auto, par exemple, si vous désirez vérifier, le 11 avril 1903 : c’est en toutes lettres, sans doute parce qu’il y a beaucoup d’homonymes, et notamment le coureur cycliste Basile de Guichard. On le trouve aussi mentionné le 20 septembre 1907, dans un entrefilet qui va se révéler capital. En effet, cet entrefilet rapporte le décès du beau-père du joueur, un dénommé Pierre Corsin.

Aucun rapport avec le football, me direz-vous ? Certes, mais cette information permet d’identifier le « bon » Maurice Guichard parmi ses homonymes, car les actes d’état-civil mentionnent les mariages, les divorces… Résultat : le brave pâtissier d’Evreux, né en 1884 et mort à la Guerre, n’est pas le « bon ». Par contre, Maurice Louis Guichard, né à Paris le 11 mars 1879, et qu’on trouve dans la longue liste des Guichard des matricules militaires parisiens, était bien, lui, l’époux d’Alix Corsin, cela figure en toutes lettres sur son acte de décès, dressé en date du 25 janvier 1922 ! Les pièces du puzzle sont maintenant assemblées, et il ne reste plus à tous les sites qu’à corriger leurs données, pour peu qu’ils lisent cet article.

Je me suis permis de détailler ma recherche, pas seulement pour la justifier — ce qui était évidemment nécessaire — mais aussi pour montrer qu’il n’est pas trop tard, en 2023, pour combler les lacunes et corriger les erreurs qui ont été inévitablement commises à un moment ou à un autre dans le passé. C’est possible !

Deux sélections en équipe de France, pour les deux premiers matchs de l’histoire

Ce point étant réglé, il est temps de s’intéresser au joueur. Il ne compte « que » deux sélections (pas n’importe lesquelles : les deux premières de l’équipe de France, ce qui fait au passage qu’il est invaincu avec un match nul à l’extérieur, plutôt glorieux, et une victoire à domicile sans encaisser de but), parce qu’il a déjà 26 ans, il est en fin de carrière. Le 16 février 1906, il figure d’ailleurs dans une équipe des « Vieux Débris » (tel que, je n’invente rien), où l’on signale la présence de « l’ancien international Guichard ».

  • La Vie au Grand Air du 16 mars 1905 (BNF Gallica)

Sa carrière, il l’a commencée dans l’anonymat le plus total et dans les rangs de l’UA 1, l’Union Athlétique du Premier Arrondissement de Paris, qui joue évidemment très loin du centre, au bois de Vincennes, près du lac Daumesnil. Quand ? On l’ignore avec exactitude, mais on trouve sa trace dans Paris-Vélo ; le club a été fondé en 1895 et dispute le championnat de Paris (seconde série) lors de la saison 1896-97, Guichard en est, la plupart du temps demi-aile, mais on le trouve aussi (en janvier 1897, par exemple), dans les cages.

Pour ces pionniers du football, sans aucune autre prétention que le plaisir du jeu si nouveau, qui se répand depuis qu’il existe un championnat (voir l’article Garnier), la polyvalence est de mise. Les plus doués – techniquement, s’entend — sont devant, où ils courent comme des lapins après les balles que leur envoient au petit bonheur la chance les autres, qui restent derrière. Les demis sont des défenseurs (half-backs en anglais, demi-arrières parce que positionnés plus haut que ceux-ci) et ne passent jamais la ligne médiane (imaginaire en 1897, les lignes ne sont pas tracées !)

Un gardien de petite taille, mais spécialiste de sauvetages spectaculaires

Quant au gardien de but, ce n’est pas un hasard si à l’époque il porte le même maillot que ses coéquipiers. Le poste n’a rien de spécifique, même si ce joueur est le seul à pouvoir toucher la balle de ses mains, depuis que le « fair catch » originel a disparu. Il n’est donc pas rare de voir un gardien jouer dans le champ, et vice-versa. Du moins avant 1900 : car les choses changent assez vite après. Dès 1902, quand Guichard change de club et prend licence à l’US Parisienne, il se fixe dans les cages, en dépit d’une taille bien modeste : 1,64 mètre.

