Larbi Ben Barek, la perle du Maroc

Publié le 16 septembre 2022 - Pierre Cazal, Richard Coudrais

Larbi Ben Barek est considéré comme le plus grand joueur du football français avant l’avènement de Kopa. Sa carrière fut malheureusement coupée par la guerre, mais il honora toutefois 17 sélections en équipe de France.

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On a coutume de lire que Abdelkader Ben M’Barek, que l’on appelle plus couramment Larbi Ben Barek, fut en son temps aussi grand que Kopa, Platini ou Zidane. Il fut le premier footballeur français de renommée mondiale, le premier dont le transfert dans un club étranger avait fait l’objet de tractations sur des bases élevées. Le roi Pelé lui-même n’ignorait rien du phénomène, et n’avait pas manqué de le couvrir d’éloges lors d’une visite au Maroc en 1976.

De Casablanca à Marseille

Larbi Ben Barek est décrit comme un joueur éminemment spectaculaire, une “vedette” qui attirait les regards et la sympathie du public. Il était le meneur de jeu des Tricolores de l’immédiat après-guerre, une équipe qui suscitait beaucoup d’espoirs. Il représente en outre l’avènement des footballeurs d’Afrique du Nord dans le football français. Il est l’un des premiers joueurs que la France est allé chercher hors de ses frontières.

C’est à la suite d’un match de la sélection marocaine contre une équipe de France B à Casablanca de 1937 que le nom de Ben Barek commence à circuler. De nombreux clubs français s’intéressent au phénomène et c’est l’OM qui décroche l’affaire. Le récent vainqueur de la Coupe de France le fait venir durant l’été 1938, juste après la Coupe du monde organisée dans l’hexagone.

Larbi Ben Barek a officiellement 21 ans mais il en a probablement un peu plus, puisqu’une grande incertitude plane sur sa date de naissance [1]. Devenu en quelques mois une véritable idole à Marseille, il est convoqué pour une rencontre de l’équipe de France. Celle-ci se rend à Naples en décembre 1938 pour affronter l’Italie, championne du monde en titre mais aussi bourreau des Tricolores lors de la Coupe du monde six mois plus tôt.

L’Italie fasciste de l’époque ne manque pas de noter la présence de deux joueurs noirs (Diagne et Ben Barek) au sein de l’équipe de France et les journaux locaux se félicitent que leur équipe nationale évolue sans « joueurs chocolat ». La presse française se montre moins virulente mais reste réservée quant à l’apport de tels joueurs en équipe nationale.

La Marseillaise à Naples

L’ambiance du stade Giorgio-Ascarelli de Naples est pour le moins hostile. Les joueurs français sont copieusement sifflés par 40.000 spectateurs qui rappellent que les deux pays ne sont plus très loin d’en venir aux armes. Ben Barek ne se montre guère impressionné. A la présentation des équipes, il chante la Marseillaise à gorge déployée, avec la même intensité que celle qu’emploiera en soirée son capitaine Etienne Mattler, debout sur une chaise dans un restaurant napolitain. Sur le terrain, les Français résistent aux rugueux Italiens. Il faut une mésentente entre Vandooren et le gardien Llense pour que la Squadra inscrive le seul but de la rencontre à la demi-heure de jeu.

L’anecdote rapporte qu’après une série de dribbles, Ben Barek avait transmis le ballon à Bourbotte d’une talonnade, ce qui surprit ce dernier, peu habitué à un tel geste en match international. Le joueur marocain pose ainsi sa signature. Il rappelle au public certains joueurs brésiliens qui avaient illuminé la Coupe du monde en juin, voire les Uruguayens des Jeux de Paris en 1924. Le football français est encore peu habitué à ce style de joueur, instinctif, spectaculaire et déroutant, autant pour ses adversaires que pour ses partenaires.

Ben Barek n’aurait jamais dû pouvoir jouer en équipe de France. Le Maroc, où il est né, est certes un protectorat français depuis 1912, mais cela ne donne pas de facto la nationalité française aux autochtones. Or la FIFA tenait à ce que les joueurs internationaux aient au minimum un passeport du pays qu’ils étaient censés représenter. Mais elle ne s’est jamais penchée sur son dossier, puisqu’elle n’a jamais reçu de réclamation à ce sujet.

