Les premiers Bleus : Marius Royet, fauché en Argonne

Publié le 15 septembre 2023 - Pierre Cazal

Avec des dates de naissance et de décès corrigées, Marius Royet est l’un des internationaux français morts au combat lors de la Première Guerre mondiale. Auparavant, il s’est illustré en sélection par la finesse de sa technique.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Avec 9 sélections sur 11 possibles (sachant que deux sélections différentes ont été alignées contre le Danemark aux jeux Olympiques), Marius Royet fut l’élément indispensable de l’équipe de France USFSA (1904-1908), sa seule absence, alors qu’il était convoqué, s’expliquant par une indisponibilité. [1]

Indispensable, car il est l’animateur de la ligne d’attaque : il tient la balle, passe avec précision et cadre ses tirs. D’un gabarit léger, il pratique un jeu d’évitement, et domine la balle au point de pouvoir placer le ballon là où il le veut, et en particulier là où le gardien de but adverse n’est pas, ce qui n’est pas fréquent à cette époque où la technique d’ensemble reste rudimentaire. Par exemple, il tire les pénalties dans le petit filet, ou bien, au lieu de tirer en force, il lobe le gardien.

On relève ce compliment à son égard, en 1905 : « Royet, dont le jeu particulièrement brillant a été très applaudi, s’empare du ballon au milieu du terrain, part en dribble et évite l’arrière, arrive à 3 mètres des buts et fait passer la balle au-dessus de la tête de Crowe » (gardien de but de l’équipe anglaise des Arcadians, qui se jette alors dans les pieds de Royet). Royet est même porté en triomphe par le public enthousiaste, et qualifié par la presse de « virtuose ».

L’équipe de France à Saint-Cloud le 22 avril 1906 avant son match contre la Belgique. Marius Royet est accroupi, au milieu

Une virtuosité toute relative, car Royet ne gagne avec l’équipe de France que deux de ses neud matchs et ne marque personnellement que deux buts (sur les huit inscrits par l’équipe), ce qui ne suffit pas à en faire un joueur réellement décisif. Il a joué 4 fois contre l’Angleterre, 2 fois avant la rupture de l’USFSA avec la FIFA et la FA anglaise, et 2 autres fois après, contre la sélection anglaise de l’Amateur FA (dissidente de la FA, la Football Association créée en 1863, qui gérait professionnels et amateurs), sans parvenir ni à marquer, ni à donner une passe décisive, les scores se passant de commentaires : 0-12 (1906), 0-15 (1908), puis 0-9 (1909) et 0-20 (1910) !
Mais, au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, comme le veut le dicton…

Marius Royet (plus exactement Aimé Marius Hector) est né le 10 janvier 1881 à Limours (aujourd’hui dans l’Essonne) et pas en 1880 comme cela figure dans certaines sources qui le confondent avec un homonyme, le faisant mourir en 1918, alors que c’était en 1915, on y reviendra. Mais ses parents étant venus s’établir dans le 20ème arrondissement de Paris, Marius Royet n’a connu que des clubs parisiens, à commencer par la modeste Société Parisienne des Sports Athlétiques (SPSA), où avaient également débuté les frères Charles et Georges Bilot, le gardien de but Beau (Henri Coulon), ou encore Louis Mesnier, dans les jardins des Tuileries (!), des parties évidemment officieuses, sur un terrain forcément non règlementaire, et au milieu des promeneurs !

Puis il était passé à l’US Parisienne, qui évoluait, elle, dans le championnat officiel de Paris et où Royet se fit remarquer dès 1901. On le voit en effet retenu dans une sélection de Paris opposée au champion de Paris et de France, le Standard AC, qui est un club composé d’Anglais. La sélection parisienne, pour l’occasion, se veut uniquement française et Royet figure dans une ligne d’attaque qui comprend Peltier, Garnier et Canelle, qui avaient disputé le tournoi olympique de 1900. En définitive, il ne jouera pas, sans qu’on en connaisse la raison (accidentelle cat il est remplacé par le gardien de but prévu, Huteau), mais le fait qu’il ait été sélectionné prouve que sa valeur était déjà reconnue.

Toutefois c’est en 1904 qu’il s’impose, participant pleinement à l’aventure que fut la création d’une véritable équipe de France, en trois actes. Le premier fut d’affronter le club professionnel anglais du Southampton FC (1-6), le second de se mesurer aux fameux Corinthians, le nec plus ultra du football amateur (4-11) et le dernier, de défier à Bruxelles l’équipe nationale belge (3-3) . Royet fut des 3 matchs, il fut aussi de celui joué en mars 1905 contre l’équipe de Londres (1-5), prélude à l’affiliation anglais à la FIFA et au premier France-Angleterre l’année suivante, où Royet fut également. Que des défaites (le match nul de Bruxelles excepté), mais c’était sans importance.

