Pieds-noirs en bleu (1) : le temps de l’amateurisme (1922-1932)

Publié le 13 septembre 2021 - Pierre Cazal

En 1922, alors que l’équipe de France est au fond du trou, le club algérien de Sidi Bel Abbès crée la surprise en battant le grand Red Star. Les sélectionneurs croient alors trouver le filon et appellent quinze pieds-noirs jusqu’en 1932. Voici leur histoire.

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Le terme pied-noir désigne les colons européens venus s’installer en Algérie à partir de 1840, et repartis en 1962 à l’indépendance. Européens et pas seulement Français, car le recensement de 1881 indique que les colons venus de France ne représentaient qu’à peine la moitié du contingent, le reste étant composé d’Espagnols, venus surtout d’Andalousie, d’Italiens et de Maltais, qui furent naturalisés français par le décret de 1889.

Ces origines diverses se reflètent dans les patronymes des 34 pieds-noirs qui ont revêtu le maillot bleu : les Alcazar, Baeza, Frutuoso, Rodriguez et même Villaplane (qui s’appelle Villaplana en réalité) avaient des origines espagnoles plus ou moins lointaines ; les Bonello et Zatelli italienne et les Bardot, Brusseaux ou autres Jasseron françaises.

Les premiers clubs avaient été fondés presqu’en même temps que ceux de la Métropole (on appelait ainsi l’Hexagone alors) : 1894 pour les Joyeusetés d’Oran, 1906 pour le Sporting de Sidi Bel Abbès, 1908 pour le Gallia d’Alger. Tous s’affilièrent à l’USFSA, et un premier championnat fut organisé en 1913. L’Algérie comptait 3 Ligues (Alger, Constantine et Oran), le Maroc et la Tunisie (qui n’étaient que des protectorats et non des colonies comme l’Algérie, nuance d’importance) une chacune, et des compétitions interligues se créèrent. Mais le football d’Afrique du Nord vivait en parallèle de celui de la Métropole.

Précisons enfin que si la majorité des clubs étaient l’affaire des colons européens, des musulmans pouvaient y être intégrés (ce fut le cas pour Benouna, Ben Bouali et d’autres).

Cette première partie traitera de l’époque amateur, qui se termine en Métropole en 1932 : en Algérie, aucun club ne fut jamais professionnel, jusqu’en 1962.

Le Red Star battu par le SC Bel Abbès en 1922

La révélation de la qualité du football algérien survint brusquement en 1922, lorsque le SC Bel Abbès, champion d’Afrique du Nord, vint rencontrer à Paris le Red Star, tenant de la Coupe de France (à laquelle ne participaient pas les clubs d’Afrique du Nord) et le battre 2-1, deux buts du petit Pozo. Voici la composition de l’équipe de Sidi Bel Abbès : Turin, Manzanarès, Rebora, Blaison, Eradès, Rodriguez, Alcocel, Liminana, Schmidt (un légionnaire allemand), Munoz, Pozo.

Les sélectionneurs (ils étaient alors cinq) se frottèrent les mains, car l’équipe de France était alors en plein marasme et cherchait de nouvelles têtes, dans la perspective des Jeux Olympiques de 1924 à Paris, et où il importait de briller ! Ils mirent sur pied un match France B–Afrique du Nord en octobre 1923, parallèlement à un France-Norvège, perdu 0-2… alors que l’Afrique du Nord gagna 3-2. Bien sûr, France B ne comportait que des doublures, à côté des Huot, Dedieu ou Moulène ; mais c’était quand même une sensation que de voir les Dossat, Carol, Lacombe, Rodriguez, Mascherpa, Abdel (seul musulman), Liminana, Salvano, Maresca, Munoz et Bonello gagner grâce à deux buts de Salvano et un de Maresca !

Cela demandait confirmation : France B se rendit à Alger et prit 3-0 en avril 1924, grâce à L. Vincent, Clément, Carol, Blaison, Mascherpa, Bouche, Pons, Salvano, Chesneau, Vidal et Bonello (deux buts de Salvano, un de Chesneau) : les sélectionneurs se décidèrent à convoquer quatre Nord-Africains, qui prirent le bateau puis le train pour jouer à Paris avec France A un match officieux d’entraînement contre la Hollande du Sud en mai 1924 : Pierre Chesneau, Marcel Clément, André Liminana et Henri Salvano, tous de Blida, revêtirent donc le maillot bleu mais, comme le rapporte Gabriel Hanot, « Si le premier match des 4 Algériens ne fut pas une désillusion, ce ne fut pas non plus une source d’enthousiasme. » (0-0). L’expérience fut renouvelée, cette fois-ci avec France B, une semaine plus tard, contre l’Egypte (2-2), et bien que Chesneau ait marqué un but, les sélectionneurs ne les estimèrent pas mûrs pour jouer le tournoi olympique.

