27 mai 1924 : le premier France-Lettonie

Publié le 27 mai 2024 - Richard Coudrais

Les Jeux olympiques de 1924 à Paris permettent à l’équipe de France de se frotter à des adversaires inédits. En premier lieu une mystérieuse équipe de Lettonie, première nation balte sur le parcours des Tricolores.

5 minutes de lecture

Avec vingt-deux nations invitées, le tournoi olympique des Jeux de 1924 prend du volume et devient un véritable championnat du monde. Onze nations envoient pour la première fois leur équipe de football aux Jeux, parmi lesquelles la Lettonie, premier adversaire de la France.

Les pays baltes à l’assaut de l’Olympisme

La délégation lettone participe pour la première fois aux Jeux olympiques. Elle a envoyé à Paris trente-six athlètes dont onze footballeurs chargés de défendre les couleurs d’un pays indépendant depuis seulement six ans. Le pays a fondé son comité olympique et sa fédération de football la même année, en 1922, en même temps que son équipe nationale de football, laquelle a disputé son premier match en septembre 1922 contre l’équipe de sa voisine l’Estonie (1-1).

La Lettonie constitue avec l’Estonie et la Lituanie ce qu’on nomme les région baltiques ou les pays baltes, trois petits pays bordant la Mer Baltique et dont le destin est souvent lié. Si les trois pays ont obtenu leur indépendance à l’issue de la première guerre mondiale, c’est l’Estonie qui la première a découvert les Jeux olympiques, en 1920. Mais c’est seulement en 1924 qu’elle y envoie son équipe de football, en même temps que celle de la Lituanie et donc de la Lettonie.

L’aventure parisienne de ces trois sélections sera assez brève. Le 25 mai au stade Pershing de Vincennes, l’Estonie s’incline 1-0 face aux États-Unis alors que la Lituanie, dont les joueurs sont arrivés le matin du match après un harassant voyage de trois jours, prend neuf buts (à zéro) face aux Suisses. La Lettonie est exemptée de premier tour. Son premier match l’oppose deux jours plus tard à l’équipe-hôte de ces Jeux, l’équipe de France.

Un coach anglais pour les Tricolores

Pour préparer le tournoi olympique, Gaston Barreau, sélectionneur de l’équipe de France, a fait appel à l’entraîneur anglais Charles Griffiths. Vingt-deux joueurs sont présélectionnés début mai mais huit d’entre eux sont remplacés avant que ne débute le tournoi. L’équipe de France se prépare en affrontant l’Angleterre et le club de West Ham tandis qu’une équipe B, composée de joueurs présélectionnés pour les Jeux, est montée pour affronter l’équipe d’Égypte en deux occasions.

  • L’Auto du 27 mai 1924 (BNF, Gallica)

Le match contre la Lettonie se dispute le mardi 27 mai 1924 à Saint-Ouen. 5.145 spectateurs, dont 4.576 payants, garnissent les tribunes du stade de Paris cher au Red Star dont trois joueurs font partie du onze tricolore : le gardien Pierre Chayriguès, le demi Philippe Bonnardel et l’attaquant Paul Nicolas. L’équipe française est plutôt expérimentée. Cinq de ses joueurs avaient déjà disputé quatre ans plus tôt le tournoi olympique des Jeux d’Anvers : Edouard Baumann, Jules Devaquez, Jean Boyer, Paul Nicolas et le capitaine Raymond Dubly.

C’est l’arbitre belge Henri Christophe (et non pas le Néerlandais Wim Eijmers initialement désigné) qui donne le coup d’envoi. Les Français se ruent vers le but letton et Boyer, sur une action initiée par Devaquez, est l’auteur du premier tir qui passe à côté.

Domination stérile

Les Baltes entreprennent plus timidement leurs attaques et l’une d’elle voit le ballon passer au-dessus de la cage de Chayriguès. Devaquez se procure à son tour une belle occasion de marquer en reprenant de la tête un centre de Dubly, mais Arvīds Jurgens, le gardien balte, détourne le ballon en corner.

Les Tricolores dominent mais tardent à ouvrir le score face à des adversaires qui s’avèrent pourtant beaucoup plus faibles. Seul le gardien de but se montre à son avantage en détournant toutes les tentatives françaises, consécutives il est vrai à des attaques fort brouillonnes.

Au centre de l’attaque tricolore, un jeune de vingt-trois ans honore sa première sélection, Édouard Crut. Le jeune Marseillais n’a jusqu’alors disputé que des rencontres avec l’équipe de France B, mais il sera l’un des joueurs les plus en vue de ce premier France-Lettonie de l’histoire. Après un premier tir qu’il met à côté, c’est lui qui ouvre le score à la 17’ minute sur une passe de Marcel Domergue.

Le triplé du débutant

Après avoir longtemps tergiversé, les attaquants français s’appliquent enfin à jouer correctement. Huit minutes après l’ouverture du score, Nicolas inscrit le deuxième but sur un centre de Dubly. Et il ne faut que trois minutes pour voir arriver le troisième but, le deuxième pour Crut qui profite d’un service de Nicolas.

