Lire l’article Le premier but face aux Anglais, une histoire à rebondissements
Une dizaine de jours avant la rencontre France-Angleterre organisée au stade Pershing le 5 mai 1921, L’Auto commence à s’intéresser au sujet. Elle liste les sept défaites subies par les Français depuis 1906, mais n’oublie pas de souligner les progrès du football hexagonal et pense qu’une victoire est possible. L’édition du 1er mai revient sur le match de 1913 (défaite 1-4) qui reste à ce jour la meilleure performance française. Le journal met en avant les quatre internationaux qui jouent encore : le gardien Pierre Chayriguès (blessé), l’arrière Lucien Gamblin devenu capitaine, l’ailier gauche Raymond Dubly déjà perçu en 1913 comme la grande vedette qu’il a réussi à devenir et Henri Bard qui, s’il avait été fortement critiqué à l’époque, est reconnu en 1921 comme l’un des meilleurs avants qui soient.
Sous le patronage du comité du centenaire de la mort de Napoléon
Le 3 mai, l’équipe anglaise est présentée. S’il est bien précisé qu’il s’agit d’une équipe amateur, on note toutefois la présence de certains professionnels. Cela montre bien que les Anglais craignent la France. Ainsi, le gardien Coleman, considéré comme le meilleur à son poste chez les amateurs, ou Read le demi droit, sont tous les deux titulaires dans l’équipe pro des Anglais. Quant à l’inter gauche Prince, considéré comme l’un des deux ou trois meilleurs avant au monde, il est remplaçant dans l’équipe nationale professionnelle.
A la demande de la FFFA, ce match se joue sous le patronage du Comité du centenaire de la mort de Napoléon Ier. De nombreuses personnalités été également présentes, dont le Général Lauson, chargé de représenter le président de la République Alexandre Millerand qui n’a pu se libérer.
L’Auto du 5 mai 1921 (via BNF Gallica)
Six lignes téléphoniques installées en tribune de presse
L’organisation a aussi été prévue pour que le résultat puisse être transmis le plus rapidement possible, grâce à l’établissement de cinq lignes de téléphone pour la presse, ainsi qu’une sixième en lien direct avec l’Angleterre. Une tribune de presse a également été érigée pour permettre aux reporters de travailler dans les meilleures conditions possibles.
Enfin, pour être tout à fait complet, l’Auto rappelle le prix auquel seront vendues les places au stade Pershing. Il varie de 20 francs pour les Loges et chaises, à trois francs pour les populaires, en passant par 15 (tribunes), 10 (secondes) et cinq francs (populaires). Les moyens pour se rendre au stade (métro, tramway, autobus, train ou voiture) sont également précisés. La recette du match atteindra un chiffre record de 110.000 francs. Plus de 35.000 spectateurs prendront place dans les gradins, gratuitement pour certains, puisqu’un bon nombre a forcé les barrages après que la FFFA ait fermé les accès.
Le Miroir des Sports du 12 mai 1921 (via BNF Gallica)
Le match
La France aligne une équipe assez classique. Si on note le retour du gardien Maurice Cottenet, qui n’avait plus joué depuis le dernier France-Angleterre en avril 1920 et de l’arrière Marcel Vanco (absent lors des deux dernières rencontres), Lucien Gamblin en défense, François Hugues, Albert Jourda et Philippe Bonnardel au milieu, étaient déjà alignés lors du précédent match. Devant, Jean Boyer profite du forfait de Justes Brouzes pour accompagner les classiques Jules Devaquez, Paul Nicolas, Henri Bard et Raymond Dubly.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le match s’anime très rapidement. Les Anglais mettent tout de suite la pression sur l’arrière garde française, ce qui pourrait faire craindre le pire. Mais après une première incursion des Tricolores (tir de Dubly non cadré), les attaquants français repartent à l’assaut de l’arrière garde anglaise. Et c’est Devaquez, à la réception d’un centre de Dubly, qui ouvre le score (1-0, sixième minute). Le public a à peine le temps de célébrer ce succès que Farnfield remet les pendules à l’heure (1-1, neuvième minute).
La France va ensuite continuer à se procurer des occasions (Dubly 13e, Bard 15e, Gamblin sur coup-franc 18e) dans les minutes qui suivent avant de baisser un peu le pied. Les Anglais ne sont pas en reste, mais la défense français veille et Cottenet est peu sollicité. Il réalise toutefois quelques beaux arrêts à la demi-heure de jeu. La mi-temps est atteinte sur ce score de parité. La France a fait une bonne impression sur cette première période.
Les Tricolores tentent de forcer la décision dès le retour des vestiaires, Dubly contraignant Coleman à un bel arrêt dès la 50e minute. Mais les Anglais restent très dangereux en contre, Grant touchant même le poteau à la 55e. Alors qu’on atteint le milieu de la seconde période, Boyer, à la réception d’un centre Dubly, reprend victorieusement le ballon en ne laissant aucune chance à Coleman (2-1, 67e).
