Les premiers Bleus : Gaston Cyprès, fils de valet de chambre et buteur bedonnant

Publié le 19 avril 2023 - Pierre Cazal

C’est l’un des onze pionniers du 1er mai 1904, et il a même égalisé contre la Belgique à trois minutes de la fin. Né dans un château, Gaston Cyprès était un buteur d’instinct au physique d’employé de banque, pas élégant mais très efficace.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Gaston Cyprès fut le premier buteur de l’équipe de France ; pas celui qui a marqué le premier but, en 1904 (ce fut Mesnier), mais le premier shooteur spécifique.

Il est né le 19 novembre 1884 à La Cornuaille, ou plus exactement au château de la Caillotière, qui existe toujours, avec sa belle façade en briques à coins de pierres blanches, dans le Maine-et-Loire, et qui appartenait à un ambassadeur, Augustin de Vernouillet. Le père du petit Gaston était valet de chambre au château et sa mère, cuisinière ; cela fait penser à Downtown Abbey, la série anglaise !

En 1901, cependant, c’est à Paris qu’on retrouve Gaston Cyprès, il joue au FEC Levallois où, à 17 ans à peine, il a déjà des responsabilités : ne trouve-t-on pas, dans L’Auto, un entrefilet où on peut lire que le FEC Levallois demande un match « pour demain, sur son terrain », signé par G Cyprès 179 rue de Courcelles, Paris ? Il est alors en seconde série du championnat de Paris, et, dès la saison 1902-03, s’affilie à la plus prestigieuse équipe de la Nationale de Saint-Mandé, où se concentrent des étoiles comme Bilot, Mesnier, Albert, Delolme…

Saint-Mandé se situant aux antipodes de Levallois dans l’agglomération parisienne, il faut en déduire que Cyprès a été « racolé », comme on dit à l’époque ; rien d’étonnant : n’a-t-on pas vu Gaston prêter ses services à l’UA Batignollaise, champion de la fédération « professionnelle », en mars 1902 ? Curieusement, l’USFSA, qui se voudra quelques années plus tard le champion de l’amateurisme absolu, tolère alors cette fédération, avec laquelle elle a signé un traité, et les infidélités passagères de ses joueurs, motivés par les modestes primes (parfois en nature) qu’ils y touchent !

Buteur en série, en club puis en sélection

La Nationale de Saint-Mandé ne tardera pas à changer son nom en CA Paris, finaliste du championnat de France 1906 (battu par Roubaix 4-1, mais Cyprès marque le but parisien) et 1909 (battu à nouveau, par le Stade Helvétique Marseillais, une équipe entièrement composée de Suisses, l’USFSA tolérant aussi ce genre d’équipes dans son championnat). Avec la CAP, Cyprès gagnera le Trophée de France 1911, aux dépens de l’Etoile des Deux Lacs 1-0. Cette compétition mettait aux prises, en fin de saison, les champions des différentes fédérations composant le CFI qui, on le rappelle, avait pris la gouvernance du football français fin 1908, dans des circonstances trop longues à rapporter ici. Ce qu’il faut retenir, c’est que Cyprès était le buteur attitré d’un des « top clubs » parisiens.

Rien de surprenant, donc, à ce qu’il ait été très vite pressenti pour intégrer l’équipe de France alors naissante, en 1903. Une poignée de mordus avait créé la SEFA (Société d’Encouragement au Football-Association), pour financer à la place de l’USFSA impécunieuse des matchs d’entraînement, contre des équipes anglaises prestigieuses, à commencer par celle des Corinthians. Cette équipe regroupait les meilleurs amateurs anglais (pas les professionnels) et constituait une sorte de sélection anglaise amateur, et passa un sévère 11-0 à l’équipe française.

Un coup de botte du gauche qui fait mouche

Mais celle-ci ne se découragea pas, la posture générale était celle de l’élève face aux maîtres anglais, qui avaient 40 ans d’avance, et, en 1904, deux autres matchs se succédèrent, le premier face aux professionnels de Southampton (1-6) et le second de nouveau face aux Corinthians (4-11). Gaston Cyprès marqua le but français face à Southampton, et un des 4 buts passés, à la surprise générale, aux Corinthians. Voici le récit du but marqué contre Southampton : « Les avants français reprennent leur jeu de combinaison qui amène Cyprès devant les buts anglais ; après avoir pris de vitesse les deux arrières anglais il envoya d’un coup de botte sec le ballon dans les mains du keeper (George Clawley). Ce dernier ne put s’assurer la possession du ballon qu’il dégagea faiblement, et Cyprès, d’un nouveau coup de botte, du gauche, le mit cette fois hors de portée de son adversaire. »

