Après une brillante carrière de joueur, Thierry Henry, légende vivante d’Arsenal et ancien meilleur buteur des Bleus (51 réalisations, dépassé par Olivier Giroud lors de la dernière Coupe du monde) devient sélectionneur des Espoirs. Son passé d’entraîneur ne plaide pourtant pas vraiment pour lui.
Un piètre bilan sur le banc
Si Thierry Henry a été un excellent adjoint lors de ses passages chez les Diables Rouges (2016-2018 puis 2021-2023, il a même été sélectionneur par intérim le temps d’un match), ses expériences avec le premier rôle n’ont pas été concluantes. Il n’a dirigé l’AS Monaco que 20 matchs en 2018-2019 (5 victoires seulement pour 11 défaites) avant d’être remplacé par Jardim et il n’a guère tenu plus longtemps à Impact de Montréal en 2020-2021 (29 matchs, pour 9 victoires, 4 nuls et 16 défaites) qu’il a fini par quitter pour des raisons personnelles.
Deux beaux objectifs s’offrent à lui. Tout d’abord les Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris l’été prochain. Depuis 1992, ce sont les Espoirs, auxquels trois joueurs de plus de 23 ans peuvent s’ajouter, qui disputent cette épreuve [La France a remporté la médaille d’or en 1984, mais seuls les joueurs n’ayant jamais évolué en Coupe du monde étaient sélectionnables.]]. Ce ne sera que la troisième fois que la France y participe, après l’édition de 1996 (quart de finale) et 2021 (élimination au premier tour). Ensuite, le championnat d’Europe, où la sélection Espoirs n’a jamais beaucoup brillé non plus. Vainqueurs en 1988, les Bleuets ont été finalistes en 2002 et demi-finalistes à quatre reprises (1994, 1996, 2006 et 2019). La France reste actuellement sur deux échecs en quart de finale (2021 et 2023).
Est-ce que ce poste de sélectionneur va permettre à Thierry Henry de s’affirmer dans la profession ? Trois de ses prédécesseurs (Albert Batteux, Henri Guérin et Raymond Domenech) en ont profité pour avoir la responsabilité des A par la suite, mais aucun d’eux n’a remporté de titres avec cette sélection (en dehors du Tournoi de Toulon pour Domenech en 2004). Petit rappel du parcours de ses prédécesseurs.
La très riche carrière d’Albert Batteux
Albert Batteux est né en 1919 et la seconde guerre mondiale l’a privée de ses plus belles années de footballeur. Il remporte tout de même un titre de champion (1949) et une Coupe de France (1950) avec le Stade de Reims et peut se targuer d’avoir porté le maillot national à huit reprises, pour un but, entre 1948 et 1949. Sa carrière de joueur s’achève en 1950 et il enchaîne avec le poste d’entraineur, toujours à Reims. Il va rester 13 ans à ce poste, le doublant avec le rôle de sélectionneur des Espoirs en 1952 puis celui d’entraîneur des A (sous la responsabilité de Paul Nicolas, sélectionneur) entre 1955 et 1962.
Ces années sont riches en succès aussi bien avec les Tricolores (demi-finaliste de la Coupe du monde 1958 et du premier championnat d’Europe deux ans plus tard) qu’avec Reims (cinq titres de champion, deux Coupes de France, une coupe Latine et deux finales de la Coupe des clubs champions perdues face au Real). La suite de sa carrière d’entraîneur le mène à Grenoble (1963-1967), à l’Olympique avignonnais (1976-1977), à l’OGC Nice (1979) et à Marseille (1980-1981), mais surtout à l’AS Saint-Etienne (1967-1972) où il remporte trois nouveaux titres de champions et deux Coupes de France.
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L’Equipe du 22 mai 1952 (BNF, Gallica)
La fidélité fédérale de Henri Guérin
Henri Guérin a un début de parcours similaire à celui d’Albert Batteux. La guerre lui vole une partie de sa carrière (il a 18 ans quand le conflit éclate en 1939). Il fait l’essentiel de sa carrière dans des clubs modestes, remportant le championnat de division 2 avec Rennes alors qu’il est entraîneur-joueur. Sa carrière lui permet toutefois d’être international à trois reprises avec à chaque fois Albert Batteux pour partenaire. Il cumule entre 1959 et 1962 un poste d’entraineur (Rennes jusqu’en 1961 puis Saint-Etienne) avec celui de sélectionneur des Espoirs.
Il enchaîne ensuite avec l’équipe de France, d’abord en tant qu’entraîneur (1962-1964) puis sélectionneur (jusqu’en 1966) où il conduit la France à la Coupe du monde anglaise. Cependant, les joueurs et une campagne de presse conduisent à son éviction. Il reste à la Fédération qui va lancer un grand programme de détection des jeunes appelé Opération Guérin. Il reprend alors le poste de sélectionneur des espoirs qu’il va occuper pendant 10 ans (1968-1978).
Lucien Jasseron, toujours dans l’ombre
Lucien Jasseron, qui a occupé le poste entre 1965 et 1966, est sans doute le moins connu de cette liste. Né en Algérie en 1913, il joue au Havre à partir de 1936 et est appelé pour la Coupe du monde 1938 sans jouer. Il connait ses deux sélections en A en 1945, année où il remporte la Coupe de France avec le RC Paris. A partir de 1957, il entraine Le Havre avec qui il gagne une nouvelle Coupe de France en 1959 alors que le club est en seconde division. Il part ensuite à Lyon (1962-1966, une coupe remportée en 1964) puis Bastia (1966-1969). En 1965-1966, il ajoute à son rôle d’entraîneur de Lyon celui d’entraineur des Espoirs et fait aussi partie du voyage en Angleterre en tant qu’adjoint.