La dernière demi-heure s’annonce donc comme très chaude pour les Français et les Anglais durcissent le jeu. Dubly est contraint de sortir pour se faire masser, Bonnardel commence à boiter. Pourtant, Devaquez n’est pas loin de partir marquer un troisième but en contre, mais il est sifflé hors-jeu (à tort selon le compte-rendu du match). Puis Dubly frappe le poteau (75e), mais touché dans un choc (régulier), il doit se faire soigner ce qui suspend la partie pendant deux minutes. L’attaquant roubaisien est acclamé par le public lorsqu’il regagne sa place.
Les Anglais poussent de plus en plus, mais Cottenet s’interpose sur un tir de Farnfield (85e), et dans la minute qui suit il est suppléé deux fois par Gamblin, d’abord du pied, puis de la tête. Il n’y aura plus de situation chaude dans les dernières minutes. Et lorsque l’arbitre siffle la fin du match, le public envahit la pelouse. Dubly et Hugues sont portés en triomphe !
L’Auto du 6 mai 1921 (via BNF Gallica)
Les réactions
A l’issue du match, le capitaine Gamblin se dit au comble de la joie. Bon perdant, Prince, le capitaine anglais, apprécie les progrès considérables des Français. Le gardien anglais, Coleman, estime qu’un nul aurait été plus équitable mais reconnait un manque de réalisme de son équipe en première mi-temps et cite Bonnardel comme meilleur français. Quant à Hubant, du comité de sélection britannique, s’il reconnait la qualité du football français, il déplore le déclin du foot amateur. Il explique que ses meilleurs joueurs passent en pro dès qu’ils se font reconnaître, ce qui se fait donc au détriment du football amateur.
Le lendemain, L’Auto dresse une petite revue de presse avec les principales réactions suite à cette victoire. Si la presse française est forcément euphorique, les compte-rendu venant de l’étranger son intéressants. The Daily Mail (édition de Paris) explique que la France a gagné parce qu’elle avait la meilleure équipe et que les Tricolores ont entièrement mérité leur victoire. The New York Herald (édition de Paris) met en avant la partie de Dubly, Devaquez, Boyer, Gamblin et Cottenet. The Sportsman, illustre les progrès du football français, notamment à travers le nombre de ses spectateurs (30.000 lors de la victoire du 5 mai, contre seulement 500 pour une rencontre en 1909). Enfin, The sporting life apprécie aussi bien la magnifique combinaison sur le deuxième but français, que la qualité des arrières pour empêcher une égalisation anglaise.
L’Auto du 7 mai 1921 (via BNF Gallica)
Histoire de maillot
Le maillot utilisé ce 5 mai mérite qu’on s’y intéresse. C’est la maison Ducim, partenaire de la FFFA entre 1920 et 1923, qui l’avait réalisé. La France a joué avec un maillot bleu, un sort blanc et des chaussettes rouges. On note toutefois le retour du coq, après une première utilisation restée sans suite le 31 août 1920 en demi-finale des Jeux olympiques. Mais ce retour sera définitif, le coq n’ayant plus quitté la tenue de la sélection depuis (sauf rares exceptions).
Dans la semaine précédant le match, Ducim s’était offert un peu de publicité dans l’Auto en précisant que le ballon du match serait conçu par ses soins. Et à l’issue de la partie victorieuse, l’article de l’Auto rappelle que dix des onze vainqueurs avaient chaussé des souliers DUCIM.
Le Miroir des Sports du 12 mai 1921 (via BNF Gallica)
Comment l’histoire s’est prolongée…
La conséquence de cette victoire est que les Anglais vont maintenant envoyer leur équipe professionnelle pour affronter les Tricolores. Le match prévu le 28 février 1922 n’aura d’ailleurs par lieu, puisque les Anglais voulaient envoyer des pro, ce que la FFFA a refusé avant que les matches ne reprennent l’année suivante. Et les Français vont perdre les six matches suivants, tous à Paris.
Certaines défaites seront honorables (2-3 en 1925), mais d’autres rappelleront de cruels souvenirs à nos internationaux (0-6 en 1927). Ce n’est qu’en 1931 que les Français remporteront leur second succès face aux Anglais (5-2).
L’histoire des France-Angleterre reste tout de même un long chemin de croix pour nos Bleus. Si les larges défaites finissent par disparaitre (on note toutefois un 0-4 en 1957 et un 0-5 en 1969), le seul moment de gloire des Bleus sera l’élimination du Onze des Trois Lions en huitièmes de finale du championnat d’Europe 1964 (1-1 à Sheffiled, 5-2 à Paris).
Ce n’est que depuis la première victoire mondiale des Français que les choses ont changé. Au cours des huit matches joués depuis ce titre, les Bleus se sont imposés à cinq reprises, pour un nul et deux défaites (en amical). Mais cela n’allège pas le très lourd bilan de 24 défaites pour seulement 11 victoires (et six scores de parité), pour 47 buts marqués et surtout 135 concédés.