Bleu merengue : Raymond Kopa, à jamais le premier

Publié le 30 mai 2022 - Pierre Cazal

S’il n’est pas le tout premier international français à avoir évolué au Real Madrid, Raymond Kopa est le premier à l’avoir fait alors qu’il jouait en équipe de France. Il est aussi le premier à avoir remporté une Coupe d’Europe, ainsi qu’un Ballon d’Or.

6 minutes de lecture

Suite à l’article Ce que l’équipe de France doit au Real Madrid, voici une série sur les quatre internationaux français les plus marquants du Real Madrid. Après Raymond Kopa (1956-1959), il y a eu Zinédine Zidane (2001-2006), Raphaël Varane (2011-2021) et Karim Benzema (depuis 2009). Chaque article est structuré de la façon suivante : le transfert, le bilan des années Real, le changement de statut en équipe de France, le départ et les statistiques.

Le transfert

Raymond Kopa est déjà une vedette en 1956, surnommé le « Napoléon du Football » par le critique anglais Desmond Hackett, et son club , le stade de Reims est prêt à le vendre [1], car il a un grand besoin d’argent (la manne des droits TV n’est pas encore d’actualité, les recettes proviennent seulement des guichets et sont limitées à Reims) tandis que le Real, qui n’a pas encore acquis la dimension mythique dont il jouit aujourd’hui, cherche à monter une grande équipe.

Kopa a été repéré à trois occasions déjà par le Real : lors du match France- Espagne à Madrid de mars 1955, où il a été éblouissant, marquant un but et donnant le second (2-1), ainsi que lors des deux finales gagnées par le Real face à Reims, pour la Coupe Latine en 1955 (2-0) et la Coupe d’Europe (la première) en 1956 (4-3).

A l’époque, il est peu fréquent que des Bleus s’expatrient : Emile Bongiorni, Lucien Leduc et Antoine Bonifaci en Italie, Larbi Ben Barek et Louis Hon en Espagne, c’est tout. Et cela signifie la fin de leur carrière en équipe de France, car il n’existe alors pas d’obligation pour les clubs étrangers de mettre leurs joueurs à disposition de leurs sélections nationales, et la FFF n’a pas l’habitude de retenir des joueurs opérant à l’étranger.

Kopa a le choix, car le Milan AC s’est mis aussi sur les rangs ; Reims n’a pas de préférence, c’est donc Kopa qui choisit, et il donne l’avantage au Real non pour sa valeur sportive mais parce qu’il lui propose un contrat à temps de 3 ans, au terme duquel Kopa sera libre. Alors que Milan propose un contrat semblable à celui qui existe en France, c’est-à-dire où le club est propriétaire du joueur en quelque sorte jusqu’à 35 ans. Kopa, qui dénoncera plus tard l’esclavagisme de ce type de contrat en France, sera même suspendu pour l’avoir clamé, mais sera ainsi à l’origine du contrat à temps, a donc choisi sa liberté.

Deux obstacles se dressaient cependant : la loi Moscardo d’abord, prise en 1953 en Espagne et interdisant le recrutement de tout joueur étranger ; elle fut abolie le 21 septembre 1956, et le contrat de Kopa signé… le 24 septembre ! Il fallait également que l’argentin Alfredo Di Stefano, la star de l’équipe, soit naturalisé, car une seule place d’étranger était autorisée alors. Ce fut chose faite le 13 octobre et Kopa put enfin débuter en Liga [2].

Bilan des années Real

Côté pile : 2 titres de champion d’Espagne (en 1957 et 1958), 3 Coupes d’Europe (gagnées en 1957 face à la Fiorentina, en 1958 contre l’AC Milan et en 1959 devant Reims, encore) plus une Coupe Latine (gagnée en 1957 face à Benfica). Que rêver de mieux ? Kopa s’impose dans la ligne d’attaque du Real (qui évolue théoriquement en WM, avec 5 attaquants)… à l’aile droite, le poste de ses débuts, mais qui n’est plus le sien au moment où il rejoint le Real. Il est un titulaire de plus en plus indiscuté : 22 matches (sur 30) en 1957, 27 en 1958, et 30 en 1959 en championnat ; 8 (sur 8), puis 7 et enfin 6 en Coupes d’Europe, sans oublier les 2 matches de Coupe Latine, et il y est victorieux 16 fois sur 23, soit 69 % de victoires. Le Real est une machine à gagner, Kopa en est un des rouages.


