Les premiers Bleus : Daniel Mercier et Maurice Meunier

Publié le 16 février 2024 - Pierre Cazal

Les deux pensionnaires de l’Etoile des Deux Lacs n’ont laissé que peu de traces dans l’histoire de l’équipe de France, hormis trois sélections en 1910 pour Daniel Mercier, tué au front en août 1914, et une en 1909 pour Maurice Meunier.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
4 minutes de lecture

Quels sont les points communs de ces deux « sans-grade » des Bleus, outre le fait qu’ils partagent cinq caractères sur sept dans leur patronyme ? Tout d’abord qu’ils portaient le maillot de l’Etoile des Deux-Lacs, et surtout qu’ils ne furent que de passage chez les Bleus : trois petites sélections et s’en va pour Mercier dans l’année 1910, et une seule en 1909 pour Meunier, rien que des défaites (parfois cuisantes), zéro exploit.

Circulez, y a rien à voir ? On va quand même voir…

Un électricien et un chauffeur-livreur

Daniel Mercier est né le 2 juillet 1892 à Saint-Denis, mais résidait dans le 16e arrondissement de Paris ; Maurice Meunier était son aîné de deux ans, né le 27 janvier 1890 dans le 16e également. Ne pas croire que c’était un arrondissement de privilégiés comme il a la réputation de l’être actuellement : les origines des deux hommes sont modestes. L’un devint électricien, et l’autre chauffeur-livreur en automobile, ce qui était encore exceptionnel à l’époque, où le cheval restait roi dans les transports.

Tous deux signèrent à l’Etoile sportive des Deux-Lacs (EDL), club issu du patronage de la paroisse Saint-Honoré d’Eylau, créé par l’abbé Biron en 1898. Les deux lacs en question sont ceux du Bois de Boulogne, le lac supérieur et le lac inférieur, bien connus des Parisiens, et l’EDL jouait sur la pelouse de La Muette, située à proximité des lacs, et de la porte de La Muette. Maillot grenat avec une étoile bleue : l’étoile était un symbole apprécié dans les clubs sportifs, en 1900, bien avant de finir sur les maillots des équipes championnes du monde !

Maurice Meunier, meilleur au 110 mètres haies

Commençons par Maurice Meunier, dont la carrière footballistique est météorique. Il signe à l’EDL en 1907. Son prénom, Maurice, figure en toutes lettres sur les registres d’affiliation publiées sur la revue Les Jeunes : donc, pour une fois, pas de problème d’identification à l’état-civil. Il accède à l’équipe première lors de la saison 1908-1909, et opère à l’aile droite. Une belle prestation, en mars 1909 (un but et un centre décisif), contre les Belges de l’Union Saint-Gilloise, club alors prestigieux outre-Quiévrain, lui vaut d’être illico retenu par le CFI pour le match international joué à Bruxelles contre ces mêmes Belges, alors qu’il ne figurait pas dans les formations A et B du match de sélection disputé un mois auparavant !

Mais la dernière impression est toujours la plus forte, on le sait, et plus d’un sélectionneur a succombé à la tentation de choisir un joueur parce qu’il avait accompli un beau match sous ses yeux ! Meunier n’y déçoit pas d’ailleurs, il délivre encore un centre décisif, validé par Henri Mouton, réduisant le score à 1-2… mais c’est ensuite l’effondrement (2-5).

  • La Vie au Grand Air du 15 juillet 1919 (BNF Gallica)

On ne le reverra plus en bleu parce que Meunier change de club. Il signe au CASG, le club des banquiers (de la Société Générale), qui recrute en tenant peu de compte de l’amateurisme ! Meunier y sera chef de service du département automobile, puisqu’il sait conduire (pas de permis alors, ni de code de la route : un certificat de capacité minimal, délivré par les constructeurs automobiles eux-mêmes dès 1893. Le code date de 1921, le permis de 1922, les feux rouges de 1923, c’était une tout autre époque !). Le CASG est affilié à l’USFSA, et non au CFI, ce qui rend Meunier non éligible pour l’équipe de France, du moins de football.