Henri Biancheri, le Monégasque
Henri Biancheri réalise l’essentiel de sa carrière de joueur à Monaco (deux titres de champion et deux Coupes de France) et met un terme à carrière de joueur en 1966. Il enchaîne ensuite avec le rôle de sélectionneur des Espoirs en 1967. Il travaille aussi en tant directeur commercial d’Adidas (1966-1986). Il devient ensuite le directeur technique de Monaco jusqu’en 2005, avant de travailler une dernière année à Marseille.
Raymond Domenech, meilleur en club qu’en sélection
Raymond Domenech mène une carrière de joueur qui le voit débuter à Lyon (1970-1977), puis passer par Strasbourg (1977-1981, un titre de champion), le Paris SG (1981-1982, une Coupe de France) et Bordeaux (1982-1984, un titre de champion). Il porte le maillot de l’équipe de France à huit reprises entre 1973 et 1979. Avant la fin même de sa carrière il endosse le rôle d’entraîneur à Mulhouse (1984-1988, fin de carrière de joueur en 1986). Il retourne ensuite à Lyon (1988-1993) et devient sélectionneur des espoirs en 1993. Il garde le poste jusqu’en 2004 quand il prend en charge la sélection A.
Ses onze années passées chez les Espoirs se soldent par des échecs répétés au championnat d’Europe (demi-finales perdues face aux Italiens en 1994 (aux tirs au but) puis 1996, défaite en finale en 2002 aux tirs au but face à la Tchéquie). Son parcours chez les A est marqué par le presque sommet de Berlin (nouvelle défaite face à l’Italie encore aux tirs au but) puis la grève de Knysna en 2010. Depuis, il n’a fait que quelques piges dans les médias et entraîné le FC Nantes huit matchs en 2021 (quatre nuls et autant de défaites).
René Girard, adjoint des champions d’Europe
René Girard succède à Raymond Domenech en 2004 au poste de sélectionneur des Espoirs. Ce milieu de terrain passé par Nîmes (1972-1980, puis 1988-1991) et Bordeaux (1980-1988, trois titres de champion, deux Coupes de France) a connu le début des grandes années de l’équipe de France (sept sélections entre 1981 et 1982, dont cinq rencontres jouées lors de la Coupe du monde). Il entraîne ensuite Nîmes, Pau, Strasbourg et arrive à la Fédération en 1998 où il est adjoint de Roger Lemerre entre 1998 et 2002 (vainqueur de l’Euro 2000 et de la Coupe des Confédérations 2001), puis enchaîne avec les U19 (2002-2003), les U16 (2002-2004) avant de prendre les Espoirs pendant quatre ans. Il remporte le tournoi de Toulon en 2005 et échoue en demi-finale de l’Euro en 2006. Il quitte son poste en 2008, et reprend une carrière de coach en clubs (Montpellier, Lille, Nantes, Casablanca, Paris FC) avec en point d’orgue le titre de champion en 2012 avec Montpellier.
Willy Sagnol, l’habitude des sommets
Willy Sagnol est le sélectionneur des Espoirs qui a la carrière de joueur la plus riche, jusqu’à l’arrivée de Thierry Henry. Formé à Saint-Etienne, le latéral grandit à Monaco (1997-2000, un titre de champion) et devient une référence avec le Bayern (2000-2008, une Ligue des champions, cinq titres nationaux et quatre coupes). Avec les Bleus (58 capes), il remporte deux Coupes des Confédérations mais perd la finale de la Coupe du monde en 2006. C’est une blessure qui le contraint à mettre un terme à sa carrière. Il travaille à Saint-Etienne, puis au Bayern dans le domaine du recrutement avant d’être nommé manager des équipes de France en octobre 2011. Il reste en place jusqu’en 2014 et occupe le rôle de sélectionneur des espoirs la dernière année. Il quitte son poste pour entrainer Bordeaux où il ne reste que deux ans. Il a ensuite eu une expérience d’entraineur adjoint au Bayern auprès d’Ancelotti qu’il remplace pour quelques jours (28 septembre au 6 octobre 2017) lorsque l’Italien est évincé. Il est maintenant sélectionneur de la Géorgie (en poste depuis février 2021).
Le parcours de Thierry Henry va-t-il ressembler à celui de l’un de ses prédécesseurs ? On peut supposer que l’ancien buteur ne restera pas à ce poste aussi longtemps que Henri Guérin (13 années cumulées) ou Raymond Domenech (11 ans) mais qu’il aimerait avoir des statistiques aussi brillantes que celles de Willy Sagnol (sept victoires et deux matches nuls). Nul doute qu’il préférera suivre la voie de Marc Bourrier (1982-1993), seul entraineur titré avec les Espoirs (Euro 1988).
Si Thierry Henry parvient à conduire ses hommes à un trophée, que ce soit l’or olympique ou un titre européen, il deviendra un candidat sérieux pour le poste de sélectionneur des A. Dans tous les cas, un succès ferait aussi de lui le premier à être titré en Bleu à la fois chez les jeunes (Euro U19 1996) et les A (Coupe du monde 1998, Euro 2000 et Coupe des Confédérations 2003) [(2) A ce jour, 21 joueurs ont été titrés avec les Bleuets et les Bleus.]] , mais donc aussi en tant que sélectionneur des Espoirs.