 

Côté face : « exilé » à l’aile droite, Kopa n’a pas l’influence qu’il avait au stade de Reims, dont il était le « patron » du jeu. Il déchante vite, car il croyait pouvoir partager le leadership avec Di Stefano, mais ce n’est pas le cas. Au cours de la saison 1958-59 , le nouvel entraîneur Luis Carniglia , qui a joué à Nice et parle français, a tenté de changer la donne en plaçant Kopa à son poste de prédilection, en « faux numéro 9 » positionné en retrait, à la hongroise : le premier match fut gagné 5-0 face à l’Atletico de Madrid (2 buts de Kopa) et le second 2-0 face à Oviedo, avec deux autres buts de Kopa.

Mais pour le match suivant, Di Stefano récupéra la place d’avant-centre, sans aucune explication de Carniglia (argentin lui aussi). Pourquoi ? Parce que Di Stefano était allé trouver le directeur sportif, Luis Antonio Ipina, véritable décisionnaire. Di Stefano, joueur extraordinaire et moderne qui couvrait tout le terrain de sa propre surface de réparation à celle de l’adversaire, et qui était le buteur n°1 du club, exerçait un pouvoir sans partage et était intouchable. Kopa ne pouvait pas prendre sa place, il ne lui restait qu’à se contenter de l’aile droite, alors que le jeu du Real tendait à pencher à gauche, où déboulait de façon impressionnante « Paco » Gento. Il ne restait que des miettes à Kopa.

Le changement de statut en équipe de France

A partir du moment où Kopa joue en Espagne, il n’est plus sélectionné. Il est donc absent pendant 13 matches (d’octobre 1956 à avril 1958) et perd son statut. Il n’est pas vraiment remplacé cependant et quand il revient l’équipe de France n’a plus gagné depuis 6 matches, les critiques pleuven , la confiance est tombée à zéro au moment de partir en Suède se préparer à jouer la Coupe du monde. Le sélectionneur et l’entraîneur des Bleus sont les mêmes qu’à son départ pour l’Espagne : Paul Nicolas et Albert Batteux. Ils croient toujours en Kopa et comptent sur lui.

Ils ne se trompent pas : bien qu’ayant perdu au Real l’habitude de régir le jeu, Kopa noue d’emblée une grande connexion avec Just Fontaine, d’où naîtra le (demi) succès inattendu de la 3ème place en Coupe du monde. A titre personnel, Kopa sera élu meilleur joueur du tournoi (que Di Stefano ne joue pas, l’Espagne n’étant pas qualifiée pour la phase finale) et il recevra en fin d’année le Ballon d’or (il avait été classé 3ème en 1956 et 57 et sera encore second en 1959).

Kopa a donc pleinement retrouvé son statut et il trouve chez les Bleus une consolation de ses déboires au Real. Certes, il gagne avec le Real, tandis qu’il perd en demi-finale avec les Bleus, mais le prestige qu’il en retire est plus grand dans cette défaite que dans ces victoires dont il n’est pas l’artisan majeur.

De retour au Real, il cesse à nouveau d’être sélectionné pour un an, et retrouvera une seconde fois les Bleus une fois revenu à Reims, à partir d’octobre 1959. Il n’a que 28 ans, a rajouté une troisième Coupe d’Europe à son palmarès (qui plus est face à son ancien… et futur club , Reims), et on attend toujours beaucoup de lui. Mais les blessures vont s’enchaîner : deux opérations à la cheville en 1960 et 1961 le laissent diminué. Il ne peut disputer l’Euro 1960, qui voit l’équipe de France chuter et y perdre tout le prestige gagné en 1958 ; il ne dispute pas non plus les matches essentiels pour la qualification à la Coupe du monde 1962, face à la Bulgarie.