L’équipe était ainsi rodée pour aller affronter les Belges à Bruxelles le 1er mai, et on en connaît le résultat (3-3), devenu historique. La ligne d’attaque était la même que contre Southampton et contre les Corinthians, d’où la cohésion qu’elle démontra, à l’exception de l’ailier gauche. Gaston Cyprès marqua le but égalisateur, à la 87ème minute, alors que les Belges se congratulaient déjà autour du terrain, de la façon suivante, rapportée dans Tous les Sports : « sur un coup de pied franc donné par Verlet (qui avait le coup de botte le plus puissant de l’équipe), Garnier fait avec la tête une passe à Cyprès, qui shoote dans les buts à toute volée. »

C’est la troisième fois consécutivement que Cyprès marque sous le maillot national, et il ne va pas s’arrêter là. Le 12 février 1905, l’équipe de France reçoit la Suisse, et gagne 1-0. Voici la description du but : « Cyprès reçoit de Royet la balle que venait de lui passer Allemane ; Cyprès va droit vers le but suisse, il feint un shoot, puis se ravise, et, au moment où il va passer à Garnier, s’aperçoit que le coin droit du but suisse est libre. Il en profite pour marquer. » Le pressing n’existait pas, à l’époque, le joueur avait du temps et de l’espace. Comme ses lointains successeurs doivent l’envier !

Ce n’est pas fini : le 7 mars 1905, l’équipe de France reçoit celle de la Southern League, le match est même présenté comme un France-Angleterre par la presse, mais il n’a rien d’officiel ; la FA anglaise se refuse encore à mettre sur pied une véritable sélection. Mais l’équipe anglaise comprend cependant des joueurs d’Arsenal, Tottenham, Fulham, Milwall, elle est donc de bonne valeur et gagne 5-1, le but français étant l’oeuvre de… Cyprès, bien entendu.

Le 15 mai 1910 avec l’équipe du CA Paris. Gaston Cyprès est assis, le deuxième en partant de la gauche, avec une casquette (BNF Gallica)

Un buteur d’instinct qui sais se placer et cadrer

Gaston Cyprès, aisément reconnaissable à sa moustache gauloise, n’est pas grand : 1,66 m ; il n’est pas athlétique non plus, plutôt trapu, et même ventru. Mais c’est un buteur d’instinct, qui sait se placer, faire des appels, tirer de volée et cadrer. Il n’est ni élégant, ni très technique, mais il a tout simplement le sens du but. Il connaîtra encore trois autres sélections en 1905 et 1906, sans parvenir à marquer, mais on observera que, à chaque fois, l’équipe de France restera stérile : Belgique 0-7, puis 0-5, Angleterre (le premier match officiel de la sélection amateur anglaise) 0-15.

Il faut dire que la ligne d’attaque française avait été bouleversée, notamment en introduisant des éléments nordistes, qui ne se coordonnèrent pas avec Cyprès. On le sortit donc de l’équipe pour faire place à des joueurs du Nord (Bon, puis Mathaux), et on ne le rappela que pour jouer les Jeux olympiques de Londres, parce qu’on avait besoin de deux équipes. Mais ces équipes n’étaient que des patchworks, sans aucun souci de cohésion, et Cyprès connut donc l’humiliation du 1-17 infligé par les Danois à Londres, en octobre 1908.

Contesté par le sélectionneur en chef, le Lillois Billy, dont le but était de placer le maximum de joueurs du Nord en équipe de France, Cyprès resta par contre incontournable à Paris. Il fut quasiment de toutes les sélections parisiennes, en particulier lors de Paris-Nord, le grand choc annuel, qu’il disputa systématiquement jusqu’en 1910.

Cependant, la scission du football français, consécutive à la démission de l’USFSA de la FIFA, et son remplacement par le CFI, coupa Cyprès encore plus de l’équipe de France. Désormais, il ne se consacra plus qu’à son club, tout en en changeant, passant du CAP au Club Français, auquel il resta fidèle, sauf lors d’une parenthèse à l’Olympique de Pantin, juste après la Guerre.

Gaston Cyprès (au centre) en 1924, à 40 ans (BNF Gallica)

On a en effet la surprise de voir Cyprès, et son 1,66 m bedonnant, jouer à l’arrière (fixe…) pour l’Olympique, lors de la demi-finale de Coupe de France de février 1919 contre la VGA du Médoc, de Bordeaux ! Bref, il dépanne, mais c’est toujours un amateur bon teint, employé de banque par ailleurs. Il décède brusquement le 17 août 1925 à Nevers, alors qu’il est en visite chez ses parents, retirés dans leur Nièvre natale, et non à son domicile parisien où il vivait avec sa femme et sa petite fille, et ce sans qu’on en connaisse la cause.

En conclusion, si on ne peut pas dire que Gaston Cyprès était un grand joueur, on peut par contre dire qu’il appartenait à l’espèce ô combien rare et précieuse des buteurs exclusifs.

Les 5 matchs de Gaston Cyprès avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 1 but (87e)
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 1 but (60e). Première victoire.
3 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 Première défaite
4 Amical 22/04/1906 Saint-Cloud Belgique 0-5 90 Première défaite à domicile
5 Amical 01/11/1906 Paris Angleterre 0-15 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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