« Aujourd’hui j’ai marqué un but, mais il l’a arrêté ». Cette phrase devenue historique n’est pas de Randal Kolo Muani après son face à face perdu avec Emiliano Martinez en finale de la Coupe du monde 2022, mais du roi Pelé, mis en échec par Gordon Banks au premier tour de la Coupe du monde 1970. La déception est toutefois relative pour le génie brésilien, puisque son équipe s’impose (1-0), alors que la tentative manquée de l’attaquant français coûte sans doute un troisième titre mondial aux Bleus.

« Je commence déjà à courir pour célébrer »

Est-ce que l’action de Randal Kolo Muani était aussi nette que celle du Roi 52 ans plus tôt ? Difficile à dire. De nombreux supporters français, mais aussi argentins, ont toutefois cru que la finale allait se terminer sur cette action. Axel Disasi, tout juste entré en jeu, se voyait déjà en train de féliciter son partenaire. « C’est vrai qu’au moment où je vois Randal en face-à-face, l’adversaire avec qui je suis au marquage, je l’oublie, et je commence déjà à courir pour célébrer. Et au moment où le gardien arrête, il faut se reconcentrer tout de suite... Mais tu te demandes : ’Pourquoi, il ne l’a pas mise au fond ?’ Mais après, évidemment, je ne lui en veux pas, vu la finale qu’il a faite. » [1]

Petit rappel des faits. Alors que l’on joue la 123e minute, Ibrahima Konaté renvoie plein axe un ballon dégagé par les Argentins. Le défenseur albiceleste Nicolas Otamendi rate son interception et Randal Kolo Muani se retrouve seul à l’entrée des 16 mètres face au portier adverse. Il laisse la balle retomber, la reprend de volée et l’envoie à ras de terre sur la gauche d’Emiliano Martinez qui tel un gardien de handball réussit à la détourner du pied gauche. La suite, on la connait. Un nouvel échec des Bleus lors de la séance des tirs au but permet à l’Argentine offre à l’Argentine le trophée. En dépit d’une finale globalement ratée par les Français, les regrets sont grands. Et l’action de Randal Kolo Muani hante encore les nuits de nombreux supporters français.

« Je l’ai poussé à tirer là »

Ce qui n’est bien sûr pas le cas du portier argentin qui se régale à raconter l’action en détail. « Le ballon a pris un effet étrange après avoir rebondi et j’ai senti qu’il pouvait la reprendre de volée. Je suis alors sorti ’en diagonale’, en laissant volontairement un peu d’espace sur ma gauche, au premier poteau. Comme pour lui dire : ’vas-y, mets-là à cet endroit’. Je l’ai poussé à tirer là. Puis, au moment de sa frappe, j’ai détendu mon bras gauche et ma jambe gauche pour refermer l’angle. C’est quelque chose que j’avais travaillé, bien sûr. Le fait de m’être entraîné pendant des années avec de grands attaquants m’a aidé sur cette action. »

Il s’interroge aussi sur la qualité de ce sauvetage : « Le plus bel arrêt de ma vie ? Par rapport au moment, à la pression, au match... Clairement, oui, même si j’en ai fait des plus beaux dans ma carrière » [2]. Martinez précise d’ailleurs auprès du média TyC Sports : « J’ai peut-être fait des arrêts plus ou moins bons, mais celui-là restera à jamais gravé dans ma mémoire. Je pourrais effectuer 200 meilleurs arrêts par la suite, mais pour moi, ce sera le sauvetage de ma vie. Ce que j’apprécie le plus, c’est d’être resté calme au moment de la frappe, je n’ai pas couru en désespoir de cause, je n’ai pas reculé, je suis resté là où je devais rester. C’est ce que j’apprécie le plus mentalement. »

Le scénario est beaucoup moins heureux pour Kolo Muani qui s’est livré sur le sujet dans une longue interview pour L’Equipe [3]. « Ça aurait pu changer ma vie. J’aurais préféré la mettre au fond, comme tout le monde, comme tous les Français, mais c’est arrivé et ce sont les aléas de la vie. Après, quand je la regarde encore, je trouve que j’ai pas mal de possibilités. Mais sur le terrain, ça va trop vite. Je suis très léger avec tout ça. Cette action me donne envie de travailler devant le but. Je bosse et je pense que je suis en train de progresser. Ça va me donner le courage d’avancer pour la mettre la prochaine fois. »

« Avec la vidéo, je vois tellement d’options »

Avec le recul, l’attaquant français qui a visionné l’action maintes et maintes fois, se dit qu’il existait d’autres options que le tir, même s’il ne pense pas avoir été influencé par la position de Martinez. « Non, c’est juste ce que j’avais décidé. Après, il [Martinez] joue bien le coup parce qu’il fait un très bel arrêt. Oui. Je peux la décaler en diagonale pour Kylian (Mbappé), la lober, la tirer à gauche... Avec la vidéo, je vois tellement d’options. »

Mais même avec le recul et son envie de tourner la page, la blessure reste vive : « J’ai envie de passer à autre chose. Mais ça fait partie de mon métier. J’arrive à répondre, ce n’est pas comme si j’étais triste. Je ne vais pas l’oublier, jamais... On était à deux doigts de ramener la troisième étoile. Je ne vais pas mentir, j’ai la haine. »

Encore récemment interrogé sur cette action, Kolo Muani dit vouloir se servir de cette expérience malheureuse pour avancer « Je prends ça comme un mal pour un bien, donc je me relève et je me dis que la prochaine je vais la mettre au fond, clairement, ce ne sera pas moi qui sera triste. Il y a l’Euro à aller chercher. [4] »