Les premiers Bleus : René Camard, dynamiteur d’attaque

Publié le 30 mars 2023 - Pierre Cazal

Voici un nouvel éphémère de 1907, mais ils étaient nombreux à l’époque. Ailier gauche atypique, le Parisien René Camard ne se contentait pas de coller la ligne de touche : il dézonait, tirait souvent et marquait parfois de la tête, en dépit de ses 157 centimètres sous la toise.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
5 minutes de lecture

René Camard est né le 8 février 1887 à Paris et il n’a connu qu’une seule sélection officielle en équipe de France, comme Georges Bon auquel le précédent article de cette série consacrée aux Premiers Bleus a été consacré, et même à ses côtés, le 21 avril 1907. Mieux, il a contribué avec Bon à marquer le but victorieux (2-1) contre les Belges à Bruxelles, en chargeant le gardien réceptionnant un centre de Puget : ils s’y sont mis à trois pour pousser le malheureux dans ses cages avec le ballon, ce qui prouve deux choses : 1, que le gardien belge était bien mal protégé par ses arrières, et 2, que Camard, quoique ailier gauche, était à la réception du centre venu de la droite, avec Georges Bon et André François, finalement crédité du but.

Cinq attaquants dans la Pyramide

En quoi est-ce remarquable, allez-vous demander ? Eh bien il faut savoir que dans le système tactique originel « légué » par les Anglais (qu’on imitait alors en tout point), le 2-3-5 ou « Pyramid », les ailiers étaient censés coller à la ligne de touche et délivrer les centres, non pas les réceptionner ! Il y avait alors cinq (vrais) attaquants, la triplette centrale se chargeait de marquer les buts. Sur les photos de match dont on peut disposer, l’ailier du côté où ne se développait pas l’attaque, inoccupé, se tenait généralement les mains sur les hanches non loin de sa propre ligne de touche, en attendant la suite des opérations. Le comportement de Camard était donc atypique.

  • La Vie au grand air du 14 mars 1914 (BNF Gallica)

Et c’est bien ce qui est confirmé quand on se donne la peine d’éplucher les comptes-rendus des matchs auxquels il a participé. Certes, il fait ce qu’on attend d’un ailier : « Camard fut le plus utile », peut-on lire en février 1913, « ses descentes, terminées toujours par des centres fort judicieusement placés, le rendirent à chaque instant digne de l’attention de demi » ; ou encore, à l’occasion du quart de finale du championnat de France (USFSA) joué contre l’US Saint-Servan en mars 1912 : « Camard a tout simplement été merveilleux ; bien que très marqué par Cadoret, il fit de jolies descentes. C’est lui qui fit triompher l’ASF ». Par descentes, on entend alors : débordement au sprint, sur l’aile. C’est le job de l’ailier : il descend, il centre. Et puis il se replace vers la ligne médiane, en attendant de recevoir à nouveau une balle, servie en général par son « inter », et d’affronter le demi adverse, qu’il va chercher à prendre de vitesse.

Un petit gabarit suractif et parfois individualiste

Mais Camard ne se limite pas à ce registre basique. Il se rabat, et n’hésite pas à tirer au but. Il tire même beaucoup ; par exemple, lors de Paris-Nord, le classique de l’époque, véritable test-match annuel pour la sélection (3-1 en 1911) il marque un but, et pas n’importe lequel : un tir du gauche de 15 mètres, ce qui n’est pas fréquent (dans le modèle anglais, le ballon doit être amené par passes successives le plus près possible des 6 mètres, afin de tirer à bout portant). L’Auto commente : « Camard fut le meilleur, son but fut le plus joli de la journée ». Plus étonnant encore, Camard place (contre Saint-Servan, en 1912), un « heading », une tête, alors qu’il ne mesure… qu’1,57m ! Et il tire même les pénalties ! Lors de la finale du Championnat de France 1912, perdue face au Stade Raphaëlois (1-2), c’est Camard qui a égalisé à 1-1, arrachant la prolongation, sur pénalty. C’est donc un petit gabarit, suractif, auquel on reproche parfois d’être trop personnel, mais qui dynamise sa ligne d’attaque, « sa » ligne, car il est le capitaine, il en a le tempérament de meneur.

Question : avec autant de qualités, pourquoi Camard n’a-t-il été sélectionné en équipe de France qu’une seule fois ? Il est régulièrement retenu en sélection de paris dès 1907 : contre le Nord, contre Londres… Mais, pour les quatre matchs de 1908, c’est Gabriel Hanot qui lui est préféré, dans une ligne d’attaque à l’accent du Nord, avec François et Mathaux. Le sélectionneur en chef est nordiste (André Billy), le champion de France est nordiste (Racing Club de Roubaix), donc l’équipe de France est majoritairement composée de nordistes, surtout en attaque. Sous les drapeaux, Camard ne disputera pas non plus les Jeux Olympiques à Londres, ce qui lui évitera l’humiliation des défaites contre les Danois (0-9 et 1-17), déjà évoquées lors d’articles antérieurs.