Un mois plus tard, l’équipe de France reçoit au Parc des Princes, l’équipe de Pologne, qui avait fait forte impression à Strasbourg lors de la Coupe du monde 1938. Mais le match est assez tranquille pour les Tricolores qui profitent autant d’adversaires fatigués que d’un Ben Barek inspiré. Le Marocain de l’OM permet à Émile Veinante d’inscrire le premier but et à Mario Zatelli, dont c’est l’unique sélection, de clôturer le score d’une victoire confortable (4-0).

La Perle Noire

La nouvelle vedette devient la Perle Noire, un surnom que lui donne le journal L’Auto et que de nombreux joueurs de couleur se verront attribuer par la suite. Ben Barek est un footballeur habile, souple, vif, en un mot spectaculaire, et il n’hésite pas à gratifier le public de quelques gestes audacieux, même si ceux-ci ne sont pas toujours du goût de ses coéquipiers.

La Perle Noire inscrit son premier but international en mars 1939 face à la Hongrie au Parc des Princes, en reprenant un centre de Edmond Weiskopf (joueur d’origine hongroise qui connaît son unique sélection… contre ses compatriotes). Les Magyars, finalistes de la dernière Coupe du monde, parviendront toutefois à décrocher le match nul (2-2). Ben Barek, malgré son but, n’a pas été à son avantage.

Il ne le sera pas plus à Bruxelles contre la Belgique, même s’il permet en fin de rencontre à l’autre révélation de la saison, le débutant Désiré Korányi (un autre Hongrois naturalisé) de marquer son deuxième but de l’après-midi et de parachever une belle victoire française (3-1). Les contre-performances de Ben Barek ont des conséquences : il n’est pas retenu pour la rencontre suivante à Colombes contre les Gallois. Or, c’est le dernier match de l’équipe de France avant le déclenchement de la guerre.

Larbi Ben Barek, après seulement une saison en métropole, est contraint de retourner à Casablanca. Le joueur y retrouve la sélection marocaine (non reconnue par la FIFA), joue aux côtés d’un certain Marcel Cerdan et marque, en 1941, un but à une équipe de France non officielle en tournée dans les parages [2].

Une vedette au Stade Français

Lorsque le conflit prend fin, Larbi Ben Barek revient en métropole. Il est appelé par l’ambitieux Stade Français, qui monte une équipe de qualité sous la houlette de Helenio Herrera qui fait ses premières armes d’entraîneur. La Perle Noire est dès lors disponible pour revenir en équipe de France. Six ans et demi après sa dernière apparition, il est aligné à Vienne contre l’Autriche, que les Tricolores peu motivés perdent 4-1. A Bruxelles, neuf jours plus tard, Ben Barek multiplie les gestes de classe, les passes, les dribbles et les passes précises. Mais il ne peut empêcher la défaite de son équipe (2-1).

Ben Barek garde la confiance du sélectionneur Gaston Barreau et surtout celle de Gabriel Hanot, journaliste de L’Équipe et conseiller technique, véritable patron de l’équipe nationale. En outre, la préparation physique des Tricolores est assurée par Helenio Herrera, son entraîneur du Stade Français.

En avril 1946, les Tricolores surclassent la Tchécoslovaquie (3-0) grâce à un Ben Barek qui s’impose comme meneur de jeu. Le Marocain n’est pas seulement un dribbleur. Plus jeune, il a joué demi-centre et il sait défendre. Il n’aime rien tant que de se replier profondément dans son camp, récupérer le ballon et le remonter. Il dispose pour cela de qualités physiques remarquables, issus de sa pratique intensive d’autres sports, comme le basket, le vélo et le demi-fond. Capable du meilleur comme du pire, notre homme se montre décevant à Lisbonne où l’équipe française subit la loi du Portugal (2-1).