Il perd son aura : on critique son style de jeu, basé sur le dribble ; accusé de ralentir le jeu, il est matraqué sur les terrains et dans la presse. Pour achever le tout, le nouveau sélectionneur Georges Verriest s’acharne sur lui, invoquant une mauvaise mentalité, le traitant de « planeur » qu’il faut « écarter ». Kopa est même suspendu (un mois et demi !) par la FFF pour avoir refusé de jouer contre la Bulgarie (encore elle) en octobre 1963, à la suite des attaques de Verriest. La presse se divise et l’image de Kopa en sort affaiblie.


 

Le départ

Kopa avait reçu une offre de prolongation de 5 ans à la suite de sa Coupe du Monde, mais il l’a refusée, n’acceptant de prolonger que d’une année. Ce qui fut une erreur, car le Real n’accepta cette prolongation que pour mieux revendre Kopa… à Reims, alors qu’il serait parti libre à la même date (juillet 1959) s’il n’avait pas signé ! En fait, le Real avait déjà ce qu’il lui fallait puisqu’il avait engagé le Hongrois Ferenc Puskas en 1958, et que celui-ci était parfaitement toléré par Di Stefano puisqu’il se contentait d’être un buteur et ne voulait pas marcher sur les plate-bandes de l‘ex-argentin en réclamant de mener le jeu ! Le rêve du Real était déjà d’entasser les vedettes, aligner Kopa, Di Stafano et Puskas, un rêve qui fait penser à celui du PSG avec Mbappé, Messi et Neymar, mais qui pose souvent plus de problèmes qu’il n’offre de solutions.

Bien qu’ayant réalisé une excellente dernière saison avec le Real (30 matches, 10 buts en championnat, 6 et un but en Coupe d’Europe), Kopa ne partit pas vraiment par la grande porte du Real. Voici ce qu’il déclare à Marca, à son départ : « No me gusta el puesto de extremo y ademas, mi aislamento se prolonga en el interior del club. » Traduction : je n’aime pas le poste d’ailier, et de plus, mon isolement se prolonge à l’intérieur du club. Déclaration qui en dit long sur ses frustrations.

De retour à Reims où il retrouva Batteux, mais aussi ses partenaires de l’équipe de France Fontaine, Piantoni et Vincent, Kopa déchanta après une première saison brillante qui permit à Reims de gagner le championnat. Par la suite, les blessures de Fontaine et Piantoni démantelèrent l’équipe, que Batteux finit par quitter. Plus dure fut la chute : en 1964, le stade de Reims fut relégué en deuxième division ! Généreux, Kopa décida de rester et d’aider son club à se redresser, ce qu’il fit, remontant en première division en 1966. Kopa joua donc sa dernière saison en 1966-67, mais sans pouvoir éviter à Reims de rechuter à nouveau en deuxième division. Il se résolut à ce moment-là à mettre un terme à sa carrière.

Les statistiques

Avant le transfert au Real :
158 matches pour Reims, de 1951 à 1956, et 48 buts en championnat ; 2 titres (1953 et 55).
Une Coupe Latine (1953) gagnée face à l’AC Milan 3-0 (2 buts de Kopa), deux finales perdues, l’une de Coupe Latine en 1955, l’autre de Coupe d’Europe 1956, face au Real ; 11 matches européens, 2 buts.
24 sélections en équipe de France depuis 1952, 13 buts, dont 4 matches de Coupe du monde (2 en qualification, 1 but, 2 en phase finale en 1954, 1 but)

Pendant le contrat le liant au Real
79 matches de Liga et 24 buts, 2 titres (1957 et 1958),
3 Coupes d’Europe (1957,58 et 59) et une Coupe latine (1957), 23 matches européens, 6 buts.
7 sélections en équipe de France, dont 6 en phase finale de Coupe du monde 1958, 4 buts, dont 3 en Coupe du monde

Après avoir quitté le Real
190 matches et 27 buts pour Reims en Division 1, de 1959 à 1967, 2 titres (1960 et 62), plus 56 matches et 6 buts en division 2, 1 titre (1966)
8 matches de Coupe d’Europe (1960-1963), aucun but
13 sélections de 1959 à 1962, 1 but.

[1Pour 52 millions d’anciens francs, soit environ 79 000 euros.

[2Le tout premier international français du Real a été René Petit en 1914-1917.

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