L’AS Française en le 10 novembre 1912. René Camard, capitaine, a le ballon à la main, debout à droite (BNF Gallica)

Un manque de taille rédhibitoire au niveau international

Ensuite, l’USFSA a tourné le dos à la FIFA, et il n’est donc plus question de sélections officielles. Par contre, il jouera le match officieux disputé par l’équipe de France version USFSA, contre l’Angleterre version AFA, le 18 mars 1909 (0-8) ; encore, initialement n’était-il prévu que comme remplaçant du Tourquennois Adrien Filez, qui déclara forfait, ainsi que son coéquipier de club Hanot. Ce ne fut pas une réussite, comme on peut le lire sur l’Auto : « Quand on pense que Camard et Eucher, terreurs de nos arrières parisiens, n’ont pas franchi une seule fois la ligne des backs anglais… », et il explique : « Nicolaï passe à Camard. Le malheureux ne peut avoir la balle, étant marqué par un arrière ayant deux têtes de plus que lui et qui reprenait sans peine la balle de volée… » Voilà donc la réponse à notre question : au niveau international, son manque de gabarit handicape Camard, ce qui n’est pas le cas au niveau national.

René Camard continuera d’être retenu en sélection de Paris, contre Londres en 1910 et 1912, contre le Nord en 1911 et 1913, ou les English Wanderers en 1913 ; mais, bien que toujours capitaine de l’AS Française et jouissant de sa réputation désormais bien établie d’ailier rapide et de buteur, il ne trouvera pas grâce aux yeux des sélectionneurs du CFI, lors de la réconciliation entre l’USFSA et son rival, au début de l’année 1913.

Un débat à fleurets mouchetés dans la presse

En 1907, Camard avait été l’objet d’une polémique soulevée par le journaliste vedette de l’Auto, Ernest Weber, qui entendait dénoncer le « racolage », à savoir l’art d’attirer les bons joueurs des autres clubs pour qu’ils signent une licence dans le sien… contre des avantages (en nature ou en espèces), prémices d’un professionnalisme déjà développé en Angleterre, mais rejeté avec horreur en France. « Le type du racolé paraît être Camard (…) il pense que le Red Star sera heureux vainqueur de 2ème série, mais il pense aussi que le FEC Levallois, que l’US Clichy, que la Stade Français, que la SA Montrouge, que l’UAI ont des chances presqu’égales. Il pense aussi qu’un bon tiens vaut mieux qu’un tu l’auras (sic !) et que s’il jouait au Club Français ou à l’ASF il aurait la quasi-certitude d’être désormais un joueur de première série. » Camard répondit pour protester contre cet « embauchage fantôme », sa lettre est publiée dans l’Auto (20 septembre 1907), et on a du mal à imaginer ce genre de débat à fleurets mouchetés aujourd’hui dans les médias !

L’Auto du 20 septembre 1907 (BNF Gallica)

La vérité était que Camard jouait au Red Star depuis 1903, mais que le club de Jules Rimet, le futur président de la FFFFA et de la FIFA n’évoluait alors modestement qu’en seconde série du championnat de Paris, que sa notoriété grandissante lui avait valu d’être sollicité par des clubs de 1ère série, et qu’il avait hésité, ce qui s’était su. Finalement, il avait signé pour l’AS Française et demeura fidèle à ce club jusqu’à la Guerre, sauf lorsqu’il fit son service militaire au Havre, et joua donc un temps pour le HAC.

Une fin tragique dans les combats de la Somme

La Guerre, il la fit, et fut blessé dès les premiers combats d’une balle de shrapnel à l’épaule, fin août 1914. Mais le sort était contre lui, car dès que remis sur pied et renvoyé au front, il trouva cette fois-ci la mort, le 16 mars 1915, à Carnoy (Somme). Voici la citation reproduite dans Sporting : « Le sergent René Camard, du 329ème d’Infanterie, déjà blessé à Guise le 20 août, a trouvé une mort glorieuse en encourageant ses hommes à la résistance pendant le combat pour la possession d’un entonnoir creusé par une mine ennemie. » Capitaine sur les terrains de football, sergent au champ de bataille, Camard est resté jusqu’au bout un meneur d’hommes.

Le seul match de René Camard en équipe de France A

1 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 2-1 90 Première victoire à l’extérieur
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