La saison 1945-1946 se termine par deux rendez-vous importants à Colombes, face à l’Autriche puis l’Angleterre. Le 5 mai, Ben Barek est un acteur déterminant de la première victoire des Tricolores sur les Autrichiens. Deux semaines plus tard, les Anglais mordent la poussière à Colombes (2-1). L’équipe de France vit alors une période heureuse. De 1946 à 1948, elle dispute quinze rencontres et en remporte dix. Le talent de Ben Barek n’est pas étranger à cette embellie.

La saison 1946-1947 prolonge l’euphorie de la précédente. Elle ne démarre qu’en mars, quand Ben Barek et les Tricolores prennent leur revanche sur le Portugal (1-0) à Colombes. Le Marocain découvre ensuite les joies de la concurrence. Les Tricolores disputent en fin de saison quatre rencontres rapprochées pour lesquelles il n’est pas convié. Les sélectionneurs estiment que le joueur est à court de forme et préfèrent associer, aux postes d’inter, le capitaine Oscar Heisserer à Jean Baratte, deux joueurs qui ont les préférences de Gabriel Hanot. En cas d’absence, ils appellent les Lillois Bolek Tempowski ou Roger Carré.

Un roi à Madrid

Ben Barek effectue toutefois son retour en novembre 1947 pour un nouveau match contre le Portugal. A Lisbonne, il signe son retour en inscrivant le quatrième but d’une victoire convaincante (4-2) après avoir contribué au triplé du Racingman Ernest Vaast. L’équipe de France alterne les victoires et les défaites : elle subit la loi de l’Italie, toujours championne du monde en titre, en avril 1948 à Colombes (1-3), puis s’impose largement (3-0) face à l’Écosse à Colombes. Elle s’incline ensuite à Bruxelles contre la Belgique (4-2) malgré un but de Ben Barek, son troisième en équipe de France. Elle termine la saison par une impressionnante victoire 4-0 à Prague contre la Tchécoslovaquie.

La Coupe du monde est bien entendu l’objectif de cette équipe de France que l’on a rarement connue aussi ambitieuse. Mais le tournoi, prévu au Brésil, à été repoussé en 1950. A Paris, le Stade Français est secoué par une crise. Les rêves de grandeur s’écroulent et le salut passe par une fusion avec le Red Star. Le club reçoit une offre de l’Atlético de Madrid pour acquérir Marcel Domingo, le gardien (qui sera prêté un an à l’Espanyol de Barcelone) et Larbi Ben Barek.

Au sein du championnat espagnol, le Marocain va acquérir une envergure internationale. Il sera rejoint par l’entraîneur Helenio Herrera et remportera deux titres de champion d’Espagne (1950 et 1951). Seulement, à l’époque, une carrière à l’étranger est quasiment incompatible avec l’équipe de France. Le club refuse de libérer les internationaux étrangers et la fédération est peu encline à payer les aller-retour.

La carrière internationale de Ben Barek a pris fin. Elle avait débuté juste après le Mondial 1938 et s’arrête avant l’édition de 1950. Le Marocain n’aura jamais disputé la Coupe du monde. Ses qualités lui auraient probablement permis de conquérir une renommée plus grande encore.

Après cinq fructueuses saisons à l’Atlético de Madrid, Larbi est de retour en France en 1953, dans le club de ses débuts hexagonaux, l’OM. A 36 ans (probablement plus), l’équipe de France ne s’intéresse plus à lui. Le club marseillais se réjouit toutefois des performances de sa recrue, un professionnel consciencieux ménagé par une hygiène de vie exemplaire.

Hanovre, étonnant crépuscule

En octobre 1954, une rencontre est organisée au Parc des Princes au bénéfice des victimes du séisme d’Orléansville (9 septembre 1954, 1.250 morts). Elle oppose l’équipe de France à une sélection d’Afrique du Nord dans laquelle figure Ben Barek. Celle-ci l’emporte 3-2 et le Marseillais est tellement brillant que le public réclame son retour chez les Tricolores.

Larbi Ben Barek est ainsi sélectionné par acclamation populaire le 16 octobre 1954, soit six ans et quatre mois après sa dernière apparition. A Hanovre, la France est opposée à l’Allemagne de l’Ouest, championne du monde en titre. Le retour de la Perle Noire sera bref : victime d’une contracture, il doit céder sa place après une demi-heure de jeu. Une blessure qu’il reconnait à demi-mot avoir plus ou moins simulée, ayant toutes les peines du monde à suivre le rythme du match.