Car Meunier est avant tout un athlète, qui joue au football pour entretenir sa forme en hiver, et pratique l’athlétisme dès le printemps venu. Il le faisait déjà sous les couleurs de l’EDL et s’était spécialisé dans l’épreuve du 110 mètres haies, avec un record, pour la FGSPF, qui tiendra plus de 20 ans : 18 ‘’4. Ne riez pas, sachant qu’on court la distance en 13’’ aujourd’hui. L’évolution des pistes, des chaussures, et surtout de l’entraînement explique la progression des records. Son record personnel, Meunier le portera à 16’’8 en gagnant le 110m haies des jeux Interalliés de 1919, ce qui constitue son unique trophée.

  • Daniel Mercier (en maillot foncé, à gauche) avec l’Etoile des Deux Lacs contre English Wanderers le 30 octobre 1910 (photo agence Rol, BNF Gallica)

Daniel Mercier, tué dans le premier mois de la Grande Guerre

Quant à Daniel Mercier, plus petit que Meunier (1,68 m contre 1,75 m), électricien, il apparaît dans les équipes de l’EDL en 1909, et il prend la place de son coéquipier de club Gaston Brébion en sélection, pour les trois matchs de 1910, et chaque fois flanqué de Simon Sollier : il n’a pas encore 18 ans. Trois défaites, face aux Belges (0-4), aux Anglais (1-10) et aux Italiens (2-6), qui n’empêcheront pas le CFI de voir son affiliation temporaire à la FIFA, accordée en décembre 1908, devenir définitive lors du Congrès de Milan (à l’occasion duquel se joua le match France-Italie).

On dispose de plus d’appréciations sur le style de jeu de Mercier que sur celui de Meunier ; voici un florilège. « Petit, râblé, joue de volée et dégage fort, n’importe où » ; contre les Belges : « le meilleur arrière fut incontestablement Mercier, adroit et très vite. Il dégage puissamment, mais sans direction ». Ou encore, en décembre 1910 : « Mercier joue à toutes les places et est très fougueux, mais devrait jouer moins dur. » De tout ceci, il apparaît que Mercier est un joueur de combat, de duel, et qu’il joue en force. Il est polyvalent : on le trouve en n°9 à l’EDL, pour dépanner, il marque même deux buts en décembre 1910, car il n’hésite pas à jouer de volée et son tir est aussi puissant que ses dégagements.

Engagé volontaire pour trois ans sous les drapeaux en juillet 1910, il disparaît de la sélection, même s’il sera remplaçant lors du match de sélection d’octobre 1911 ; mais il est désormais barré par les Alfred Gindrat, Joseph Verlet ou autres arrières des clubs de la LFA, nouveaux affiliés au CFI (on en reparlera à l’occasion). Il quitte même l’EDL en 1912 pour signer au modeste club de l’ES du 13e arrondissement (comme Sollier, et peut-être à son instigation ?), qui évolue dans les séries inférieures de l’USFSA : on l’y voit en 1914. Mais il est rappelé à son régiment (103ème d’Infanterie) dès le 3 août 1914 et monte au front. Il y sera tué le 22 août 1914 à Ethé, dans les Ardennes belges, lors de ces combats sauvages où l’armée du Kaiser se distinguera par des exécutions de civils, notamment à Dinant, ville-martyr à l’égal d’Oradour-sur-Glane 30 ans plus tard.

Maurice Meunier, pour sa part, échappe à la mort ; la perforation d’un tympan, due à l’explosion d’un obus à proximité, mais dont les éclats ne le touchèrent pas, le fit réformer et affecter à un « escadron du train », en fait au service automobile, permettant le transport de troupes, d’armes et de vivres. Il est décédé le 27 février 1971 à Courbevoie, où il s’était établi depuis 1929.

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

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Les trois matchs de Daniel Mercier avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 03/04/1910 Gentilly Belgique 0-4 90
2 Amical 16/04/1910 Brighton Angleterre 1-10 90
3 Amical 15/05/1910 Milan Italie 2-6 90

Le seul match de Maurice Meunier avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 09/05/1909 Bruxelles Belgique 2-5 90
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