A 3-0 à la demi-heure de jeu, tout semble aller pour le mieux pour les Tricolores. Mais le défenseur Édouard Baumann est victime d’une blessure et doit sortir, laissant ses coéquipiers finir le match à dix. La supériorité des Français et l’avance prise au score permettent de relativiser cette infériorité numérique. Rien n’est toutefois inscrit jusqu’à la mi-temps.

En seconde période, c’est le novice Édouard Crut qui est placé en défense à la place de Baumann. Après cinq minutes de jeu, Boyer donne à Devaquez, lequel sème la panique dans le défense lettone. Nicolas récupère le ballon et inscrit le quatrième but.

Cinq minutes plus tard, Crut monte aux avant-postes. Il récupère un ballon à la suite d’un corner de Dubly, dribble deux adversaires et place un tir de vingt-cinq mètres qui surprend le malheureux Jurgens. Trois buts pour une première sélection, jamais un joueur de l’équipe de France n’avait connu une telle entrée en matière [1].

Un score flatteur pour un jeu indigent

A 5-0, le jeu des Français se délite quelque peu. L’envoyé spécial de L’Auto n’est autre que le jeune retraité Lucien Gamblin, et celui-ci ne ménage pas ses anciens coéquipiers. “Le jeu est devenu pauvre, les joueurs français s’amusent à dribbler à outrance, c’est la petite partie de famille. Hélas ! Le football est bien mauvais.” écrit-il notamment pour expliquer l’indigence des Tricolores. Il enchérir en fin d’article : “Chacun voulait produire son petit effet personnel, et, à ce jeu, le football manque d’intérêt”.

Les choses s’améliorent toutefois en fin de rencontre. Les Français se créent quelques occasions, et c’est Boyer qui marque enfin le sixième but en reprenant un tir repoussé par le gardien. Le Marseillais inscrit un nouveau but dans les dernières minutes en reprenant un centre de Dubly.

  • L’Auto du 28 mai 1924 (BNF, Gallica)

Le score final est de 7-0 pour les Français, mais comme l’écrit Gamblin : “Ceci ne nous réjouit nullement, car nos nationaux ont joué négligemment et n’ont pas accompli une performance qui nous permette d’espérer beaucoup de leurs futures exhibitions. Alors que devant un adversaire notoirement inférieur le « onze » tricolore devait chercher à améliorer sa forme et son homogénéité, il ne produisit qu’une partie médiocre pour une équipe nationale.

Toutefois l’aventure olympique continue pour les Tricolores qui attendent le résultat de la rencontre Uruguay - États-Unis qui se dispute deux jours plus tard au stade Bergeyre. Ils savent qu’il ne pourront pas compter sur Édouard Baumann que la blessure écarte définitivement du tournoi. Le défenseur du CASG ne sait pas encore qu’il n’apparaitra plus jamais en équipe de France. Et sa carrière pro prendra fin un an plus tard.

Saint-Ouen, stade de Paris, le mardi 27 mai 1924 à partir de 17h15
FRANCE bat LETTONIE 7-0
Buts : Crut (17’, 28’, 55’), Nicolas (25’, 50’), Boyer (71’, 87’).
FRANCE : Chayriguès - Baumann (sorti à la 35’), Gravier, Parachini - Domergue, Bonnardel - Dewaquez, Boyer, Nicolas, Crut, Dubly (cap).
LETTONIE : Jurgens - Roge, Ašmanis - Stančiks, Bone (cap), Sokolovs - Pavlovs, V. Plade, E. Bārda, R. Bārda, A. Bārda.
Arbitre : Henri Christophe (Belgique) assisté de Luis Colina Álvarez (Espagne) et Adam Obrubański (Pologne)
5.145 spectateurs
JoueurÂgePosteSel.Club
Pierre Chayriguès 32 ans Gardien 19/21 Red Star
Edouard Baumann 29 ans Défenseur 8/8 C.A.S.G.
Ernest Gravier 26 ans Défenseur 9/11 FC Sète
Marcel Domergue 23 ans Défenseur 5/20 FC Sète
Antoine Parachini 27 ans Milieu 2/3 FC Sète
Philippe Bonnardel 25 ans Milieu 17/23 Red Star
Jules Devaquez 25 ans Attaquant 20/41 Olympique Paris
Jean Boyer 23 ans Attaquant 11/15 Olympique Marseille
Paul Nicolas 25 ans Attaquant 16/35 Red Star
Edouard Crut 23 ans Attaquant 1/8 Olympique Marseille
Raymond Dubly (cap.) 31 ans Attaquant 28/31 RC Roubaix

pour finir...

Merci à Pierre Cazal pour les précisions.

La rédaction de cet article a nécessité la consultation des sites selectiona.free.fr, L’Équipe, FFF, Wikipédia, ainsi que des ouvrages « La fabuleuse histoire du football » de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker (Nathan, 1990), « L’intégrale de l’équipe de France de football » de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia (First édition, 1998), « Les 1000 joueurs de l’équipe de France » de Jérôme Bergot (Talent Sport, 2021), « Sélectionneur des Bleus » de Pierre Cazal (Mareuil, 2021), « Le Dico des Bleus » de Matthieu Delahais, Bruno Colombari et Alain Dautel (Marabout, 2017-2018-2022).

[1Seul Just Fontaine fera aussi bien en 1953

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