Les remplacements sont désormais tolérés, ce qui va faire la gloire du jeune Stéphanois Jacques Foix. Le “remplaçant de Ben Barek” (ainsi que l’appellera Georges Briquet, le commentateur de la télévision, qui n’avait pas pris la peine de se renseigner sur les remplaçants) marquera un premier but cinq minutes après son entrée, puis en ajoutera un deuxième en seconde période, devenant le héros de la victoire historique des Français (3-1).

Ce sera, pour de bon, l’ultime sélection de Ben Barek. Sa première et sa dernière apparition en équipe de France auront été jouées contre les champions du monde en titre (l’Italie en 1938 et la RFA en 1954). Son rappel un peu hors du temps permet de considérer, un peu abusivement, qu’il a connu la plus longue carrière d’un joueur en équipe de France : sa première et sa dernière sélection sont espacées de 5.795 jours, soit 15 ans, 10 mois et 12 jours. Cette longévité remarquable reste ponctuée par deux “trous” d’au moins six ans, le premier en raison de la guerre, le second quand il a poursuivi sa carrière à l’étranger.

Ben Barek met fin à sa carrière professionnelle en 1955. Il traverse à nouveau la Méditerranée pour aller faire l’entraîneur-joueur en Algérie, à l’USM Bal-Abbès. Puis il rentre au pays alors que celui-ci obtient son indépendance. Un an plus tard, il est appelé à diriger la sélection aux Jeux Panarabes de Beyrouth.

Il entraînera ensuite quelques équipes à Rabat, Casablanca, Settat et Tanger, puis enseignera les rudiments du football aux gamins de Casablanca. Il retournera en Europe faire de courtes piges en Belgique contre d’occultes rémunérations. Puis on perdra peu à peu sa trace. En septembre 1992, on apprendra son décès à l’âge de 78 ans alors qu’il vivait seul et oublié. Son corps a été retrouvé à son domicile trois jours après sa mort, datée du 16.


 

17 sélections, 3 buts, 5.795 jours

SelGenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 04/12/1938 Naples Italie 0-1 90
2 Amical 22/01/1939 Paris Pologne 4-0 90
3 Amical 16/03/1939 Paris Hongrie 2-2 90 1 but (15’)
4 Amical 18/05/1939 Bruxelles Belgique 3-1 90
5 Amical 06/12/1945 Vienne Autriche 1-4 90
6 Amical 15/12/1945 Bruxelles Belgique 1-2 90
7 Amical 07/04/1946 Colombes Tchécoslovaquie 3-0 90
8 Amical 14/04/1946 Lisbonne Portugal 1-2 90
9 Amical 05/05/1946 Colombes Autriche 3-1 90
10 Amical 19/05/1946 Colombes Angleterre 2-1 90
11 Amical 23/03/1947 Colombes Portugal 1-0 90
12 Amical 23/11/1947 Lisbonne Portugal 4-2 90 1 but (84’)
13 Amical 04/04/1948 Colombes Italie 1-3 90
14 Amical 23/05/1948 Colombes Écosse 3-0 90
15 Amical 06/06/1948 Bruxelles Belgique 2-4 90 1 but (74’)
16 Amical 12/06/1948 Prague Tchécoslovaquie 4-0 90
17 Amical 16/10/1954 Hanovre Allemagne 3-1 27 >

pour finir...

Sources : Les sites selectiona.free.fr, FFF, Wikipédia, L’Equipe... Les ouvrages « L’intégrale de l’équipe de France de football » (First édition, 1998) de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia, « La fabuleuse histoire du football » (Nathan, 1990) de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker, « L’Afrique et la planète football » (E/P/A, 2010) de Paul Dietschy et David-Claude Kemo-Kembou...

[1Larbi Ben Barek déclare être né en 1917, mais son année de naissance réelle serait 1914. Lors de sa déclaration à l’état civil, il y aurait eu confusion entre sa date de naissance et celle du décès de son père, sa mère ayant procédé à la déclaration des deux le même jour.

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