C’est qu’il compense ce manque de taille par des qualités de souplesse et de détente hors du commun, ainsi que des réflexes qui le mènent à des parades et des sauvetages spectaculaires. Florilège : « Guichard défend vaillamment son camp ; bombardé à outrance il peut arrêter trois fois, quatre fois la balle, qui passe enfin à la cinquième attaque. » On appelle ça aujourd’hui des arrêts décisifs ! Ou encore, en 1904 : « Tel un véritable singe, Guichard a merveilleusement joué. Il a fait preuve de sang-froid, d’adresse, d’activité. On peut espérer mieux que lui si on le compare à son rival Clawley, de Southampton, mais il faut bien convenir qu’il est à l’heure actuelle notre meilleur gardien de but de France. » Un cran encore au-dessus, lors du match contre la Suisse de 1905 : « C’est de toute beauté, telles sont les paroles de Victor Schneider, le vice-président de la fédération suisse, en voyant le jeu de Guichard. »

Deux gardiens internationaux à l’US Parisienne

Malgré de telles appréciations, Guichard est contesté ; certains l’estiment inférieur à Beau (qu’on retrouvera plus tard sous le pseudonyme de Coulon), qui a pourtant le défaut (à nos yeux) de jouer presqu’exclusivement au pied, et qu’on a préféré à Guichard pour jouer contre les Corinthians ; et lorsque Crozier, qualifié d’ « homme exceptionnel » revient de son séjour en Angleterre, il prend aussitôt la place de Guichard en équipe de France et même souvent dans les cages de l’US Parisienne, car ils portent le même maillot : l’USP dispose de deux gardiens internationaux !

Ainsi Guichard joue-t-il le 7 mars 1905, en match demeuré officieux, contre l’Angleterre (qui se limite à une sélection de la London League, 1-2), tandis que c’est Crozier qui garde les cages contre la Belgique en mai, avec les conséquences qu’on sait – mais il faut convenir que Guichard, d’abord désigné, avait fait savoir qu’il ne pouvait s’éloigner de Paris.

Et puis, dès 1906, Guichard prend ses distances avec la compétition : on le voit plus souvent arbitrer (car, à l’époque, il n’y a pas de formation spécifique pour les arbitres, qui sont très souvent d’anciens joueurs) que jouer, parfois dans des équipes de « Vieux débris », parfois, sans doute par nécessité, pour son club : ainsi, le 3 décembre 1906, Crozier lui fait-il la grâce de lui laisser les cages pour jouer dans le champ : et ce jour-là, Guichard pare en deux fois un pénalty de Morel, le futur international, ce qui prouve qu’il a encore la vista !

Mort en 1922 des suites d’une angine contractée dans les tranchées

Contrairement à son homonyme, avec lequel il a été confondu jusqu’à présent, Maurice Guichard n’est pas mort au front en 1915, mais en 1922 des suites d’une infection contractée au front, en 1917. En effet, on découvre dans sa fiche militaire qu’il a été démobilisé en février 1917 pour endocardite rhumatismale, entraînant un rétrécissement mitral. Un cas d’école : une angine, contractée en l’occurrence dans les tranchées, déclenche une crise de rhumatismes articulaires, laquelle dégénère en une endocardite qui expose le sujet à une crise cardiaque fatale.

Il aura donc fallu attendre jusqu’au mois de juin 2023 pour que Maurice Guichard voie son état-civil enfin éclairci et qu’il ne soit plus confondu avec un autre…

Les 2 matchs de Maurice Guichard avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 premier but encaissé
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 première victoire, premier clean sheet
Vous êtes plusieurs milliers chaque jour à venir sur Chroniques bleues. Nous vous en sommes reconnaissants et nous aimerions en savoir plus sur vous. Avec, en cadeau, trois articles inédits au format pdf à télécharger !

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vos articles inédits