L’habitude des terrains secs sans gazon

Chesneau, en guise de consolation, eut le droit de jouer une mi-temps contre la Hongrie en juin (0-1) avant de repartir : il avait laissé passer sa chance. Comment s’en étonner ? Les styles de jeu entre les Africains du Nord, habitués à évoluer sur des terrains secs sans gazon sur lesquels la balle rebondit haut, dans un « kick and rush » basique fait de longues balles aériennes et de duels, et les métropolitains, qui pratiquaient un jeu de passes jugé « scientifique », étaient peu compatibles. Et il ne suffisait pas d’insérer sans aucune préparation les joueurs d’Algérie pour qu’ils s’adaptent.

Pour autant, le match Métropole-Algérie, ou Afrique du Nord, devint un classique du calendrier. En janvier 1925 à Sète, les Algériens l’emportèrent encore une fois sur France A par 2-1, grâce à deux buts de Bardot avec Dossat, Manzanarès, Jouguet, J Roriguez, Hilpert (autre légionnaire allemand), Lacombe, Kessler, Liminana, Bardot, Alcocel, Pellet.

Les sélectionneurs décidèrent alors de tester des joueurs d’Afrique du Nord lors de matches officieux contre les Brésiliens du CA Paulistano (emmenés par le mythique Arthur Friedenreich et le futur international italien Guarisi, appelé Filo, ainsi que Preguinho qui joua la Coupe du monde 1930 sous le surnom de Neto) : Manzanarès, Bardot, Liminana ; mais l’écart de niveau était abyssal, d’où le score de 2-7 ! (les deux buts de Bardot , quand même).

Puis contre le Nacional de Montevideo (avec Andrade, Petrone et Romano, les champions olympiques) Liminana eut une seconde chance, ainsi que Pozo, qui évoluait alors au FC Rouen et avait quitté l’Algérie (0-0). Résultat : pour affronter l’Italie en match officiel trois jours plus tard en mars 1925, Bardot, Liminana et Pozo furent sélectionnés : mais, désastre (0-7) !

Rebelote en 1926, un France B–Métropole est joué à la Noël 1925 (2-1), avec Vincent, Carol, Clément, Lacombe, Covès, Rodriguez, Relinger (venu de Tunisie), Liminana, Bardot, Chesneau, Bonello : les sélectionneurs retiendront, pour affronter le Portugal (4-2) puis la Suisse (1-0) en avril 1926, les attaquants Salvano et Bonello, qui pour la première fois se montrèrent décisifs face aux Portugais (un but et une passe décisive pour Salvano, un but et deux passes décisives pour Bonello).

Fin de l’illusion

En 1927, le match contre la Métropole, joué à Paris, tourne pour la première fois à la catastrophe pour les Africains du Nord : 2-7 avec Salas, Laffargue, Carol, Mezziani (musulman), Rehn (légionnaire allemand, encore), Lacombe, Liminana, Salvano, Chesneau, Alcocel, Bonello ; Bonello est quand même retenu pour jouer contre le Portugal en mars, mais la lourde défaite (0-4) l’élimine ensuite. A partir de cette date, plus aucun pied-noir jouant en Algérie ne sera convoqué en équipe de France ; par contre, ceux qui ont signé pour des clubs de métropole (par exemple Villaplane ou Alcazar) le seront, eux.

Fin de l’illusion d’avoir trouvé en Afrique du Nord un vivier de footballeurs susceptible de régénérer le football français, alors au plus bas…

Quelques mots cependant sur les pieds-noirs en bleu. Trois d’entre eux n’ont jamais joué en France métropolitaine ; il s’agit de Chesneau, Liminana et Salvano.

Pierre Chesneau (1902-1986), né à Boufarik dans la Mitidja, était un joueur impétueux, rapide, un avant-centre qui ne correspondait pas aux standards de l’époque faisant du n°9 un meneur de jeu tel Paul Nicolas, mais plutôt un fonceur, qui aurait plu davantage à une autre période. Aligné une seule fois en 1924, il connut 3 sélections dans les rangs de l’équipe d’Afrique du Nord opposée à celle de la Métropole, plus 6 autres dans la sélection d’Alger, alors opposée régulièrement à celles des autres ligues, Oran, Constantine, Tunis, ou Maroc.

André Liminana (1899-1947) était un Devaquez-bis, un ailier (ou inter) puissant, fonceur, doté d’un tir lourd. Son style était sans fioritures : droit devant ! Revers de la médaille : il était brouillon et peu technique. Avec son club du Sporting Bel Abbès, il trusta tous les trophées, fut 10 sélectionné dans l’équipe d’Oran, et 10 autres fois pour affronter les équipes de la Métropole.