La grande différence entre le football des années 1900 et celui des années 2000, c’est justement que, illustrant l’idéal olympique (qui a bien changé depuis) l’essentiel était de participer. Perdre, même dans des proportions importantes, n’était pas ressenti comme humiliant, sauf contre le Danemark en 1908 (le fameux 1-17) et aussi contre l’Angleterre en 1910 (0-20, il faut dire !), parce que là, trop, c’était quand même trop. Mais 0-12 contre les Anglais, perçus comme des maîtres, 0-5 contre les Belges, ça passait, alors qu’on imagine sans peine le tsunami médiatique que de tels scores déclencheraient aujourd’hui, où l’on n’accepte plus la moindre défaite…

Parfait amateur, Royet est resté fidèle à l’USFSA, dont il avait commencé à intégrer les cercles dirigeants dès 1904, et que l’on retrouve à la Commission d’association en 1910, lorsque celle-ci fut affaiblie par les désertions de certains grands clubs s’affiliant au CFI pour pouvoir réintégrer la FIFA et jouer des parties internationales, de plus en plus prisées, dont ils étaient privés. Il avait rejoint en 1909 le très chic Stade Français et y finit sa carrière de joueur, entrecoupée de nombreuses absences pour raisons de santé.

Et à ce sujet, on ne peut manquer de relever une étonnante contradiction : Marius Royet est en effet réformé par l’Armée pour « faiblesse générale » en avril 1903, décision prorogée le 5 mars 1904, puis encore le 4 mars 1905. Or, Royet joue contre Southampton (et sans problème) le 13 mars 1904, soit une semaine après le diagnostic pour le moins curieux de faiblesse générale, et de la même façon il joue contre Londres le 8 mars 1905… quatre jours après que la commission de réforme a confirmé sa fameuse « faiblesse générale ». Comprenne qui pourra !

En dehors d’une hydrocèle (bénigne), aucune justification médicale n’est fournie pour expliquer cette fameuse faiblesse qui, pourtant, accablerait le joueur pendant deux longues années… mais pas sur les terrains de sport ! Royet n’était pas un athlète et le rythme des parties, au début du siècle passé, ne présentait aucune intensité, sauf pour les « descentes » des ailiers ; pas ou peu de duels aussi, le football s’étant différencié du rugby justement par son refus des chocs physiques ; pas d’obligation de présenter un certificat médical d’aptitude à l’époque (on a vu dans un article précédent qu’une pathologie cardiaque n’avait pas empêché André Renaux de jouer).

Quoi qu’il en soit, Marius Royet a décidé, en dépit du diagnostic posé par le service médical des Armées, de continuer quand même à jouer, et il paraît assuré que l’USFSA, si elle a eu connaissance de la réforme du joueur, ne se soit pas souciée d’en connaître les causes, ou ait décidé de n’en pas tenir compte. En 1906, plus de faiblesse générale, Royet est enfin déclaré bon pour le service, qu’il accomplit à Auxerre.

Venons-en maintenant à son décès : c’est son homonyme, né en 1880, chasseur alpin, qui est mort en novembre 1918 à Mannheim de la grippe espagnole ; les deux Marius (qui ne se connaissaient pas) avaient en commun, outre le prénom, d’être caporal-fourrier, c’est-à-dire dans l’intendance et non dans une unité de combat. Marius Royet, le joueur, est mort le 9 janvier 1915, au bois de la Chalade, dans la forêt d’Argonne, sur une ancienne voie romaine suivant la ligne de crête.

Voici la version donnée par l’Armée : « a été frappé mortellement au moment où, sous un feu violent, il soutenait son lieutenant blessé lui-même mortellement ». Version rapportée dan l’Auto, bien plus tard (le 28 décembre 1915) : « a été tué en chargeant à la baïonnette, nous écrit le cycliste châlonnais Abel Lefrançois. C’était mon caporal d’escouade : sa mort fut terrible, son agonie fut atroce ». Version fausse, un caporal-fourrier ne charge pas l’ennemi à la baïonnette, mais pas complètement incompatible avec la version officielle : Royet a pu vouloir secourir un officier tombé lors de la charge qu’il commandait, et être fauché par les mêmes mitrailleuses allemandes.

Marius Royet s’inscrit donc dans le long martyrologue des Bleus morts pour la France.

Les 9 matchs de Marius Royet avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 deuxième buteur de l’histoire
2 Amical 12/02/1905 Suisse Paris (Parc) 1-0 passeur décisif
3 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 première défaite
4 Amical 22/04/1906 Saint-Cloud Belgique 0-5 90
5 Amical 01/11/1906 Paris Angleterre 0-15 90 plus large défaite à domicile
6 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 2-1 90 deuxième but
8 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90
9 Amical 10/05/1908 Rotterdam Pays-Bas 1-4 90

[1Il est d’ailleurs le premier détenteur du record de sélections en 1908, qu’il gardera jusqu’en avril 1911 où il sera dépassé par Jean Rigal.

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