Henri Salvano (1901-1964) était énergique, ardent, bon passeur et buteur mais individualiste et parfois brouillon. Doté d’une grande faconde, il était un élément dominant dans son club de Blida (5 fois champion). Il cumula 6 sélections avec l’équipe d’Alger (de 1923 à 1930), 4 contre la métropole, une sélection B en 1924 et une A en 1926. Marchand de meubles à Blida, il fut rapatrié en 1962 à Dijon, et ne survécut guère à l’arrachement à sa terre natale.

Trois autres ont débuté en Algérie, avant de signer pour des clubs de la Métropole : Bardot, Bonello et Pozo, avec des fortunes diverses.

Charles Bardot (1904 - date de décès inconnue) était un avant-centre de combat, sur le modèle de Chesneau. Il fut aussi militaire de carrière. Formé à Philippeville (Skikda aujourd’hui),il attira l’attention de l’AS Cannes en 1926, et y brilla, gagnant la Coupe de France 1932 et étant finaliste du premier championnat pro en 1933. Il eut 6 capes en bleu et marqua 3 buts : son jeu était basé sur son engagement physique, sa technique était limitée. 3 sélections en équipe d’Afrique du Nord, 2 sélections B. Il revint à Skikda en 1955, fut même le président de son ancien club, et fut rapatrié lui aussi en 1962. Il devint croupier de casino, et sa trace se perd en 1980.

Georges Bonello (1898-1985), né Gourret, car reconnu tardivement par son géniteur, était surnommé le « canon de Blida » en raison de la puissance de son tir du gauche, ponctuant de puissants déboulés sur son aile. Ses qualités de buteur attirèrent l’OM, et Bonello devint même champion de France amateur avec Marseille en 1929 ! Mais il retourna lui aussi en Algérie, devint l’entraîneur de son ancien club, le FC Blida, en 1952. Négociant en fruits, il fut rapatrié comme les autres en 1962 et s’établit à La Ciotat. Retenu 9 fois avec la sélection d’Alger (1922-1927) et 5 fois contre la Métropole.

Felix Pozo (1899-1967), né à Sidi Bel Abbès d’une famille espagnole, et mort à Lyon. Ailier de poche (1,65 m), vif, dribbleur, il fut le premier Algérien à intégrer un club métropolitain, le FC Rouen, dans les rangs duquel il perdit la Coupe de France 1925 ; il passa ensuite au FC Lyon, mais une fracture de la jambe mit fin à sa carrière en 1927. Il se fixa professionnellement à Lyon, dans le quartier des « canuts », La Croix-Rousse.

Quant aux joueurs nés en Algérie, qui y avaient débuté avant de rallier la Métropole, et ne sont devenus internationaux que lorqu’ils jouaient pour un club métropolitain, ils sont 9, à savoir :

Charles Allé né à Oran, formé au Gallia d’Oran, passé à l’OM, 1 sélection en 1929.

Joseph Alcazar, né en Espagne en 1910, dont la famille a immigré de Carthagène à Oran, formé au CALO d’Oran, venu à l’OM en 1927, naturalisé français en 1930, 11 sélections de 1931 à 1935.

Raoul Chaisaz, né à La Tar, formé en Tunisie (2 sélections pour l’équipe de Tunis en 1925 et 1926), venu au Stade Français, 2 bouts de sélection A en 1932 comme gardien de but.

Gustave Dubus, né à Arzew, formé à l’AS Saint-Eugène d’Alger et passé en 1929 à Sète, 2 sélections en 1930 (et un but).

Ernest Libérati, né et formé à Oran quoique de famille Corse, passé à Amiens en 1929, 19 sélections de 1930 à 1934, et 4 buts.

Henri Pavillard, né en France mais formé à l’AS Saint-Eugène, sélectionné pour Alger en 1924, puis passé au Stade Français (à l’occasion de ses études supérieures), 14 sélections de 1928 à 1932.

Joseph Rodriguez, né à Oran et de nationalité espagnole, naturalisé à sa majorité, passé de Sidi Bel Abbès à Lyon en 1928, 2 sélections en 1932. On sait qu’il fut impliqué dans la tentative de corruption de 1932 qui vit la disqualification de l’équipe d’Antibes de la finale du championnat.

Alex Villaplane, né en 1904 à Alger et formé au Gallia, passé à Sète, 25 sélections de 1926 à 1930, capitaine des Bleus à Montevideo pour la Coupe du Monde. Il fut fusillé en 1944 pour trahison.

Jacques Wild, né à Saïda en 1905, passé au Stade Français en 1924 pour les mêmes raisons que Pavillard, 8 sélections de 1927 à 1929.

Le second volet parlera de la période « pro », de 1933 à la guerre, ainsi que de la période de l’Occupation, jusqu’en 1943.

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